Inde : le pays du contraste de l’accès aux soins

12 avril 2011  |  dans Santé

Salle de radiologie du centre de soins de Fathegrah © Juliette Robert

Salle de radiologie du centre de soins de Fathegrah © Juliette Robert

Superpuissance économique au 1,2 milliard d’habitants, l’Inde doit pourtant faire d’énormes progrès pour démocratiser son accès aux soins de santé. Les contrastes villes-campagne et riches-pauvres sont encore saisissants.

En plein cœur du Cachemire, dans le petit village perdu de Fathegrah, le docteur Akhtar Hussein Shah exerce en tant que dentiste dans le centre de soins local, où travaillent quatre médecins, une infirmière, et deux aides-soignantes. Il en est également le directeur.

Très fier, il montre les dernières modernisations réalisées à l’hôpital, dont la construction d’un container à seringues, pour que les enfants cessent de jouer avec, et d’un incinérateur pour des questions d’hygiène, sans compter l’acquisition récente d’une ambulance. « Depuis cinq ans, grâce à la politique de décentralisation, nous recevons des fonds des autorités. A nous ensuite de les utiliser selon nos besoins. Nous chiffrons à 175000 roupies le budget annuel (environ 2700 euros)», explique-t-il.

La priorité pour lui : « éduquer les gens. Les prévenir des dangers de l’eau non bouillie, leur expliquer ce qu’est une bonne hygiène, la nécessité d’avoir une chambre propre », raconte le dentiste. Un autre combat est de les convaincre de se faire soigner ici. « La plupart des gens sont illettrés, et ils pensent que l’hôpital de Baramulla, la grande ville la plus proche, est plus sûr alors que nous avons toutes les commodités ici et qu’un médecin de campagne a les mêmes diplômes qu’un médecin de ville. Mais pour certains patients aussi, c’est la garantie de l’anonymat. Ils ne veulent pas que tout le village sache qu’ils ont la tuberculose, par exemple », poursuit-il.

Chaque jour, 30 à 40 patients viennent dans le service allopathique, et le même nombre dans le service de traitement de médecine indienne homéopathique.
Même si le dentiste apprécie ces nouveaux moyens, il reconnaît « manquer de matériel ». Selon lui, « 90% des gens de la région pourraient se payer des soins, beaucoup moins chers dans le secteur public que privé. Ici, ils ne paient que 50 roupies par visite (0,80 euros) mais la santé n’est pas leur priorité », déclare le dentiste, dans son cabinet sans chauffage, au matériel plus que précaire. « Le gouvernement ne prend pas assez ses responsabilités. Il devrait mettre sur point des programmes éducatifs de santé. Au Cachemire, beaucoup de gens souffrent de dépression nerveuse, fument, se droguent ou boivent », lâche-t-il, attristé, faisant référence à la situation politique très « délicate » de l’Etat.

Sans parler des infections respiratoires, des problèmes gynécologiques ou des soucis intestinaux des enfants. Heureusement, les centres de soins locaux permettent aux patients d’obtenir les médicaments nécessaires, sauf traitements rares ou rupture de stock.

Des soins publics plus acessibles à la population

A 900 km de là « seulement », mais à 10 000 lieues des conditions de santé très précaires du Cachemire, l’Escorts Heart Institute de Delhi, établissement privé spécialisé dans le traitement des maladies cardiaques, accueille les riches Indiens mais aussi des patients aisés des pays du Golfe ou d’Afrique. Contraste saisissant : ici, tout est clair, le personnel bilingue, et les malades arrivent en voiture de luxe.

« Le groupe Fortis possède une cinquantaine d’établissements de santé, mais nous n’en avions pas encore à Delhi. Il y a pourtant d’énormes besoins dans les grandes villes », analyse Ranjana Smetacek, directrice marketing de Fortis. La qualité des soins prescrits en fait l’un des meilleurs établissements en cardiologie de toute l’Inde, grâce à un matériel à la pointe de la technologie et à du personnel très nombreux, 247 médecins et 867 infirmiers, pour 300 patients accueillis chaque jour.

« Notre force c’est l’humain. Rien n’est mécanisé dans ce centre. Si un patient veut les meilleurs spécialistes, il lui faut payer pour cela », insiste-t-elle. Mais pour permettre à des patients sous le seuil de pauvreté d’avoir un accès aux soins dans cet institut, il existe un pourcentage de lits réservés, et s’ils ne sont pas gratuits, –« il faut rester rentable », rappelle-t-elle-, ils sont beaucoup moins chers.

Pourtant, loin des hôpitaux gouvernementaux qui sont souvent saturés, l’Escort Heart Institute symbolise la libéralisation du secteur de la santé en Inde, « un secteur au potentiel énorme » selon Ranjana Smetacek, mais aussi le renforcement des écarts de traitement au sein de la population, à l’image des contrastes internes de la société indienne elle-même.