L’Inde, terre promise de la jeunesse israélienne

8 juin 2011  |  dans International

Crédits:Juliette Robert

Chaque année, après un dur et long service militaire,  ils sont 30 000 à 40 000 jeunes Israéliens à prendre la tangente. Leur destination principale: l’Inde. Leur programme ? Drogues, calme et volupté.

Il y a longtemps, l’Europe faisait rêver. C’était les années 70, et les jeunes Israéliens, à peine débarrassés de leur service militaire, prenaient un avion pour Rome ou Paris. La décennie suivante, c’est aux Etats-Unis qu’ils vivaient leurs folles années. Aujourd’hui, c’est en Inde qu’ils ont trouvé leur eldorado. A l’instar de Hampi, situé à 300 kilomètres de Goa, un petit village côtier du Karnataka, qui se donne depuis quelques années des airs de resort pour jeunes Israéliens : panneaux d’accueil écrits en hébreu dès la rivière traversée en barque, hoummous et chatchouka (des spécialités israéliennes) au menu des restaurants, Indiens qui se mettent à l’hébreu. Stratégie payante : ici, 80% des voyageurs viennent de Tel Aviv, Jérusalem, Haïfa…

Plus qu’une tendance, c’est un rite de passage, d’après la sociologue israélienne Daria Maoz. En clair : les jeunes Israéliens, tout juste sortis d’un long service militaire (deux ans pour les filles, trois pour les garçons) effectué juste après le bac, vivent en Inde ce qu’ils ne s’autorisent pas dans leur pays natal. Lital, 22 ans, appareil photo autour du cou pour ne pas perdre une miette de ce qu’elle voit, débarque tout juste. Le service militaire, très éprouvant en Israël, a été une période difficile pour la jeune femme.

« Pendant deux ans, j’ai travaillé dans une base fermée, et je ne rentrais que toutes les 2 ou 3 semaines chez moi. J’ai été comme dans une bulle. Quand j’ai fini l’armée, je me suis sentie perdue », explique la brunette. La tenue kaki mise au placard pour de bon, Lital a décidé de partir. Loin et pour longtemps. « Au moins 5 ou 6 mois, davantage si mes économies me le permettent ». Son choix se porte sur l’Inde.

L’Inde : la soupape de décompression

« Ce pays est vraiment bon marché, très beau, et des gens du monde entier s’y rencontrent », explique-t-elle, installée à la terrasse feutrée d’un bar de la rue principale, avec vue sur les vertes plantations de riz. Ici, elle entend bien prendre le temps de prendre le temps, avant de rentrer en Israël et de commencer sérieusement des études de cinéma pour devenir réalisatrice. « Je suis partie avec un ami, mais si je veux être seule, j’escalade un rocher et je m’y installe. Je veux explorer ma liberté, être en phase avec qui je suis », explique-t-elle. Les paysages alentours en effet, se prêtent à l’introspection. A perte de vue, un décor lunaire composé de larges formations granitiques rouges aux formes impressionnantes. « On dirait que Dieu s’est amusé avec des Lego alors qu’il s’ennuyait ! », lâche, amusée, Zohar, 22 ans, dread locks noires, tatouages et piercings. C’est la seconde fois que cette Israélienne grungy parcourt l’Inde. « Avant, je ne connaissais rien à la religion. Mais l’année dernière, j’ai commencé à lire les textes ici, dans un centre communautaire. Mon entourage a du mal à comprendre ce tournant, car ils sont absolument athées. Petit à petit, j’apprends à m’affranchir des choses matérielles et à faire grandir en moi la spiritualité », lâche-t-elle, pétard à la main allumé pourtant dès le matin. « Les textes n’interdisent pas de fumer ! », rit-elle, le regard déjà ailleurs.

