Twin Peaks : Aux origines de la série

17 octobre 2007  |  dans Culture

twin peaks

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A l’occasion de la sortie en DVD de la série mythique créée par David Lynch, retour sur une œuvre atypique, qui a marqué l’histoire de la fiction à la télévision.

Un corps nu, emballé dans un plastique transparent, s’échoue au bord d’un lac… mais qui a tué Laura Palmer, la jeune et jolie « reine du lycée» de Twin Peaks ? Quels mystères recèle cette petite ville de l’Amérique plouc, peuplée de personnages loufoques, troubles, inquiétants, où même les habitants les plus respectables semblent dissimuler de lourds secrets ? Qui est cette femme portant constamment, dans ses bras, une buche, avec laquelle elle communique ? Et ces apparitions effrayantes d’un homme aux longs cheveux gris ?

Les questions ont bien vite envahi les esprits des téléspectateurs américains, qui virent débarquer la série en 1990 sur ABC (En France, elle sera diffusée l’année suivante sur la défunte chaîne La Cinq). Car Twin Peaks avait de quoi dérouter un public jusqu’alors habitué aux intrigues sentimentales des soap-operas, aux sitcoms ou aux enquêtes policières, formatées en 52 minutes façon Starsky et Hutch. Au rythme décalé de l’enquête de Dale Cooper, l’agent du FBI, volontiers mystique et accroc à la caféine, le public se passionne pour cet univers totalement original. Diffusé en prime time le jeudi soir, une case particulièrement recherchée, le programme réalise un carton d’audience, relayé par un fort engouement médiatique. « A l’époque, ce qui fait l’innovation de la série », explique Guy Astic, auteur d’un ouvrage sur le sujet (2) « c’est d’abord le fait d’en confier la réalisation à un cinéaste : David Lynch ». Issu du cinéma indépendant, le réalisateur d’Elephant Man et Blue Velvet (puis plus tard Sailor et Lula ou Lost Highway) avait depuis longtemps le projet d’une série télévisée qui lui permettrait de prendre le temps avec une intrigue : « Lynch apporte l’expérience du cinéma, un véritable savoir faire esthétique et implante sa folie et sa vision décalée du monde dans la petite ville de Twin Peaks ». Une image soignée, une ambiance musicale souvent oppressante faite d’expérimentations sonores (signée Angelo Badalamenti, compositeur attitré du réalisateur) : voici sa marque de fabrique. Mais Lynch n’est pas seul : Twin Peaks est le fruit d’une collaboration avec Mark Frost, scénariste et producteur, plus aguerri à l’univers de la télévision. Ensemble, le duo crée un objet unique, un ovni télévisuel : « ils s’amusent à mélanger les genres et ca c’est quelque chose de totalement nouveau pour le téléspectateur », continue Guy Astic, « dans Twin Peaks on retrouve à la fois des éléments de burlesque, des intrigues amoureuses, policières, du fantastique, du paranormal ». On y retrouve aussi les thèmes fétiches de Lynch, développés au long de son œuvre (comme récemment dans Mulholland Drive ou Inland Empire) : « l’image d’une héroïne, femme double, incarnant à la fois la pureté et l’impureté. C’est aussi une grande série sur l’adolescence, le mal-être et l’amour bien sur ». La série joue du contraste entre l’imagerie sucrée de l’Amérique des années cinquante (les donuts, les juke-boxes…) et son revers sombre. « La violence pour Lynch semble inhérente à la société américaine : l’omniprésence de la forêt sombre qui entoure la ville de Twin Peaks ainsi que les restes de la culture indienne le rappellent ».
Innovation narrative, la série multiplie les pistes et les intrigues comme autant de poupées russes (un peu comme le fait Lost aujourd’hui) mais finit par perdre une partie de son public, lassé de ne pas découvrir le nom de l’assassin de Laura Palmer. L’obstination de Lynch, dans une démarche quasi expérimentale, à faire durer le mystère agace les producteurs, qui finissent par l’obliger à dévoiler le meurtrier. Ce sera chose faite au milieu de la seconde saison : une nouvelle intrigue apparaît alors et Lynch abandonnera la série ne revenant que pour réaliser l’épisode final.

De cette période, finalement assez courte (30 épisodes seulement, diffusés sur un peu plus d’un an) est né un véritable culte. Il n’est pas aujourd’hui un réalisateur de séries actuel (des Soprano à Lost, en passant par 24 heures chrono ou Heroes) qui n’en revendique si ce n’est l’héritage, du moins l’influence. On retrouve ainsi beaucoup de Twin Peaks dans la satire de Wisteria Lane, la chic banlieue américaine, en apparence idyllique, de Desperate Housewives. Pour Guy Astic, une des forces de Twin Peaks était « d’avoir construit une intrigue autour d’un personnage, qui a déjà disparu au début de la série (Laura Palmer), mais qui fait agir tous les autres. On retrouve cette construction dans la série Six Feet Under, qui débute par la mort du père, qui revient ensuite sous la forme d’un fantôme et déclenche l’intrigue». Au delà d’un héritage direct, Twin Peaks a certainement permis à toute une génération de scénaristes et réalisateurs d’oser et a prouvé que la télévision pouvait être aussi un lieu de création et d’expérimentation.