A l’école des super nannies françaises
18 janvier 2012 | Delphine Bauer dans France, Société
Elles sont étudiantes, déjà dans le monde de la petite enfance ou ont choisi de se reconvertir. Et surtout, entendent mieux gagner leur vie tout en exerçant leur passion : s’occuper des enfants. Ces élèves font partie de la première génération de « nounous de luxe » de France. Reportage à l’Académie des Gouvernantes, qui les forme depuis un an dans le 14e arrondissement de Paris.
« Pourquoi les enfant doivent-ils bien se tenir à table ? Alors ? Alors, mesdemoiselles ? » Caroline de Valroger, serre-tête moletonné sur la tête, mèches blondes et pantalon impeccable, interroge ses élèves attentives. Un silence. « Parce qu’il faut remercier la personne qui a fait le repas ! C’est bien clair pour vous ? » demande le professeur de bonnes manières. Dans la salle de classe, un murmure positif se fait entendre. Devant elle, la vingtaine d’étudiantes présentes, en uniformes, tailleurs sur mesure et chapeaux melons posés à leurs pieds, seront bientôt prêtes à endosser le rôle de meilleures nannies de France. En effet, à l’Académie des Gouvernantes, premier établissement de ce type dans l’Hexagone, un seul credo: l’excellence pour vos enfants. Dans l’enceinte pour le moment modeste des locaux, – le déménagement est prévu début 2012 pour la très chic rue du Rocher, au coeur du 8e arrondissement de Paris-, l’institution accueille la crème de la crème. Pourtant, qui aurait parié sur un tel développement, et même engouement, à son ouverture il y a un peu plus d’un an ? L’année précédente, Elisa Elbaz, 26 ans, décide de quitter le milieu de la finance et de se lancer dans ce projet qui lui tient à coeur. « Je ne me reconnaissais pas dans le monde des salles de marché, et il y avait toujours cet esprit d’entrepreunariat en moi. J’étais à la recherche d’une bonne idée quand j’ai découvert le Nordland College (une institution en matière d’éducation chez nos voisins anglais, ndlr). Petite, j’ai moi-même été élevée par des nannies, avec mes frères et soeurs. J’ai estimé qu’il y avait un gros manque de formation en France », raconte-t-elle dans son bureau, jupe serrée et chemisier un peu strict, parfaite dans son rôle de directrice. Le projet lancé, la première rentrée de l’Académie a lieu en septembre 2010. Au départ, une seule formation est proposée, pour les postulantes qui se destinaient à devenir gouvernantes d’intérieur.
Un succès immédiat
Devant le succès rencontré, les premières apprenties nannies font leur entrée dans l’établissement en 2011, à l’instar de Gaëlle, 24 ans. Cette ancienne cavalière d’échauffement, petite brune à la voix haut perchée, se fait réprimander gentiment lorsqu’elle sort de cours pour sa pause cigarette. « Non, Gaëlle, si vous sortez fumer, vous ne portez pas le chapeau, et vous mettez votre manteau sur l’uniforme », rappelle à l’ordre Emilie, ancienne de la maison « mère » de Nordland, en charge des cours petite enfance. Ancienne nanny, elle a dû arrêter à cause de soucis de santé, mais à grand regret. « Les enfants me manquent beaucoup, mais ici, c’est une alternative, car je peux parler de ce que j’aime. » En Angleterre, la jeune femme gagnait 2200 euros nets pour un premier poste, sans compter les avantages en « nature » : appartement, voyages et pour les nannies les plus chanceuses, voiture ou encore téléphone… Une situation qu’elle essaie de favoriser également en France, car « à l’Académie, nous voulons donner sa chance à tout le monde. Nous recherchons uniquement les qualités humaines », assure-t-elle. Mais pour faire ses preuves, pas le droit à l’erreur.
A l’Académie, les bonnes manières sont essentielles, et à chaque apprentie nannie d’être exemplaire. Fumer sous l’étiquette de l’Académie est donc contraire à l’image que l’établissement veut donner. Un peu penaude, Gaëlle retire son chapeau. « Je suis très fière de mon uniforme, assure-t-elle. Quand je sors de chez moi, les gens me regardent avec de grands yeux dans le RER ou dans la rue. Mais ça me permet de mieux rentrer dans mon rôle », explique-t-elle, enthousiaste. Et de la motivation, il en faut à cette jeune maman, au vu de son quotidien : presque 3h de transports quotidiens, un lever à 5h45, une préparation stricte – Gaëlle met 30 minutes à faire son chignon obligatoire tous les matins-, une organisation parfaite entre son conjoint et elle pour emmener le petit à l’école, et surtout un investissement financier auquel le couple, modeste, a accepté de consentir.
