Vers une révolution des algues ?

26 septembre 2022  |  dans Santé

Des algues © Juliette Robert/Youpress

Elles séquestrent le carbone et produisent de l’oxygène, aident à renforcer nos défenses immunitaires et combattent le diabète. Riches en fer, calcium, magnésium, vitamines et antioxydants, elles pourraient même sauver l’humanité de la famine. Depuis peu, les algues sont devenues synonymes d’une infinité de ressources. Tous les yeux se tournent vers elles.

Nous les côtoyons, mais souvent sans y prêter attention. Pourtant depuis quelques années, les algues sont l’objet de toutes les attentions de la part des scientifiques et d’entrepreneurs passionnés.
Apports nutritionnels exceptionnels, bienfaits pour la santé, effet réducteur sur le réchauffement climatique ou encore alternatives aux engrais, au plastique ou au coton : leurs promesses sont multiples. Vont-elles sauver le monde ?

A la Station biologique de Roscoff, bâtiment de granit centenaire battu par les vents du Finistère, les scientifiques n’ont d’yeux que pour… les algues. Rejetées d’un coup de main rageur lors des bains de mer ou critiquées pour salir les plages, ici, elles sont choyées, scrutées dans les bacs de culture, analysées dans d’énormes barils de verre où elles dansent, bercées par des courants artificiels qui visent à recréer les conditions naturelles de leur croissance. Mirjam Czjzek, biochimiste et biologiste moléculaire, et Aurélien Baud, doctorant spécialiste de la domestication des algues, sont aux petits soins parce qu’ils en sont convaincus : les algues gagnent à être connues, surtout dans une période d’urgence climatique où « la biomasse terrestre a montré sa limite et où les réserves de pétrole s’amenuisent ».
Dans ce contexte, elles sont devenues synonymes d’infinité des ressources. Mais face à ces « organismes complexes », dont le cycle reproductif n’est encore que partiellement connu, la recherche appliquée et fondamentale a toute sa place. « Sans comprendre leur cycle reproductif, on ne pourra pas les domestiquer », précise Aurélien Baud. Or c’est à cette condition qu’il sera possible de les cultiver à grande échelle et de les consommer en plus grand nombre. Elles qui, aujourd’hui, sont présentes dans notre alimentation sous forme de gélifiant (agar-agar ou carraghénane), mais recèlent aussi de nombreuses promesses, souvent méconnues du grand public.

Ces incroyables inconnues

Bien sûr, la nori, qui entoure les makis japonais, est la plus célèbre d’entre elles, mais il en existe environ 12 000 sous les océans. Comme le résume la cueilleuse d’algues et marin-pêcheur Scarlette Le Corre, qui revendique d’avoir « commencé à pêcher les algues à 4 ans et monte sur des chalutiers depuis ses 10 ans », « on est capable d’aller sur la Lune mais on ne connaît rien à la vie sous-marine ». Alors elle organise des balades sur l’estran du Guilvinec, dans le Finistère, où elle fait découvrir les algues laminaires, dulse, laitue de mer ou encore Chondrus crispus aux curieux. « Ah !, les algues rouges sont remontées, signe du réchauffement de l’eau », constate-t-elle en se penchant dans une flaque laissée dans les rochers. Chacune peut se déguster assaisonnée différemment. « Comme nos carottes et nos salades. Ce sont des aliments à part entière », précise-t-elle avant de décliner sa pêche du jour en omelette aux algues et avocat au tartare d’algues. « Les algues ont des goûts multiples, fumé, épicé, aillé… », confirme Cécile Bury, ex avocate et cofondatrice de Neptune Elements qui les commercialise dans de jolies boîtes à thé, « pour démocratiser ces produits de la mer dans les assiettes et faire tomber les barrières ».
L’autrice Régine Quéva, tombée en amour des algues il y a quatorze ans, partage le même enthousiasme. « J’ai trouvé magique que l’on puisse manger ce qu’on trouvait sur l’estran », se souvientelle. Chaussée de bottes, postée sur la plage de Locquirec, elle en ramasse régulièrement pour les cuisiner avec la cheffe Catherine Le Joncour, qui vient de céder le Ty Mad, à Douarnenez, seul restaurant hexagonal qui mettait des algues dans son menu de l’entrée au dessert.

Bonnes pour le corps, bonnes pour la planète

Les algues ont été consommées par les hommes depuis la préhistoire. En Occident, cette culture s’est perdue à l’Antiquité, mais fortes de leur pouvoir nutritionnel inexploité jusque-là, elles offrent, en plus d’une pluralité de goût, une solution alternative à la consommation de viande (15 000 litres d’eau sont nécessaires pour produire un seul kilo de viande) puisqu’elles contiennent jusqu’à 40 % de protéines. Sans oublier les antioxydants (courtisés par les marques de cosmétiques), vitamines et minéraux. En somme, elles sont des « bombes nutritionnelles », selon l’expression de Vincent Doumeizel (cf. interview), conseiller sur les océans à l’ONU, qui s’est engagé en leur faveur dans le Seaweed Manifesto, et pourraient s’avérer stratégiques dans la lutte contre la famine mondiale. Dans le domaine de la santé, les algues constituent un allié puissant. En consommer de façon répétée diminue le risque cardio-vasculaire, aide à lutter contre certains cancers (digestifs,
sein), mais aussi contre l’obésité et la maladie d’Alzheimer. Elles ont prouvé leur efficacité dans la lutte contre le Covid-19 lors d’essais cliniques effectués en 2021 (sur l’activité antivirale). Et ont montré des effets impressionnants sur la mucoviscidose.

