Very good trip

29 janvier 2025  |  dans France

Nounours (a g.) et Axl sont ensemble chez United Riders. Ici, ils trient les vetemps a emporter pour la maraude. © Constance Decorde / Hans Lucas

Ils ont de très très grosses motos, des blousons de cuir sur le dos et avalent de l’asphalte au kilomètre. Mais leurs équipées sur leurs engins pimpés ont un but bien particulier: aider les sans-abris. Bienvenue dans un club de bikers pas comme les autres, les United Riders.

Nounours, grand énergumène de 56 ans, a tout du rider qui se respecte: l’air bourru au premier abord, les cheveux longs poivre et sel attachés en queue de cheval sous un bandana noir, un gros blouson de cuir portant au dos les armes de son club, et bien sûr un engin qui envoie, une Fatboy 114. « Avant, je faisais déjà partie des Vulcan Rider, confie-t-il. J’aimais le côté soudé, l’ambiance, la fratrie, les rides, les bouffes. Mais ça ne suffisait pas, j’avais besoin de plus. Pas juste rouler entre copains et boire des bolées. Quand j’ai entendu parler d’United Riders, ça m’a tout de suite parlé. » Car les membres de la confrérie en question ne se contentent pas d’avaler de l’asphalte au kilomètre. « C’est un club de bikers qui aide aussi les personnes défavorisées. Je me suis dit: je vais pouvoir faire quelque chose pour les autres tout en roulant ! » Dans le civil, Nounours fait de l’expertise électronique, mais « c’est secret défense, donc on n’en parle pas ». En 2019, emporté par sa passion, le motard a créé l’antenne United Riders (UR) de Bretagne, basée à Rennes. Las, pour sa tournée du jour en ce mois pluvieux et froid de novembre, en compagnie de Marie, Axl, Jack et Nico, il lui faudra laisser sa bécane et la troquer contre une camionnette blanche, météo oblige. Laquelle est évidemment customisée: son pseudo est écrit en noir sur le capot, à côté d’un Teddy tout mignon et une tête de mort grimace sur une des portes arrière. Fidèle à la culture custom si chère aux bikers. United Riders est la première et unique ONG de motards au monde. La condition sine qua non pour en faire partie est la même que dans les autres clubs: savoir chevaucher une moto de plus de 750 cm3 – pour les néophytes: une moto à l’américaine, taillée pour la route, d’une géométrie privilégiant la stabilité et la détente et une position de conduite très typée. Comme d’autres organisations de bikers, les valeurs de camaraderie et d’entraide sont primordiales. C’est sa mission qui la rend singulière: aider les personnes défavorisées, en France et ailleurs. Un objet qu’elle s’est assigné dès création en 2016 à Paris. Quelque 500 bénévoles et réservistes sont aujourd’hui ralliés par l’organisation, répartis dans une vingtaine d’antennes partout en France. Indispensable accessoire de tout biker qui se respecte, les blousons de cuir du club arborent dans le dos une roue de moto, où figure une carte du monde, le tout surmonté d’une épée et de deux ailes.

L’ONG de bikers United Bikers organise aujourd’hui une action en faveur des sans abris Place des fêtes à Paris. Le RDV a ete fixe au siege de l ONG a Bobigny d’ou les bikers partiront tous ensemble vers Place des Fetes. © Constance Decorde / Hans Lucas

 

Le symbole des valeurs du club, que sont la justice, l’universalité et la liberté. Le cœur d’activité des United Riders, « ce sont les maraudes auprès des SDF », expliquait une semaine plus tôt Joël, sergent d’armes chargé de faire respecter la charte des United Riders. Lors de l’événement caritatif 100 motards pour sans-abri, à l’arrivée du peloton d’une centaine de motards qui avait défilé de Bobigny à Place des fêtes, il avait précisé: « On intervient aussi lors de catastrophes naturelles. Dans la vallée de la Roya en 2020, en lien avec les équipes locales, on a remis en place le raccordement à l’eau d’un village. En 2022, on était aussi à la frontière ukrainienne, avec trois semi-remorques de produits de premier secours, dont des sacs mortuaires. Enfin plus récemment, après le tremblement de terre au Maroc, notre antenne locale est directement venue en aide aux sinistrés. »

