Kenya : Mobilisation citoyenne contre la violence

1 avril 2013  |  dans International

© Julia Sestier

© Julia Sestier

En 2008, les violences post-électorales ont tué plus de 100.000 personnes au Kenya. Alors que le pays retourne aux urnes lundi, de nombreux kenyans se mobilisent pour éviter un nouveau bain de sang.

 

Une foule colorée se masse dans le parc Uhuru, en plein cœur de Nairobi. La Croix Rouge et l’ONG kenyanne Ni Sisi ont organisé un concert gratuit pour la paix. A 13 heures, les artistes s’interrompent. Chanteurs et public entonnent alors Ee Mungu Nguvu Yetu, l’hymne national kenyan. La même scène est en train de se répéter au même instant dans les principales villes du pays. L’objectif ? « Montrer aux Kenyans qu’au-delà de nos appartenances ethniques, nous sommes une seule et même nation » explique Tom Mboya, l’un des organisateurs de l’événement.

L’initiative n’est pas anodine : le Kenya est profondément marqué par ses divisions ethniques. La vie politique s’étant construite sur l’appartenance tribale, chaque élection est une potentielle source de violences. Une tension qui a culminé lors de la dernière élection présidentielle, fin 2007. Le président sortant, Mwai Kibaki, est déclaré vainqueur. Mais des soupçons de fraude s’installent et ses opposants l’accusent d’avoir volé la victoire. La contestation des résultats enflamme la touristique vallée du Rift et les bidonvilles de Nairobi, faisant plus de 100.000 morts et 600.000 déplacés.

Journalisme citoyen à Kibera

Frederick Bary et la carte des bureaux de vote de l'ONG Map Kibera. © Martin Vanden Bossche

Frederick Bary et la carte des bureaux de vote de l’ONG Map Kibera. © Martin Vanden Bossche

Traumatisée par cette explosion de violence, la société civile se mobilise aujourd’hui pour éviter un nouveau bain de sang. Des centaines d’initiatives ont vu le jour à travers le pays pour promouvoir la réconciliation. La mobilisation est particulièrement forte à Kibera. Ce bidonville de Nairobi a été au cœur des affrontements en 2008. Plus de 800.000 personnes vivent sur ces collines, souvent dans des cabanes en tôles privées d’eau ou d’électricité. Cette ville dans la ville, l’association Map Kibera la connaît par cœur. Elle a été la première à la cartographier il y a 5 ans. Grâce à ces cartes, distribuées dans le bidonville et parfois peintes sur les murs, les habitants peuvent repérer où sont les écoles, les dispensaires, les points d’eau, etc.

A l’approche des élections, Map Kibera a édité un plan indiquant les lieux des bureaux de vote. Elle se veut aussi un porte-voix pour la population. « Les habitants peuvent nous signaler par sms les événements dont ils sont témoins. Nous les publions ensuite sur la carte interactive de notre application mobile, car ici les gens utilisent beaucoup leur téléphone pour consulter internet » explique Fredrick Bary. Le jour des élections, une quinzaine de volontaires suivront le déroulement du vote dans le bidonville. « On a constaté que les gens s’attaquent car ils sont souvent mal informés. Nous espérons qu’avec ce journalisme citoyen on évitera les manipulations » explique-t-il.

Œuvrer à la réconciliation

La même volonté anime la radio Pamoja FM. Installée dans un petit studio au cœur de Kibera, elle est très écoutée dans le bidonville. Elle travaille avec d’autres associations locales pour désamorcer les tensions au sein de la population. « Nous avons pris l’initiative d’ouvrir le débat et de lancer un défi à notre communauté » assure Philip Muhatia, manager de la station. « Je pense que le gouvernement n’a pas fait assez pour la réconciliation, notamment concernant les spoliations qui ont eu lieu pendant les violences. Nous, nous avons organisé des forums, débattu à la radio, formé nos nos journalistes à la couverture de conflits… Nous avons fait notre maximum » s’exclame-t-il. « Mais je pense que ces élections seront pacifiques » glisse-t-il en souriant.

Angela Crandall recense et analyse les propos haineux sur le Net. © Martin Vanden Bossche

Angela Crandall recense et analyse les propos haineux sur le Net. © Martin Vanden Bossche

Une mobilisation qui gagne aussi la Toile. Depuis six mois, les informaticiens du collectif iHub recensent et analysent les discours haineux propagés sur les réseaux sociaux. « Facebook concentre la majorité de ces messages discriminants ou dangereux. Comme les gens s’adressent à leur groupe d’amis, ils se sentent sans doute plus libres d’attaquer une ethnie perçue comme rivale » note Angela Crandall, la responsable du projet. L’enjeu est de taille : le nombre d’internautes a presque doublé en cinq ans. Aujourd’hui, un tiers des Kenyans utilise la Toile. « Nous avions constaté en 2007 que les propos sur internet avaient un impact sur les violences sur le terrain. Dans le cadre de ce projet, nous avons mené des ateliers auprès des blogueurs et des médias pour sensibiliser aux risques de ces discours haineux. Mais c’est un processus long qui se poursuivra bien après les élections ».

Si aujourd’hui la majorité des Kenyans assure que le pays a retenu la leçon des violences de 2007 et 2008, le risque que l’histoire se répète n’est pas à écarter. Les ethnies Kikuyus et Kalenjins, ennemis hier, se sont aujourd’hui alliés derrière Uhuru Kenyatta. Mais le fils du premier président kenyan est poursuivi par la Cour pénale internationale pour son implication dans les affrontements de 2008. L’ethnie Luo, elle, compte bien voir son champion Raila Odinga remporter la victoire qui lui avait échappé lors du dernier scrutin.