Bus gratuits, une solution d’avenir ?

8 mars 2012  |  dans Economie, France

Crédits : Nantes Métropole

Le secteur des transports urbains collectifs est en pleine mutation. L’heure est à l’intermodalité, une nouvelle mobilité qui réclame souvent de lourds investissements. Mais comment financer cette modernisation quand l’argent public se fait rare ? Certains misent sur la hausse des tarifs, tandis que d’autres parient sur la gratuité.

La décision a fait grincer bien des dents. En 2009, les dirigeants de l’agglomération du Pays d’Aubagne (101.252 habitants) appliquent leur promesse de campagne : la gratuité dans les transports publics. À l’époque, les bus roulent presque à vide avec 7.000 voyageurs en moyenne par jour. En proposant l’accès gratuit à tous, ils espèrent dynamiser la fréquentation et réduire la pollution.

Deux ans après, le pari est tenu : 15.000 voyageurs empruntent quotidiennement le réseau. Mais il a fallu vaincre les réticences de Veolia, entreprise en délégation de service public sur le secteur. « Ils ont essayé de nous décourager. Ils avaient très peur des dégradations et des agressions contre les chauffeurs. Mais nous avons évité cela en recrutant une centaine de médiateurs pendant six mois » raconte Nathalie Castan, directrice des transports de l’agglomération.

Concilier gratuité et investissement

La gratuité n’a pas non plus empêché Aubagne d’investir : dix bus ont été achetés cet été et un tramway sera mis en service en 2014. Mais l’agglomération a bénéficié d’un contexte favorable : en dépassant le seuil des 100.000 habitants en 2009, elle a pu augmenter le taux du versement transports (VT) de 0,6 % à 1,05% (1,8 % aujourd’hui).

« Le passage au gratuit nous a coûté 1,7 millions d’euros, mais le VT nous apporte 2,2 millions d’euros. Il nous reste donc une petite marge de manœuvre. Mais il faut avoir une gestion très rigoureuse, nous passons beaucoup de temps à optimiser les moyens » explique Nathalie Castan. Au niveau du report modal, les nouveaux passagers seraient autant d’anciens piétons que d’anciens automobilistes – conducteurs ou passagers – selon une étude réalisée en 2010.

La gratuité financée par les entreprises

Quatorze communes ont adopté la gratuité en France. Toutes possèdent le même profil : de petites agglomérations, dont les recettes commerciales étaient faibles et qui ont compensé l’arrêt de la billetterie par la hausse du VT. Compiègne (70.000 habitants), pionnière en la matière, finance ainsi ses sept lignes de bus et ses transports scolaires en grande partie par les 5 millions d’euros que lui rapporte le VT. Châteauroux, pour sa part, n’a procédé qu’à une faible hausse (0,55% à 0,6%). Mais la billetterie ne représentait que 14% de son budget en 2001 : 47% des usagers voyageaient déjà gratuitement. Le passage au gratuit pour tous, accompagné d’une refonte du réseau (trois lignes de bus supplémentaires), a permis de booster la fréquentation : 55 voyages par habitant et par an en 2008, contre 22 en 2001.

Tarifs : tendance à la hausse

Crédits : Nantes Métropole

Malgré ces succès, la gratuité laisse sceptique nombre d’acteurs des transports. Le Gart est ainsi clairement défavorable à la gratuité totale. « La gratuité est justifiée sur de petits réseaux dont le ratio recettes/dépenses est faible. Mais ailleurs les ressources commerciales permettent de développer les réseaux. La contribution de l’usager est logique si elle est associée à une tarification sociale. Il y a équité quand la gratuité s’applique uniquement aux personnes qui en ont vraiment besoin » estime Eric Veve, administrateur du Gart. Les ressources commerciales représentent en moyenne un tiers du budget des transports collectifs, à égalité avec les impôts locaux et le VT.

A l’heure actuelle, la tendance est plutôt à augmenter la contribution des usagers pour financer les investissements. C’est le choix fait par Nantes métropole en 2009. L’agglomération a simplifié sa tarification, rationalisé son offre de transports et augmenté ses tarifs de 11%. « La fréquentation n’a pas chuté: nous sommes en hausse de 3% sur l’année 2011, avec 114 millions de voyages annuels » assure Jean-François Retière, vice-président de Nantes métropole en charge des transports.

Finances publiques en crise

Selon Eric Veve du Gart, la hausse des prix ne serait plus un tabou aujourd’hui. « Avec la crise, les finances publiques se portent mal. De plus en plus d’AOT réfléchissent au levier que constituent les recettes commerciales ». Une solution qui va dans le sens de ce que souhaitent les transporteurs : défavorable à la gratuité, Veolia-Transdev, leader en France, est ainsi favorable à une « hausse mesurée » des tarifs. L’entreprise reconnaît cependant que chaque ville doit être étudiée au cas par cas.

« C’est un savant dosage à effectuer » assure également Eric Veve, du Gart. « Certains augmentent un peu pour tous, d’autres baissent les prix pour booster la fréquentation, comme l’abonnement annuel à 365 € dans les Alpes Maritimes. On peut aussi jouer sur la fidélisation, en ciblant les jeunes avec des tarifs préférentiels ». Un fragile équilibre aujourd’hui mis à mal par la hausse de la TVA dans les transports publics, décidée par le gouvernement le 7 novembre. « C’est un véritable coup dur » déplore Eric Veve, « l’Etat transfère sa charge de la dette aux collectivités. Si celles-ci refusent de répercuter cette hausse sur les usagers, elles devront trouver d’autres sources de financements comme l’emprunt ». Selon le Gart, cette mesure devrait coûter 84 millions d’euros au niveau national (dont 34 millions pour la région Ile de France).