Les pharmaciens survivent dans le désastre haïtien

14 août 2010  |  dans Santé

Corentin Fohlen/Fédéphoto

Corentin Fohlen/Fédéphoto

Quatre mois après le séisme, les pharmacies, dont 85% étaient situées à Port-au-Prince, se relèvent difficilement. La plupart des bâtiments sont à terre et les officines doivent faire face à la pénurie des fournisseurs et à la concurrence d’un marché noir plus florissant que jamais. Rencontres.

La pharmacie de Reynald Rema fait figure de miraculée dans le paysage des officines haïtiennes. D’abord parce qu’elle est encore debout, ce qui est loin d’être une évidence dans la capitale ravagée par le séisme, ensuite car les secousses n’ont causées aucun dommage au bâtiment. «Ici, seules les bouteilles de médicaments ont explosé, raconte le pharmacien de 32 ans. Nous avons eu beaucoup de chance». Il faut dire que la pharmacie de Reynald est située à Pétion ville, un quartier résidentiel dans les hauteurs de la capitale et donc moins touché par le tremblement de terre. D’autres ont eu moins de chance : «De nombreux confrères sont morts ou blessés, d’autres ont tout perdu, leurs proches, leur officine et leur maison, constate tristement le pharmacien. C’est pour cela que la plupart n’ont pu reprendre leur activité».

Et pourtant, malgré sa situation privilégiée, les affaires de Reynald, n’ont jamais été si mauvaises. «Depuis le séisme, j’ouvre moins longtemps, car il y a moins de clients » (de 10h à 20h contre 8h à 22h, avant le 12 janvier, ndlr). C’est un paradoxe, il y a beaucoup plus de malades, mais plus personne n’a les moyens. Les clients n’achètent donc plus ou en très faible quantité». Comme pour faire écho au propos du praticien, un jeune homme fait son entrée dans le carillon de la porte. Alors qu’il tend son ordonnance, il demande à Reynald de ne lui fournir qu’une partie de la prescription. A l’aide d’un ciseau, le pharmacien découpe deux gélules sur la plaquette d’anti-inflammatoires. Le client repartira donc avec ses deux comprimés, dans un grand sac en papier.

La baisse du nombre de clients n’est pas le seul problème auquel est confronté le pharmacien : «aujourd’hui, le plus difficile est de se fournir », explique Reynald. En effet, la plupart des entrepôts des fournisseurs, situés aux abords de la capitale, n’ont pas résisté au tremblement de terre. «Nous essayons de nous procurer la marchandise à l’étranger, mais c’est beaucoup plus cher», se plaint-il. Du coup, les étagères de l’officine de Reynald, comme celles de la plupart des pharmacies rescapées, font peine à voir : « une seule unité ou presque par médicament », avoue le pharmacien haïtien. Les patients, quant à eux, semblent s’habituer à cette pénurie. Ainsi, Laura, 22 ans, qui sort de l’officine, s’est rendue dans trois pharmacies avant de réussir à se procurer sa prescription. «Les médecins nous donnent 5 ordonnances différentes avec des médicaments équivalents, pour être sûr que nous puissions en trouver au moins un», explique la jeune femme.

«Les employés se transforment en psychologues »

A plusieurs kilomètres de là, dans un quartier plus populaire, la pharmacie de Lupercio Duversedeau, ne désemplie pas. Son officine fait également partie de ces « miraculées » du séisme. Pour lui aussi, la période est noire : « mes bénéfices ont fondus de 60%, explique-t-il. Nous avons dû baisser les prix, car les patients sont devenus encore plus pauvres qu’avant». Aussi, à cause de la pénurie, le pharmacien a de plus en plus de mal à répondre aux besoins croissants des patients. «Les gens sont très choqués, angoissés par leurs conditions de vie dans les camps de réfugiés, il y a donc une forte demande d’antidépresseurs, de calmants et d’antidouleurs, qui sont très cher et difficiles à se procurer».