Les drogues pas chères, beaucoup y succombent sur place. Besoin de s’évader, spirituellement, ou plus chimiquement…Quelques heures plus tard, nous retrouvons Zohar lors de la cérémonie de Hannoukah, la fête des lumières, dans l’un des deux centres du village. Le Chabad House et le Lev Yehudi, où elle se rend, se font concurrence. A demi-mots, bien sûr. Mais pour les deux institutions, une même idée : accueillir tout le monde, quelle que soit son niveau de pratique de la religion…Et en filigrane, faire du prosélytisme, pour empêcher une assimilation excessive des touristes israéliens. Prières, repas cacher, il faut faire en sorte de ne pas oublier son identité juive, même à des milliers de kilomètres de chez soi. Et les centres sont là pour y aider.

(Re)trouver son identité juive

Coussins par terre, balancelles, et guitare, l’ambiance est détendue au Lev Yehudi, même si les jeunes se sont réunis pour la prière. Oren, le rabbin israélien qui habite ici avec sa femme Yaël et ses quatre filles, est en « mission » pour 6 mois à Hampi, mais la famille vit en Inde depuis 7 ans. « Les jeunes doivent se sentir comme chez eux dans le centre ». D’ailleurs, tout le monde participe aux tâches quotidiennes, cuisine, ravitaillement, activités. « Le plus important, c’est de leur permettre d’aller au fond d’eux-mêmes, de découvrir leur identité, leur propre religion », lâche l’homme, affable et souriant. Fichu sur la tête, Chen, globe-trotteuse de 24 ans récemment mariée qui fréquente le centre, explique : « En Israël, paradoxalement, on ne se sent pas libres de vivre notre judéité. C’est mal perçu. Je connais des gens qui ont participé à un shabbat pour la première fois de leur vie en Inde ! » Partir au pays de la vache sacrée semble être propice aux grandes décisions : études, futur, engagement, la jeunesse israélienne aime prendre de la distance par rapport à sa vie à l’ombre des temples hindous et des fleurs de jasmin. « Deux couples d’amis à moi ont même décidé de se marier après un voyage ici », poursuit Chen, médusée.

A la Chabad House, le discours du rabbin trentenaire est clair, quand, autour de la table du shabbat du vendredi soir, il évoque la présence des Israéliens en Inde. « Depuis la chute du jardin d’Eden, tous les juifs mènent une quête spirituelle. Ici, ils cherchent quelque chose, reconnaît-t-il. Mais cela n’a rien à voir avec d’éventuels traumatismes liés à l’armée », affirme le religieux. Pourtant, dur de ne pas faire le lien : la plupart des globe-trotters présents ce soir sont partis immédiatement après leur service militaire. Et entre ces filles en mini-short ultra maquillées, celles en perruque, apanage des juifs orthodoxes et les garçons venus phylactères au bras, quel autre point commun que d’avoir servi leur pays plusieurs années et de lui avoir consacré ses peut-être plus belles années ? « Moi j’ai senti le besoin de repartir à zéro, de remettre en question mes certitudes », affirme Sharar, 22 ans, future fashion designer, qui a entrepris l’aventure seule. « En Inde, je découvre des tissus, des couleurs, connaissances qui me seront utiles par la suite », se réjouit-elle alors qu’elle boit un café à l’israélienne sur les rochers alentours avec des amis rencontrés sur place. Si Sharar a une « dead line » pour son retour- le mariage de sa cousine dans quelques mois-, beaucoup d’autres, contrairement à elle, se perdent sur les chemins de la spiritualité. Depuis mars 2008, l’état hébreu a même décidé de compliquer les démarches pour renouveler son titre de séjour en Inde. Histoire de limiter la fuite des vingtenaires ou du moins d’accélérer leur retour au pays. Car un pays sans jeunesse est un pays qui se meurt.

« On se retrouve ce soir, à la Shanti Guest House ? » lance la jeune femme à des amis qui passent. à ce moment-là. Quelques heures plus tard, le soleil couché, les religieux hassidiques, portant barbe et chapeau, débarquent dans le bar où Sharar et sa clique se sont posés pour boire des verres. La joyeuse ambiance se poursuivra jusque tard dans la nuit, sur de la musique électro. Pour certains, il est temps de faire les prières. Pour d’autres, de recommander une bière.