Le quotidien d’une infirmière haïtienne, 4 mois après le séisme

14 août 2010  |  dans Santé

Natalia

Corentin Fohlen/Fédéphoto

Le séisme du 12 janvier a bouleversé la vie du personnel soignant haïtien. La plupart des structures médicales détruites, la plupart travaillent avec les ONG dans les hôpitaux de campagne. Rencontre avec Natalia, infirmière à l’Hôpital Général de Port-au-Prince.

Pour Natalia, il y a « un avant et un après » séisme. Car depuis le 12 janvier, ce jour où la terre a tremblé sous la capitale et ses environs, sa vie a changé. Personnellement, car son appartement s’est effondré dans les secousses : l’infirmière vit donc, comme une grande partie de ses collègues, sous une bâche, dans un camp de réfugiés. Et professionnellement, car la soignante de 38 ans fait partie de ces centaines de soignants dont l’hôpital ou la clinique ont été détruits dans le séisme. Il n’en reste qu’un tas de ruines et j’ai perdu la moitié de mes collègues, témoigne, émue, l’infirmière. J’étais très choquée, mais ce n’était pas le moment de se lamenter, les blessés avaient besoin de nous».

C’est à l’hôpital Général, une des plus importantes structures de la capitale, que Natalia est embauchée au lendemain du désastre. Malgré ses 15 années d’expérience, celle- ci est un peu déboussolée quand on l’affecte au service de chirurgie. «Je n’avais pas le choix, beaucoup d’infirmières étaient décédées, explique-t-elle. Et les besoins étaient énormes car des milliers de patients devaient être opérés». Quatre mois après le séisme, la phase d’urgence est passée mais le nombre de patients a considérablement augmenté. «Je dois m’occuper de 20 patients par jour», souffle l’infirmière. En revanche, aujourd’hui, les horaires sont redevenus normaux : «pendant les semaines qui ont suivies le séisme, on travaillait sans s’arrêter, raconte-t-elle. Maintenant, c’est règlementé, on travaille de 7h à 13h ou de 13h à 19h ou encore de 19h à 7h ».

La seule chose qui ne change pas : « la débrouille »

Selon Natalia, la seule chose que le séisme n’a pas changée dans les hôpitaux haïtiens, est « la débrouille ». «Ici, on fait toujours avec les moyens du bord. Quand on n’a pas de gel désinfectant, on utilise de l’eau, quand on n’a pas de coton, on se sert d’une serviette. Cela peut choquer, mais on le découvre dès la dernière année à l’école d’infirmière (les infirmiers sont formés en trois ans après le bac, la dernière année étant un stage, ndlr)», raconte Natalia. «Mais les personnels internationaux des ONG ont du mal à s’adapter à notre fonctionnement, ils sont très attachés à leur protocole, constate-t-elle. Par exemple, ils refusent de prêter le matériel car il ne doit pas sortir de leur tente sans une autorisation écrite.

En Haïti ça ne peut pas marcher comme ça, surtout dans une situation critique». Pire, pour la soignante, «il y a une véritable défiance » des internationaux vis-à-vis des Haïtiens. «Nous n’avons pas l’habitude de cela. Chez nous, surtout à l’hôpital public où les conditions de travail sont difficiles, on se sert les coudes », poursuit Natalia. Toutefois, celle-ci admet que de plus en plus de jeunes infirmières préfèrent les cliniques privées où « il y a plus de moyens et où les salaires sont plus élevés». Un choix que Natalia a toujours exclu : «Moi, je crois que tout le monde a le droit de se faire soigner ». Avant de conclure : « en tout cas, aujourd’hui, il n’y a plus de différence, tout le monde travaille sous une tente. Pour aider les sinistrés on est tous du même côté ».

Leila Minano/Youpress