« C’est sûr que c’est sexiste »

Au local de stockage de dons à Brécé, petit village perdu au milieu des champs à quelques kilomètres de Rennes, le reste de l’équipe d’UR – Marie, Axl, Jack et Nico – s’affaire. Des dizaines de cartons remplis de vêtements de différentes tailles sont entreposés sur les étagères en métal du box en tôle. « On reçoit beaucoup de dons de particuliers: des pulls, des pantalons, des blousons, des chaussures. On a parfois des choses totalement neuves! », décrit Nounours. Marie, dynamique petite femme blonde d’une soixantaine d’années et Axl, grande rousse énergique de 46 ans, sont en train de trier les vêtements pour femmes à emporter pour la maraude. À côté, les cartons de vêtements pour hommes sont préparés par Jack et Nico. De quoi avoir chaud, avec ce vent qui glace les veines: doudounes, écharpes, bonnets, bottes.  « Ça, à ton avis, ça irait à la rue?», lance Marie en passant devant elle une robe légère à fleurs. Les blagues et les rires fusent sous les gouttes de pluie. La fraternité est palpable. Mais fait-il bon vivre pour une femme dans ce monde encore très masculin? La réponse de Marie fuse, sans filtre: « Les clubs de bikers, c’est sûr que c’est sexiste. Moi, je ne comprends pas pourquoi: on fait la même chose que les mecs pourtant! En être encore là en 2023, je trouve ça terrible. Je ne me gêne pas pour leur dire, moi, aux chefs! » Aide-soignante et bikeuse, Marie a été considérée invalide par la Sécurité sociale en 2020, après un arrêt cardiaque et trois semaines dans le coma. Sur les conseils de son ami Jack, elle et sa Harley 1 200 Sportser ont rejoint UR il y a deux ans. Le social et la précarité, Marie connaissait déjà. Et cette sensation d’être encore utile lui apporte du réconfort. « Moi j’ai un toit, mais c’est un peu la misère quand même. Souvent, les gens dehors sont tombés malades puis ils ont tout perdu. Ça peut arriver à tout le monde. » Jack, 65 ans, chez UR à Rennes depuis ses début – il était alors seul avec Nounours pour faire les maraudes – est de ceux qui soutiennent « J’accepte les règles, mais c’est vrai que je ne comprends pas pourquoi les femmes n’auraient pas aussi leurs couleurs. Je trouve que c’est important qu’elles soient là ».

Axl, 46 ans, a rencontre United Riders en même temps que Nounours en septembre 2022. Depuis, elle est reserviste dans le club. © Constance Decorde / Hans Lucas

 

Leurs couleurs? Une expression qui fait partie du jargon de chaque club de bikers, et reflète sa hiérarchie très stricte. Chez UR, on est tout d’abord bénévole ou hangaround, comme Nico, 31 ans, chauffeur de poids lourds, qui effectue aujourd’hui sa deuxième maraude. Puis on devient réserviste: commence alors une période de probation. Un petit patch apposé sur le blouson de l’apprenti montre à tous qu’il a passé le cap. « Être réserviste, tout le monde passe par là. Ça sert à s’assurer que tu conviens au club, mais aussi que le club te convient: c’est une phase de test mutuel », précise Nounours. Cette étape réussie, le motard averti pourra entrer dans le saint des saints, « obtenir ses couleurs » et être « full patch ». Comprendre: porter tous les patchs du club sur son kutte, le fameux blouson en cuir sans manche arboré par tous avec fierté. Celui de Marie et Axl restera quasi vide. En tant que femmes, elles n’ont le droit d’arborer que le petit patch de réserviste. « Même si chez UR, ils sont plus ouverts que dans d’autres clubs et qu’on se sent à l’aise, », regrette Axl, 46 ans, aide-soignante à Dinan. C’est en arrivant chez United Riders en septembre 2022, qu’elle a rencontré son compagnon actuel, le fameux Nounours. Depuis janvier, au volant de son Harley 883 Sportser, elle est, avec Marie, l’une des deux seules femmes de l’antenne bretonne. Alors, à quand le changement et l’égalité? « Avant, les clubs de bikers étaient racistes, aujourd’hui, ils sont encore sexistes. Tout cela progresse, mais sûrement pas assez vite. Permettre aux femmes d’obtenir toutes leurs couleurs serait peut-être un changement trop radical, mais il faudrait quelque chose d’intermédiaire, un signe plus important que ce petit patch de réserviste », tente Nounours. L’air circonspect de Marie et Axl montre qu’elles ne sont guère convaincues par cette proposition trop frileuse. Le combat féministe attendra encore un peu. L’heure est au départ pour la maraude et tout le monde monte à bord de son véhicule: voiture, camionnette ou Harley Electra 1580 pour Nico, le seul de l’équipe à avoir osé affronter la pluie sur deux roues.

