Israël : A la maternelle de la paix

15 novembre 2013  |  dans International

Au jardin d'enfant Hand in Hand d'Haïfa. © Juliette Robert / Youpress

Au jardin d’enfant Hand in Hand d’Haïfa. © Juliette Robert / Youpress

En Israël, pays divisé et déchiré, il n’existe pas de mixité religieuse dans le système scolaire traditionnel. Enfants arabes et juifs, vont dans des écoles séparées. Face à cette situation, l’organisation Hand in Hand a fondé quatre écoles exceptionnelles : environ 1000 élèves vivent aujourd’hui leur quotidien avec des enfants de toutes origines. Et cela commence dès 1 ou 2 ans au jardin d’enfants de Haifa, unique dans le pays.


 
Sous l’ombre bienvenue des oliviers, qu’une température déjà élevée en ce mois de juin rend nécessaire, des rires et des cris d’enfants percent à travers une porte d’entrée recouvertes d’affiches et de slogans qui indiquent l’existence d’une garderie. Tout semble habituel. Sauf que le lieu, l’un des quatre établissements du réseau Hand in Hand, est en réalité unique en Israël : ici, les bambins s’appellent autant Rachida que Moshe. Et pour cause, le principe même de l’école est de réunir des enfants d’origines et de religion différentes, ce que le système scolaire traditionnel israélien n’autorise pas d’habitude.
Souvent considérée comme une bulle dans le paysage israélien, Haifa, troisième ville la plus importante du pays, au Nord, est une cité plurielle et symbole d’une grande tolérance religieuse. Juchée au sommet d’une colline méditerranéenne, enrobée du soleil toujours chaud d’Israël, ce n’est pas un hasard si la ville accueille ce jardin d’enfants mixte.
 
Des parents en désaccord avec le système
 

Noam, son fils et son ami, à la fête du jardin d'enfants Hand in Hand. © Juliette Robert

Noam, son fils et son ami, à la fête du jardin d’enfants Hand in Hand. © Juliette Robert


 
En ces dernières journées de l’année scolaire, l’ambiance est détendue, les enfants, âgés de 1 à 3 ans, attendent les vacances avec impatience. « Ce soir, il y aura le grand spectacle de fin d’année, explique Merav, une Israélo-américaine de 35 ans, membre de l’association. L’occasion pour les enfants de s’amuser et pour les parents, de se rencontrer. Car l’initiative de ce jardin d’enfants est effectivement née de parents en désaccord avec le système israélien. « Je voulais que mon enfant reçoive un enseignement où il n’existe pas de ségrégation », explique Noam, politiquement très engagé. En Israël, les deux langues officielles sont l’hébreu et l’arabe, mais pour ce jeune père, ce n’est qu’une illusion. Car si les citoyens arabes sont obligés de parler hébreu, l’apprentissage de la langue arabe n’est qu’optionnel pour les élèves juifs.
 
Séparés dès le plus jeune âge dans des systèmes scolaires parallèles, aux programmes distincts, les élèves d’origines différentes n’ont finalement que peu d’occasion de se croiser dans leur quotidien. Ce qui entretient, des deux côtés, clichés et préjugés nocifs. Père de famille décontracté, habillé d’un short et chaussé de tongs, Noam est désabusé. « Pour ma génération, l’horizon est bouché, mais pour mes enfants, je veux un avenir meilleur ». Ancien soldat, il a été choqué par la dureté de ses missions au sein de l’armée israélienne dans les « territoires », comme on appelle pudiquement Gaza ou la Cisjordanie. « Quand on apprendra autre chose à nos enfants que la haine de l’autre, ils ne se haïront plus », croit-il. Symbole de cet espoir, son fils Avi, se jette au cou d’Arz, son copain musulman, pour lui déposer un gros baiser sur la joue.
 
Noam décide donc de lancer le projet de ce jardin d’enfants pluriculturel, il y a un peu plus d’un an. Un vrai défi dans la société israélienne. Bientôt rejoint par d’autres parents, juifs comme musulmans, mais aussi, de façon plus minoritaire, par des druzes ou des baha’is (voir ci-dessous), le jardin d’enfants de Haïfa voit le jour à la rentrée de septembre 2012. Grande première… Et succès à la clé. « Pour la rentrée 2013, nous avons 42 demandes, contre 14 la première année, se rejouit Merav. Dix enfants sont même sur une liste d’attente ! » A l’heure où le pays connaît des tensions constantes entre communautés, le projet plaît manifestement. Samia, la mère d’Arz, a été convaincue immédiatement. « J’ai toujours su que je voulais ce genre d’éducation pour mon fils », explique-t-elle. « Arz ne sait pas qu’Avi est juif, mais il sait qu’il est une personne », précise-t-elle. Hand in Hand est aussi un moyen de garantir un bon niveau d’éducation pour son fils, car il n’est pas identique dans les écoles juives et arabes, et le réseau Hand in Hand est très exigeant. « Mais au Ministère de l’Environnement, mes amis palestiniens ne comprennent pas mon choix. » Pourtant, pour Samia, « la vie normale, c’est ça, pas vivre séparés. »
 
