Briançon : accueillir à tout prix
29 janvier 2025 | Constance Decorde dans Société

Octobre 2023, dans les montagnes juste apres la frontière Italienne. Un gendarme surveille la frontière franco-italienne pour voir si des personnes migrantes sont en train d’essayer de passer la frontiere pour venir en France. Il vient de Toulouse et fait partie des renforts envoyes recemment pour garder la frontiere. ©Constance Decorde / Hans Lucas
« Quelqu’un peut-il m’aider à installer les deux tables devant le camion ? » Quatre bénévoles viennent d’arriver du Refuge Solidaire avec d’énormes marmites. Une centaine de personnes font la queue et acceptent de bon cœur les louchées de riz aux légumes, sauce tomate et curry. Dans la grisaille de ce jeudi d’octobre, ils mangent debout par petits groupes, dans la cour de ce bâtiment désaffecté et surplombé, en arrière-plan, par les montagnes qu’ils viennent de franchir. Arrivés pour la plupart au village frontière de Clavières en bus depuis le refuge Italien d’Oulx, ils descendent ensuite les 1860 mètres depuis Montgenèvre jusqu’à Briancon. Une marche périlleuse et de nuit d’environ six heures à huit heures selon les chemins empruntés.
Ici, pas de réfectoire où s’asseoir, pas d’eau potable pour se laver les mains. Pas d’électricité non plus. Pourtant, le Pado est désormais le seul lieu d’hébergement de Briançon qui propose un accueil inconditionnel.
Le Refuge Solidaire, centre d’hébergement d’urgence situé dans les locaux des Terrasses Solidaires, a en effet fermé ses portes les 30 août 2023 : avec 315 personnes recensées dans un bâtiment homologué pour 81, les conditions de sécurité mais aussi de dignité ne pouvaient plus être respectées. « Nous avons décidé de fermer et donc de remettre en cause l’accueil inconditionnel » explique tristement Capucine, salariée des Terrasses Solidaires depuis deux ans et bénévole au CCFD-Terre Solidaire depuis son arrivée à Briançon en 2019.

Octobre 2023, la frontière franco-italienne à Claviere près de Briancon. Des tags ont ete ecrits: ACAB, No Border, Francia Kills: tous parlent des restrictions de plus en plus importantes a la frontiere, qui empechent les personnes migrantes de venir en France. © Constance Decorde / Hans Lucas
Si, dans un premier temps, la paroisse a mis à disposition le terrain de l’église Sainte-Catherine et une salle pour installer un campement provisoire, il a fallu trouver une autre solution. « Hélas, nous n’avons pas de lieu pérenne : on se contente de prêter main forte en cas de coup dur », regrette Jean-Michel Bardet, curé de Briançon.
C’est donc le Pado, un squat d’habitation à durée indéterminée ouvert par un collectif de militants mi-août, dont l’eau et l’électricité ont été coupées par le propriétaire, qui accueille désormais les personnes de passage à Briançon, dans des conditions extrêmement précaires. « L’État devrait pourtant garantir que les personnes ne soient pas soumises à des traitements inhumains et dégradant », s’exclame indignée Stéphanie Besson, accompagnatrice de montagne, autrice de Trouver Refuge et co-fondatrice en 2015 de l’association citoyenne de plaidoyer Tous Migrants.