Place Sainte Anne, des SDF viennent prendre des vêtements donnes par les membres des UR. Au milieu, Nounours. © Constance Decorde / Hans Lucas

 

« Ils nous parlent normalement eux au moins »

Première étape: la place où Olivier, tout sourire, assis devant l’entrée du Carrefour Market, semblait attendre les bikers. Après les salamalecs de rigueur et de chaleureuses poignées de main, Nico sort d’une de ses sacoches une grande couverture marron et la lui tend. « Tu as besoin d’autre chose? », lui demande familièrement Marie. C’est qu’à force de voir « les gars », comme elle les appelle, les United Riders les considèrent comme des copains. Jusqu’à fêter parfois leur anniversaire, comme celui de Psyché. “Il vivait sous un pont depuis cinq ans. Un jour de maraude, on a appris la date de ses 50 ans, et on est revenu spécialement le jour J avec quelques petits cadeaux. L’année suivante, on lui a fait à nouveau la surprise et on l’a emmené faire un tour de Harley avec une bière en terrasse à la fin !, raconte Nounours, encore ému. Le pire, c’est d’apprendre que l’un d’entre eux est mort. Récemment, on est allé à l’enterrement d’Eddy. C’était terrible”, ajoute Nounours. Avec la crise sanitaire, la crise du logement et l’inflation, Selon un article du Télégramme du 1er novembre 2023, Rennes, 220 000 habitants, compterait au moins 2 000 personnes à la rue. Paris, 2 millions d’habitants en dénombrait 3 000, selon le comptage effectué lors de la dernière Nuit de la Solidarité en février 2023.

« En tout cas, ils sont top! Ils sont mieux que les autres associations: ils nous parlent normalement eux au moins! », lance Olivier lorsque les motards plient bagage. Un peu plus loin, devant le Super-U, Pirate, de son vrai nom Ada, tatouage et œil gauche borgne, accepte de bon cœur la veste militaire taille 42 que lui tend Jack. En revanche, il refuse les pulls: il en a déjà assez. Bientôt, suivi de son chien, il repart. Il passera la nuit avec des copains dans un squat récemment ouvert. Jack reprend le volant de sa voiture. « C’est sûr qu’United Riders, ça m’a permis de relativiser, de se dire qu’on est chanceux. Je suis content d’aider. Quand je rentre chez moi, je pense à eux. Et je ne me suis jamais senti en insécurité avec eux, on ne m’a jamais demandé même un seul euro! » Au Les Trois Soleils, pas grand monde, à part Julien et un de ses amis, fortement imbibé, mais à l’alcool joyeux. Après avoir passé presque un an à la rue, Julien, la trentaine, l’air fragile de ceux qui en ont déjà trop vu, a emménagé dans un appartement il y a quelques mois. « Mais je retourne quand même voir les copains. La rue, ça ne s’oublie pas. Puis chez moi, je me sens seul, comme je ne peux toujours pas voir mes enfants », avoue-t-il sous l’œil bienveillant de Nico qui lui fourre bientôt des manteaux d’hiver dans les bras. « Ça me touche beaucoup ce qu’UR fait, parce que j’ai eu dans mon entourage proche quelqu’un qui a connu la vie à la rue », ajoute pudiquement le biker bénévole.