Avec autant de demandes, Merav doit désormais chercher un nouveau local. Et se bat aussi pour que la garderie soit reconnue officiellement dans le système, pour bénéficier des aides étatiques. Elle espère que ce sera le cas d’ici la rentrée 2014. Pour le moment, la garderie coûte 2000 shekels par mois (environ 400 euros, ndlr), ce qui ne la rend pas encore accessible à tous les budgets.
 
Des chansons en arabe et en hébreu
 
Un enfant dort, au jardin d'enfants Hand in Hand d'Haïfa. © Juliette Robert

Un enfant dort, au jardin d’enfants Hand in Hand d’Haïfa. © Juliette Robert


 

« Dans ce jardin d’enfants, ce qui est formidable, c’est que vous ne pouvez pas distinguer qui est juif, musulman, ou chrétien »
, lance-t-elle. Aucune différence n’est faite en effet entre les enfants, et le personnel encadrant est arabophone, hébréophone ou bilingue. Ce qui permet de proposer des jeux et des initiations dans les deux langues. Après une comptine en hébreu, où les enfants se mettent à danser en rythme, sous le regard bienveillant de Tsipi, Israélienne, c’est au jeu du loto que Laura, jeune puéricultrice palestinienne, joue avec les enfants, ravis.
 
Les livres posés sur les étagères sont également dans les deux langues. Au mur, des panneaux bilingues permettent de poser à ces tout-petits les bases de leurs futures langues… Aujourd’hui, ils ont appris les mots de la salle de bain : savon, baignoire, brosse à dents etc.
Après un repas de lentilles et fromage blanc (un repas traditionnel en Israël), un bambin d’origine tchèque, véritable petite tête blonde aux yeux bleu, se cogne contre le mur et se fait mal. « Ima, ima (maman, en hébreu, ndlr) », s’empresse-t-il de crier. Mais c’est en arabe que le console Laura.
 
Au moment des fêtes religieuses chaque événement est expliqué aux autres, dans un souci de dialogue constant. « Toutes les fêtes sont célébrées ici, juives, musulmanes, chrétiennes. Les jours fériés respectés, explique encore Merav. Au point que certains enfants juifs demandent à avoir un sapin de Noël chez eux ! », s’amuse-t-elle.
Il y a pourtant une célébration qui pose problème : celle de l’anniversaire de la création de l’Etat d’Israël, le 14 mai de chaque année. « On s’est naturellement posé beaucoup de questions sur ce que l’on devrait faire ou non, poursuit Merav. Vécu comme une journée de joie par les Juifs, c’est, pour les Musulmans, ce qu’ils appellent en arabe, la « Naqba », la Catastrophe, référence à la douloureuse question de l’exil des Palestiniens. Et même si les familles sont tolérantes, on estime que nous ne devons pas en rajouter ». Ce jour-là, donc, contrairement aux écoles traditionnelles qui montent en berne le drapeau blanc, turquoise et étoilé de l’Etat israélien, aucun étendard ne flotte dans le ciel toujours bleu de Haifa.
 

Hand in Hand : succès confirmé

 
Tout commence en 1997, de la réunion de deux amis universitaires, l’un juif, Gordon Lee, l’autre musulman, Amin Khalaf, très impliqués dans le dialogue inter-religieux.
Face à un système scolaire qu’ils jugent inique, puisque séparé, ils décident de créer une association. Hand in Hand est née. Aujourd’hui, quatre écoles existent, de Haifa à Jerusalem, avec des directions mixtes, des programmes d’ouverture à la culture et à l’histoire de l’autre, et surtout du dialogue. En cas de tensions, d’attentats du côté palestinien ou d’opération militaire israélienne, les événements sont automatiquement discutés, pour permettre aux enfants d’exprimer leur vécu, leurs impressions et de désamorcer les tensions, au moins à l’école. Aujourd’hui, elles sont toutes reconnues ou en cours de reconnaissance par l’Etat, et le succès aidant de nouvelles structures sont en cours d’ouverture.
 

Une mosaïque religieuse

Les Juifs sont majoritaires en Israël à 75%. Parmi les 25% de la population israélienne qui est arabe, 90% sont musulmans, et 10% sont chrétiens. Cohabitent également des Druzes (communauté musulmane hétérodoxe, qui base ses principes sur un enseignement philosophique), et des Baha’is, une communauté dont la croyance est basée sur une vision spirituelle du monde pris comme un tout.