De l’encre plein les doigts

29 octobre 2014  |  dans Culture

©Richard Volante

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Un nouveau souffle s’est emparé de la micro-édition d’art à Rennes. Quatre jeunes collectifs revisitent les techniques anciennes de la gravure et de la sérigraphie pour créer un univers graphique résolument contemporain. Baptisés Barbe à Papier, la Presse-Purée, l’ Imprimerie et l’Atelier du Bourg, ils ont organisé cet automne la 3e édition de leur Marché Noir, festival dédié « à la micro-édition manufacturée et indépendante ».


Aux murs, des affiches petites et grandes aux graphismes rétro, futuristes ou bizarroïdes. Sur les étals, des livres en tirages limités, des fanzines, des objets de papier, des cartes délurées… Bienvenue au Marché Noir. En septembre 2012, la deuxième édition de ce festival d’un genre unique à Rennes a pris possession du Jardin Moderne. Plus de 1500 visiteurs s’y sont bousculés le temps d’un week-end. « La plupart recherche des images originales réalisées en tirages limités » explique Charlotte Piednoir du duo Barbe à Papier, co-organisateur de l’événement.

©Richard Volante

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Le point commun de la vingtaine d’exposants ? L’impression manufacturée… sous toutes ses formes. Ici, les artistes remettent au goût du jour la lithographie, la sérigraphie et la gravure. Un temps tombées en désuétude, ces techniques anciennes reviennent aujourd’hui à la mode. « Il y a un renouveau des images faites à la main », constate Eric Mahé, graphiste du collectif L’Imprimerie. « On est aujourd’hui entouré d’images numériques. Les gens ont peut-être de nouveau envie d’images incarnées, le fait de maîtriser l’ensemble de la chaîne de production est revalorisé » suggère-t-il. Si le mouvement est national avec des métropoles très dynamiques comme Lyon, Paris, Lille ou Nantes, la capitale bretonne n’est pas en reste. Les ateliers se multiplient dans la ville depuis cinq ans.

 

Pour l’amour de l’encre et du papier

La Presse Purée a ouvert la marche en 2007. Fraîchement diplômés des Beaux Arts de Rennes,  Julie Giraud et Antoine Ronco souhaitent alors monter leur atelier de sérigraphie pour produire leurs travaux de manière indépendante. Mais le coup de pouce du centre d’art Le Bon Accueil va donner de l’ampleur au projet. « On a échangé un local contre des compétences. On produisait gratuitement les livrets et les impressions des artistes en résidence chez eux. Ça nous a plu et on a continué à imprimer pour d’autres » raconte Julie Giraud. Rejoints par Loïc Creff et Julien Duporté, le collectif collabore avec des peintres, des graphistes ou des plasticiens, en parallèle de leurs travaux personnels.

Il se mue aussi, à l’occasion, en éditeur. L’été dernier, ses membres ont ainsi conçu et imprimé manuellement 100 exemplaires d’« Œil pour œil », un ouvrage collectif réunissant les sérigraphies en 3D d’une douzaine d’artistes. Seule sur le créneau jusqu’en 2010, la Presse Purée a vu émerger les collectifs Barbe à Papier, l’Imprimerie et l’atelier du Bourg. Une saine concurrence jurent les précurseurs. « Depuis qu’on est plus nombreux, il y a davantage de demandes car les gens se mettent à mieux connaître la sérigraphie. Pour l’instant on ne se marche pas sur les pieds, cela apporte plutôt une dynamique. On a lancé le Marché Noir ensemble par exemple » expliquent-ils.

Agathe Halais et Charlotte Piednoir, créatrices de Barbe à Papier ©Richard Volante

Agathe Halais et Charlotte Piednoir, créatrices de Barbe à Papier ©Richard Volante

 

Techniques ancestrales… à la sauce rock ‘n roll

Mais pourquoi donc un tel engouement pour ces arts imprimés ? « La gravure peut paraître une technique poussiéreuse et obsolète mais elle fait partie de notre patrimoine. Elle est riche, complexe et elle offre de nombreuses possibilités artistiques » répondent Agathe Halais et Charlotte Piednoir, les deux moitiés de Barbe à Papier. Au milieu de leur petit atelier lumineux trône une belle presse métallique, entourée de piles de papiers, de plaques, de pots d’encre multicolores et d’outils en tout genre.

Comme leurs aînés des siècles passés, elles réalisent leurs dessins, gravent et encrent leurs plaques de bois, de lino ou de métal puis impriment à la force des bras leurs affiches, cartes, livrets et objets en papier. Mais dans leur production, exit les natures mortes et les paysages marins chers au graveurs du 19e siècle. Chez Barbe à Papier, on aime le noir et blanc aux allures de comics, les femmes à moustache et les tatouages décalés.