La camionnette de Nounours, customisée avec une tête de mort. A cote, Axl sort une couverture pour les SDF. © Constance Decorde / Hans Lucas

 

D’égal à égal

La maraude continue vers la place de Bretagne, où une bagarre vient d’éclater entre Marco, quadragénaire gouailleur aux cheveux ébouriffés et dreadlocks, et Kali, pourtant son ami de longue date. « Au début, les SDF, ça peut faire peur c’est sûr. Mais une fois que tu as apprivoisé leur chien, ils sont adorables. En tout cas, la plupart du temps! », explique Axl pendant que Marco tombe dans les bras de Nounours. C’est qu’au bout de quatre ans de maraude, les bikers sont bien connus des sans-abris, de vraies affinités se sont nouées. Marie lui fait aussi la bise et lui donne vêtements chauds et chaussettes, ainsi que des croquettes pour son chien. Avant que la camionnette blanche de Nounours et le reste du convoi ne repartent vers la dernière étape du soir: la place Sainte-Anne.  Dans ce haut lieu du tourisme et des nuits rennaises, des associations caritatives viennent régulièrement distribuer de la nourriture pour les sans-abris. Quelques personnes viennent poliment se servir dans les caisses débordant de vêtements disposés devant la moto de Nico. Ainsi de Normand, la trentaine à peine, dont les deux chiens jappent de joie à la vue de Nounours. « Je les ai connus tout petits ! » explique le grand gaillard avant de leur faire des mamours. « Ça peut aller ces derniers temps, on a une piaule avec ma nouvelle copine. Et je vais sans doute faire un enfant avec elle », raconte Normand, que la rue a déjà passablement abîmé. Un homme corpulent, pieds nus dans ses tongs, cherche un manteau chaud, pendant qu’un jeune, équipé d’une tente sur le dos, essaie plusieurs vestes. « Elle me va bien celle-là ? », demande-t-il avec une certaine coquetterie à Marie et Jack. Le duo validera l’outfit. Pendant environ une heure, une dizaine de personnes passe prendre des habits, pour eux ou pour d’autres personnes de la rue, bavarder, parfois rire. Et c’est sans doute une autre des spécificités des United Riders: ils prennent le temps de parler avec les SDF. Pas comme à des bénéficiaires de programmes de charité, mais d’égal à égal. Ils donnent des vêtements, mais aussi de leur temps et de leur considération.

Marco (au milieu) un SDF habitué des United Riders, discute avec Nounours (bandana sur la tete.) © Constance Decorde / Hans Lucas

 

Changement de décor: les bikers sont en périphérie de Rennes, à Mézières, dans le bar restaurant le Sous-Bock, grand hangar dédié à la musique métal au bord d’une route nationale. Marie, Axl, Nounours et Nico installent à l’entrée un stand United Riders pour la vente de T-Shirts, portes clés, patchs, autocollants et tote bag à l’effigie du club. Les recettes iront remplir les caisses de l’antenne, même si « on évite d’avoir trop d’argent, ça entraîne toujours des problèmes », précise Nounours. Romu, patron du bar a publié un post sur Facebook demandant à chaque spectateur du concert d’apporter une paire de chaussettes ou des sous-vêtements. « Parce que c’est ce qui nous manque le plus pour ceux à la rue », ajoute Nounours. L’heure est à la détente. Après cette journée bien remplie, les bikers discutent autour d’une table, un verre à la main, ou plutôt une corne celtique pour Nounours et Axl. Sur scène, le groupe Les Red Rowen and the Madchester dédicace une de ses chansons aux United Riders, qui, rejoints par quelques amis et une des filles de Marie, lèvent leur verre et trinquent à la santé des sans-abris. Faire partie d’un club de bikers sans se contenter de rouler entre copains et boire des bolées: mission accomplie pour les United Riders.