En outre, «les prix des médicaments explosent et les fournisseurs ne font plus crédit», la situation de la pharmacie familiale est «de plus en plus dure». «Mais on essaye de s’adapter, qui a perdu sa femme et sa fille. « Il passe tous les jours à la pharmacie, pour parler», raconte le gérant. Toutefois, Lupercio considère que ces problèmes de pénurie sont « provisoires ». En revanche ce qui l’est moins, c’est la nouvelle concurrence à laquelle les officines rescapées sont confrontées : «des milliers d’ONG distribuent des médicaments dans tous les sens ! s’indigne Lupercio. Il faut aider les gens, mais comme il ya peu de coordination, leurs dons se retrouvent sur les étals des vendeurs illégaux ». Et de s’énerver encore : « avant le séisme ce n’était déjà pas facile de rivaliser avec le marché noir, aujourd’hui comment voulez-vous que nous résistions à une telle concurrence ? ».

Le commerce illicite, n’est pas un problème nouveau dans le pays : en 2004, selon la Direction du médicament du ministère de la Santé, il représentait déjà 30% du marché du médicament. Dans les rues, les nombreux vendeurs avec leurs bassines de médicaments ne se cachent même pas pour vendre leur marchandise illicite sur les étals des marchés. Malheureusement, aucun d’entres-eux n’aura voulu nous dire s’ils se procurent leur marchandise auprès des ONG. En tout cas, Lupercio en est convaincu, aux médicaments périmés, interdits à la vente, sous dosés ou sans principe actifs, viennent désormais s’ajouter, les dons des ONG. « C’est un vrai problème de santé publique, conclut Lupercio. Les vendeurs ne sont pas formés, ils vendent n’importe quoi, c’est moins grave quand les médicaments ne sont plus actifs, mais les produits des ONG, eux, sont efficaces ».

Corentin Fohlen/Fédéphoto

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« On reçoit des médicaments, par avions entiers »

A Port-au-Prince, il est impossible de passer à côté des milliers d’ONG médicales arrivées au lendemain du séisme. Elles sont partout, dans les rues, les camps de réfugiés, dans les hôpitaux de campagnes. Dans leurs équipes, souvent, un ou deux, voir une dizaine de pharmaciens volontaires. C’est le cas de Médecins Sans Frontières, une des plus importantes organisations présente dans le pays. Depuis trois mois MSF a même installé un « hôpital gonflable » eu cœur de la capitale. Ici, la pénurie n’a pas cours, c’est au contraire un service médical de pointe que l’ONG offre aux sinistrés. Côté pharmacie, l’hôpital n’a presque rien à envier aux structures hospitalières modernes: 3 tentes énormes regorgent de médicaments et sont gérées par une dizaine de pharmaciens internationaux et haïtiens.

Sous une des tente-pharmacies, Céline Mounier pharmacienne salariée de MSF depuis 5 ans, s’active entre les étagères. « Il y a beaucoup de travail, on reçoit des avions entiers de médicaments, et il faut tout mettre aux standards MSF», souffle-t-elle. En plus de la gestion logistique de la pharmacie de l’hôpital, Céline doit aussi s’occuper de la formation des pharmaciens haïtiens. C’est ainsi que Dupré Aristroupt, 32 ans, pharmacien hospitalier avant le séisme, assiste Céline au quotidien. « Je dois m’adapter à la culture MSF, s’enthousiasme Dupré. C’est passionnant, je découvre des médicaments et du matériel que je ne connaissais pas ». Il y a quelques semaines le jeune praticien à équipé le service de « l’ostéosynthèse», une pratique médicale dont il n’avait jamais entendu parler. Pour autant, Dupré n’envisage pas son avenir dans les équipes internationales de MSF : «si j’apprends tout cela c’est bien pour en faire profiter les Haïtiens, parce que les pharmaciens français, eux, n’ont pas vraiment besoin d’aide ! »

Leila Minano/Youpress

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