Au Refuge Solidaire, Centre d’Hebergement d’Urgence pour les personnes migrantes qui viennent de passer la frontiere Italienne a Claviere. Le refuge a fermé en aout 2023, à cause d une suroccupation. Depuis, les benevoles, toujours présents, aident le collectif de militants qui gere le Pado, squat d’habitation qui sert de lieu d accueil inconditionnel pour les personnes migrantes. En cuisine, Zizou prepare les repas que des benevoles apporteront ensuite au Pado. ©Constance Decorde / Hans Lucas
Une politique d’accueil mise à mal
Pourtant, en 2015 et 2016 la municipalité (Parti Socialiste et Divers Gauches) décidait d’accueillir des personnes migrantes venues de campements de Calais et de Paris, jusqu’à les déclarer citoyens d’honneur de la ville. La mairie avait aussi mis à disposition les locaux d’une ancienne caserne de CRS qui servait d’hébergement d’urgence, ce qui a entraîné la création de l’association le Refuge Solidaire. Un réseau de solidarité s’était monté en réaction au drame migratoire, et toutes et tous participaient à leur mesure. En 2018, Briançon décidait même de rejoindre l’Association Nationale des Villes et Territoires Accueillants (ANVITA, lire le n°326).
Mais, depuis les dernières élections municipales de 2020 qui ont vu Les Républicains l’emporter, l’accueil s’est considérablement dégradé : non renouvellement du bail du Refuge, poursuites en justice de militants participant à des maraudes, augmentation des forces de l’ordre dans les montagnes, et refoulements quasi systématiques à la frontière.
« Samedi 14 octobre, une personne a été retrouvée morte, sans doute noyée, dans la rivière Cerveyrette. Même si rien n’est confirmé, il semblerait que ce soit un migrant. Pour moi, c’est insupportable de voir des gens risquer leurs vies comme ça dans nos montagnes. Ça me met hors de moi, c’est viscéral. Tant que ce risque existera, je serai là, à défendre les droits humains. » conclut, passionnée, Stéphanie.
Au Refuge, si l’accueil de jour était resté ouvert, avec un accès à des vêtements, une collation, une boisson chaude, des informations sur les horaires de train ainsi qu’à des soins de première nécessité, l’espace hébergement vient seulement de rouvrir ses portes. Uniquement pour les familles, les femmes et les mineurs de moins de 15 ans. Loin de l’accueil inconditionnel donc.
Restent les repas : environ 500 qui sont préparés chaque jour sur place dans la cuisine, et sont ensuite apportés au Pado, grâce à un roulement de bénévoles dont la motivation ne faiblit pas. « Les légumes sont cuits, il faut préparer le dessert maintenant », tonne Zizou en s’adressant aux autres bénévoles qui coupent, tranchent et tartinent dans la cuisine, au son d’une musique entraînante. Venus du Briançonnais principalement, mais aussi du reste de la France et même d’autres pays du monde, les bénévoles s’inscrivent en ligne avec leurs disponibilités et leurs compétences.

Des benevoles du Refuge Solidaire distribuent des repas chauds qu’ils viennent de préparer aux exiles du Pado, squat d’habitation autogéré qui constitue le seul lieu d accueil inconditionnel des personnes migrantes depuis la fermeture du Centre d’hebergement le Refuge Solidaire en aout 2023. ©Constance Decorde / Hans Lucas
Solidarité citoyenne
« Je ne crois pas qu’on sauvera le monde, mais on essaie au moins de faire quelque chose de digne avec les moyens que l’on a. Même si collectivement, on devrait faire beaucoup mieux », résume Jonathan, qui a commencé au Refuge comme bénévole en cuisine il y a quatre ans, avant de devenir salarié. « Heureusement qu’il y a la solidarité citoyenne », ajoute Capucine. « Parce que l’État fait tout pour qu’il n’y ait plus du tout d’accueil… »
Selon eux, il y a une volonté affichée de réduire les droits des personnes migrantes, parfois au mépris des lois internationales. Même la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), dans un arrêt rendu en septembre dernier, a décidé de limiter les possibilités de refoulement exercées par la France. Le CCFD-Terre Solidaire, qui soutient Tous Migrants depuis 2020, n’est apparemment plus non plus en odeur de sainteté auprès de la mairie. « Jusqu’à maintenant, nous avions toujours eu un stand pendant la Journée des Associations. Mais cette année, rien ! Nous n’avons pas eu de nouvelles suite à notre pré-inscription. » raconte Agnès, bénévole depuis 37 ans. Hasard ou volonté d’éloigner certaines associations d’aide aux migrants ?
La population Briançonnaise reste malgré tout mobilisée via des réseaux citoyens et solidaires. Les maraudes dans les montagnes sont pour Anne, co-présidente de Tous Migrants, des opérations de réduction des risques. « Il ne s’agit en aucun cas de faire passer des migrants comme on nous le reproche parfois, puisque nous restons sur le territoire français, mais de secourir des personnes en danger. Ce qui paraît paradoxal, c’est que ce sont des associations et mouvements dits d’extrême gauche qui en sont à rappeler l’État à ses responsabilités ! » ironise-t-elle, un peu découragée.
Les citoyens engagés sont unanimes : « Ce que nous défendons, c’est un premier accueil inconditionnel, pour un hébergement d’urgence, des informations légales, des soins. »
Des besoins fondamentaux, auxquels il faut bien que quelqu’un réponde.