L’école de l’excellence a un coût
« Avant, je voulais être auxiliaire de puériculture. Une amie m’a parlé de l’école et j’ai passé les tests, la boule au ventre », raconte l’étudiante. Résultats positifs. Et aussitôt, chèque à signer : les frais d’inscription s’élèvent tout de même à 9000 euros l’année pour les futures gouvernantes et à 3600 euros pour les 3 mois de formation des nannies. Mais Elisa Elbaz précise: « Pour celles qui ne pourraient pas se payer une telle formation, nous avons des partenariats avec des agences de placement et certaines de nos étudiantes peuvent financer leurs études en s’occupant d’enfants à la sortie de l’école pendant la semaine. » C’est ce que fait Gaëlle, tous les jours, après ses cours à l’Académie. Elle prend son avenir très au sérieux. « Il faudra quand même pouvoir en vivre », reconnaît-elle. Comme les autres élèves, elle parle avec admiration de cette ancienne élève devenue célèbre malgré elle au sein de l’école pour avoir trouvé une richissime famille russe prête à débourser 5000 euros mensuels afin de l’avoir à ses côtés, à Monaco. Mais cet exemple fait valeur d’exception, car les métiers liés à la personne, et donc à la petite enfance, sont encore très mal reconnus en France. Cette formation est perçue par les étudiantes comme un vecteur d’ascension sociale. « La situation est très différente en Angleterre, où devenir nanny est un rêve de petite fille, explique la directrice. A travers cette formation, je souhaite donner un côté d’excellence au métier, élever le niveau, professionnaliser cette activité, et surtout la revaloriser. »
Loin d’être anodine, la question de l’éducation est essentielle aux yeux d’Elisa Elbaz, qui évoque les « enfants d’aujourd’hui livrés à eux-mêmes, en manque de repères. » A l’instar de nombreuses familles avec qui elle est en contact, chaque entretien passé avec une étudiante potentielle est une quête de la perle rare. Gaëlle par exemple vient juste d’être engagée chez un couple aisé du 5e arrondissement, à l’appartement très chic, pour s’occuper de leurs deux enfants. « Le feeling avec les petits est passé tout de suite », précise-t-elle, un sourire aux lèvres.
Le diplôme visé : un gage de qualité
A côté d’elle, Yolande, 34 ans, la doyenne des étudiantes. La « grande soeur » que l’on vient consulter. Car du haut de ses 7 ans d’expérience en tant qu’auxiliaire parentale, Yolande n’est plus une débutante. Mais sans diplôme, elle stagnait et cherchait à évoluer dans le milieu. Pour se payer la formation à l’Académie, elle a spécifiquement mis de l’argent de côté. « Je suis sûre que je vais m’y retrouver, affirme-t-elle. Car quand on est compétent, on est sûr de soi et on peut légitimement exiger plus de 2000 euros auprès de ses employeurs », ce qu’elle estime être un « bon salaire ». Tout comme Gaëlle, elle se sent « fière de [son] uniforme. Quand j’apporte quelque chose de positif à un enfant, je me dis qu’il tient quelque chose de nous, il y a un lien qui se créé », explique la jeune femme au visage rieur. Malgré les différences sociales ou culturelles ? « J’ai exercé dans tous les milieux, y compris la haute société, assure Yolande. Que le père soit ministre, ça m’importe peu. Je viens pour les enfants. Si je me sens anxieuse avec les parents, je préfère arrêter », poursuit-elle. Pourtant elle assure aussi réussir à se « mettre à la place des patrons, parfois stressés par leurs métiers très prenants. A nous d’exister, mais dans la discrétion, rappelle l’étudiante. Nous sommes dans leur intimité, et nous leur devons le secret professionnel. » En effet, pas question de divulguer « maladies, soucis personnels ou autres », chuchote Yolande. Sur ce point, Gaëlle et elle sont entièrement d’accord. Mais être discrète ne veut pas dire tout accepter.
Un métier de passion et … de connaissances
Consciente des petits soucis du quotidien, Yolande n’oublie pas l’essentiel : être passionnée par son métier. « Entre les cris et les pleurs, il faut de la patience. On ne peut pas faire ce métier si l’on n’a pas ça en soi », assure-t-elle. « Garder des enfants, c’est assurer des ateliers manuels, de motricité, d’éveil musical, de stimulation intellectuelle. Il faut savoir lire les histoires d’une certaine manière, pour que cela devienne ludique et vivant », évoque de son côté Émilie, la spécialiste petite enfance. Loin du cliché de la baby-sitter « amateur » collée au téléphone, les nannies seront au contraire amenées à passer beaucoup de temps avec leurs protégés.
Après la pause cigarette, les élèves se retrouvent pour le cours d’entretien de la chambre d’enfant. L’une des leurs est désignée par le professeur référent, Anne Lindemann, pour faire la démonstration du jour. Dans une ambiance détendue, la professionnelle de l’hôtellerie de luxe refait les gestes à connaître, et n’hésite pas à tacler, non sans humour, les élèves moins performantes. Pour obtenir leur diplôme, elle doivent en effet réussir plusieurs évaluations : un certificat, une validation de stage, un mémoire à rendre et l’obtention de bonnes notes aux examens. Fortes de leurs connaissances approfondies en matière de pédagogie, les apprenties nounous de luxe ont compris qu’elles étaient la « relève de Super Nanny » (ancienne célèbre présentatrice de TV à la tête d’une émission sur l’éducation, ndlr). « C’est ce qu’on nous a dit ici en tout cas ! », précise Yolande, non sans fierté. A l’aise dans son rôle de précurseur, elle espère qu’à l’avenir les formations se perfectionneront encore, pour que les étudiantes soient également prêtes à pouvoir s’occuper aussi d’enfants handicapés. A leur sortie de l’école, ces futures nannies de luxe seront de précieuses recrues sur le marché de la petite enfance. Sur les 12 premières gouvernantes diplômées en septembre, 10 sont déjà placées. Les nannies espèrent un même succès. Mais en plus d’être chèrement convoitées, elles se posent aussi comme les vecteurs de transmission d’un monde de bonnes manières qui ne sera jamais désuet. Elles en sont sûres.