« Il y a un côté traditionnel mais revisité. On a une nouvelle façon de concevoir les images », confirme de son côté Cécile Rescan. Ses estampes aux forêts poétiques et inquiétantes côtoient sur les murs de l’atelier de l’Imprimerie, installé dans une ancienne boulangerie de la rue Saint-Hélier, les œuvres abstraites de Maud Chatelier ou celles en noir et blanc d’Eric Mahé. Graphiste, celui-ci conçoit et imprime de nombreuses pochettes de vinyles et d’affiches pour la scène rock.

 

Gravure sur tricycles

©Richard Volante

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Si cette micro-édition a pris racine à Rennes, c’est parce que la ville possède un terreau favorable. Les Beaux-Arts, tout d’abord, où nombre de ces jeunes artistes-imprimeurs ont découvert les techniques qu’ils perfectionnent aujourd’hui. Des aînés aussi : tous citent les graveurs Hervé Aussant et Maya Memin, l’ancien professeur des Beaux-Arts René Nogret ainsi que l’éditeur Yves Prié. Ces collectifs profitent aussi du foisonnement culturel et social rennais. Plusieurs assurent des commandes pour des associations et des institutions rennaises (le Jardin moderne, Ay-RoOp, l’Antipode…) et presque tous interviennent dans des établissements scolaires ou des maisons de quartier.

Agathe Halais et Charlotte Piednoir vont ainsi réaliser un livre artisanal d’une vingtaine de pages avec les élèves de l’école Guillevic, au Blosne. Gravure, impression, reliure… Les écoliers vont mettre la main à la pâte. « Je ne m’oppose pas au livre numérique mais je pense qu’il y a un intérêt pédagogique, pour les enfants, de comprendre comment se fabrique un ouvrage : le procédé d’inversion, le tirage… » estime Charlotte Piednoir. Les deux jeunes femmes ont même fabriqué un drôle d’engin pour partager leur passion avec le public : un atelier de gravure mobile sur tricycles avec lequel elles écument les festivals et les marchés du grand Ouest.

 

 

©Atelier du Bourg

©Atelier du Bourg

« C’est la frontière qui nous intéresse »

Bien malin qui réussira à leur coller une étiquette. Anna Boulanger, Anthony Folliard, Julien Lemière et Sylvain Descazot, les quatre camarades de l’atelier du Bourg, mélangent les compétences. Graphisme, illustration, édition, design, sérigraphie… Ils aiment toucher à tout. « C’est la frontière qui nous intéresse. Pour nous, toutes les étapes de fabrication participent au processus de création » explique Anthony Folliard. Que ce soit pour leurs œuvres personnelles ou leurs commandes, ils aiment aussi mêler les techniques. « On peut mélanger du numérique avec de l’impression sérigraphique ou imprimer en offset mais réaliser les couleurs à la main », détaille Anthony Folliard. Certains, comme Sylvain Descazot, vont plus loin dans l’expérimentation. L’artiste transforme fleurs, terre, vase ou tout autre matériau en encre pour imprimer ses sérigraphies. Installé dans une petite maison de la Prévalaye, leur atelier-laboratoire réalise – entre autres créations – des affiches, des fascicules et des petits livres en tirages limités pour des artistes et des associations culturelles ou rurales.

Folle Avoine, 33 ans de micro-édition

© Éditions Folle Avoine

© Éditions Folle Avoine

Plus de 250 titres mêlant poésie et textes rares de littérature et de philosophie. Depuis trois décennies, Yves Prié construit avec finesse et exigence le catalogue de Folle Avoine, sa maison d’édition basée à Bédée. Ce poète s’est mué en éditeur en 1981 par amour des textes et des livres. « Je ne concevais pas d’éditer sans imprimer moi-même » raconte-t-il. Sur le tas, Yves Prié devient donc typographe. Une activité qu’il exerce toujours aujourd’hui. « Pour moi, un livre se doit d’être le meilleur habillage possible d’un texte. J’aime travailler la composition » explique-t-il. Mais n’allez pas croire que l’homme est un fervent nostalgique. L’idée que le livre numérique menace l’imprimé ? « Un débat inepte et fallacieux » juge-t-il. « Le numérique permet de nombreuses compositions. Il facilite aussi la réédition des livres. L’écran d’ordinateur n’est qu’un outil » estime l’éditeur. Avec un bémol : « les gens formés au numérique veulent aller trop vite » sourit Yves Prié, amateur du temps de réflexion nécessaire à la composition au plomb. Éditeur de livres « avec des artistes », il se félicite en tout cas de la nouvelle génération des artistes-imprimeurs rennais. « C’est passionnant. La micro-édition se poursuivra car il y a un besoin du toucher, de fabriquer de ses propres mains ». Sa seule inquiétude ? L’effondrement des librairies indépendantes. « Les réseaux de diffusion ont besoin d’être réinventés » juge celui qui s’inquiète de voir la plateforme Amazon devenir son principal distributeur.