Au-delà d’être bonnes pour la santé, leur consommation est plus que jamais pertinente alors que les ressources se raréfient. D’ici à 2030, il faudra produire 70 % de nourriture en plus avec de moins en moins de ressources. Régine Quéva, dans son livre Les Super-pouvoirs des algues (éd. Larousse, 2019), rappelle qu’elles ne génèrent pas de gaz à effet de serre, ne puisent pas dans les réserves d’eau douce, ne détruisent aucune forêt et sont pleines de protéines. Les terres arables sont limitées et déjà victimes des cultures intensives. Les océans forment 70 % de la surface de la terre. En fait, le poumon vert de l’humanité est bleu ! Les algues produisent environ 70 % de l’oxygène de l’atmosphère et selon l’ONG Ocean 2050, elles séquestrent 3,5 fois plus de carbone que la forêt amazonienne. Elles s’avèrent donc essentielles pour réduire l’impact du réchauffement climatique. « Cultiver des algues sur seulement 2 % des océans permettrait de limiter cette hausse », s’émerveille Cécile Bury de Neptune Elements.

Là où elles poussent, les réserves de poisson augmentent car elles dynamisent l’écosystème alentour en devenant des lieux de reproduction. C’est ce que constatent Magali Molla et Jean-François Arbona, biologistes de formation, algoculteurs depuis 1983 et fondateurs de C-Weed Aquaculture. Dans leur concession d’algues de 12 ha au large du village côtier de Saint-Suliac, dans le département de l’Ille-et Vilaine, ils ont vu au cours des années la quantité de poissons, d’huîtres et même de homards augmenter autour de leurs algues brunes, poétiques bras végétaux qu’ils récoltent de mars à mai après avoir ensemencé des cordes de culture. Ana Ribeiro, d’Algaplus, entreprise portugaise innovante, la première en Europe à se lancer dans la IMTA (aquaculture trophique intégrée), a vu les ressources halieutiques se densifier en même temps que la culture de ses algues, faisant le bonheur de pêcheurs, au départ réticents. C’est la magie de la bioéconomie bleue circulaire.

Pour limiter les dommages liés à l’agriculture, l’association bretonne « Merci les algues ! » promeut leur utilisation dans l’alimentation des volailles ou pour biostimuler les productions agricoles. Résultat : les animaux sont moins malades et les plantes se défendent mieux elles-mêmes. Moins d’antibiotiques et moins de pesticides, « moins de chimie », résume Eric Philippe, vice-président, c’est enfin envisager une vision plus raisonnée des cultures terrestres. Grâce au potentiel des algues. Elles représentent aussi des alternatives aux emballages plastiques. La start-up anglaise Nopla promeut un packaging durable, transparent comme du plastique mais à base d’algue brune, et biodégradable en quelques semaines. En Allemagne, la start-up Vyld tente de mettre au point un tampon hygiénique à base de fibres d’algues, remplaçant le coton, cette plante qui utilise 2 % des terres cultivables, 25 % des pesticides mondiaux et nécessite 4 000 litres d’eau par T-shirt.

Tant d’avantages donneraient presque le tournis. Mais, malgré leurs étonnantes capacités d’adaptation, les algues sont en danger et disparaissent en silence. La vaste forêt sous-marine californienne, surnommée kelp highway (l’autoroute du varech), a perdu 90 % de sa surface ces cinq dernières années, à cause du réchauffement des eaux. « Un incendie ravage les océans. C’est moins visible que la disparition de l’Amazonie car il n’y a ni flammes ni fumée », déplore Vincent Doumeizel. Attention à ne pas reproduire sous la mer les dommages des productions intensives sur terre. « La Chine [qui produit 70 % des algues mondiales, ndlr] a trop sélectionné les souches de ses algues. Résultat : on assiste déjà à des algues malades ou pas résistantes à cause de leur consanguinité. Il faut conserver le potentiel évolutif des populations cultivées », met en garde Aurélien Baud. Le risque d’arrachage sauvage d’algues est également soulevé par certains, les empêchant de repousser et épuisant les quantités disponibles dans la nature.

Un marché balbutiant

Et puis, on ne peut pas tout faire : un temps, l’espoir de créer du biocarburant a enflammé les esprits. Mais la belle idée s’est avérée un mirage : le rendement pour la conversion des algues s’avérant trop faible. Enfin, il existe encore un décalage entre l’enthousiasme des chercheurs et les fonds investis. Le marché croît mais il est toujours majoritairement asiatique à plus de 90 %. Les algues européennes restent encore un marché balbutiant (1 % de la production mondiale), le marché français dérisoire (0,25 %, avec la Bretagne comme centre névralgique). Lars Lundqvist, responsable des ventes chez Nordic Seafarm, une ferme suédoise, constate une hausse régulière des ventes, boostées par des consommateurs soucieux d’acheter un produit sain et local.
Mais l’entreprise, créée en 2016, n’est toujours pas rentable malgré plusieurs levées de fonds. « Quand les grands groupes vont nous demander des quantités importantes d’algues, il faudra être prêt, affirme-t-il. Il faut apprendre à changer d’échelle. » Alors, oui, les algues sont formidables, mais attention au terme miraculeux, met en garde Mirjam Czjzek, car il faut prendre en compte les milieux social et culturel : « Il faut adapter la culture des algues à l’endroit où l’on habite. Si l’on croit que c’est un remède, ce n’est pas pour autant une solution universelle. » Pour repartir d’une page blanche et éviter sous la mer les drames de l’agriculture terrestre, il est urgent de mettre sur pied « un modèle régénératif de permaculture sous-marine », estime Vincent Doumeizel, qui permette de tirer avantage, en toute innocuité, des bienfaits pléthoriques de l’or bleu.

Publié dans We Demain n°38