Pologne : Les résistants des zones anti-LGBT

4 octobre 2021  |  dans International, Société

Gay Pride de Varsovie @ Pierre Vassal

Stigmatisés dans les villes ou villages qui ont signé des “résolutions contre l’idéologie LGBT”, Ils
sortent courageusement de l’ombre pour dire non et clamer leur droit à vivre comme tout le
monde.


Niedrzwica Duza et ses 3000 habitants est un village où on ne s’arrête pas.Traversé par une bruyante
nationale, s’y alignent quelques commerces et habitations et deux églises. Pas de centre-ville. Nous
sommes à 25 km de Lublin, la grande ville du Sud-est du pays. La zone la plus conservatrice de
Pologne. Ici le 29 mai 2019 la mairie, elle aussi en bord de route, a signé une résolution contre
“l’idéologie-LGBT”. Sur le même modèle que celles qu’ont adopté une centaine de municipalités, comtés
ou régions du pays. Une grande partie autour de Lublin. Des déclarations non contraignantes, mais qui
suivent la réthorique homophobe du parti conservarteur Droit et Justice au pouvoir depuis 2015 et du
président Andrzej Duda. Lors de la campagne électorale, qui a vu sa réélection en juillet 2020, il a
comparé l’idéologie LGBT au bolchevisme et a signé une charte pour en protéger les enfants et la famille
traditionnelle polonaise, mettant en avant le risque d’entrée de cette “idéologie” dans l’école et la
sexualisation des plus jeunes.

Kazimierz Strzelec, 60 ans, est tombé à la renverse quand il a appris que Niedrzwica Duza, qu’il aime et
où il a passé toute sa vie, avait fait passer cette résolution. Ce mécanicien aux épaules carrées et au
regard clair lance : “je n’ai jamais eu une contravention, ni demandé une allocation, j’étais bénévole pour
les bonnes œuvres locales. M’entendre dire que ma présence va détruire la famille me rend triste”. Gay
en Pologne : la vie de Kazimierz n’a pas été facile. “J’ai grandi pendant la période communiste où on
était coupé du monde extérieur, l’homosexualité n’existait pas. Jeune, j’étais dans un placard fermé avec
200 chaînes, 300 cadenas et coulé dans le béton, mais je n’en avais pas conscience”, sourit-il. Il se
souvient avec émotion de son premier amour à 24 ans, lors de son service militaire ou un autre soldat le
trouble. Une amitié ambiguë qui finira par un baiser furtif dans une gare. Il ne le reverra jamais. “Une
histoire très romantique et très triste. Aujourd’hui encore j’ai le goût de ce baiser sur les lèvres”, se
souvient-il. Ce n’est qu’en 2008 à la faveur d’un voyage en Allemagne qu’il découvre avec surprise un
pays plus ouvert et des gays qui vivent au grand jour. Un déclencheur pour s’assumer. Ce n’est qu’à 50
ans qu’il connaîtra une première véritable relation.
Il commence alors à faire prudemment son coming-out. Sa famille et ses collègues de travail l’ont
accepté peu à peu. “Cela reste tabou avec une partie de ma famille : c’est comme dans l’armée
américaine “don’t tell don’t ask”. Au travail, un collègue a cherché à m’ostraciser : il a dit au directeur que
je ne devrais pas parler aux clients. Personne n’a pris ma défense, mais ça a fini par passer”, confie-t-il.
Très croyant, dans les moments difficiles Kazimierz s’est toujours tourné vers Dieu : “Il a été très
important car je n’avais personne à qui en parler. Il est avec moi qui que je sois”. Mais Dieu n’est pas l’église et les sermons homophobes ou les paroles de l’archevêque de Cracovie dénonçant “la peste arc-
en-ciel “ l’ont blessé. “Je suis robuste et solide, mais prendre une pierre dans la tête c’est difficile. Je suis triste qu’on utilise la religion pour s’attaquer à ma propre foi”. En Pologne, pays le plus catholique
d’Europe, l’église au discours anti-LGBT marqué est une voix très écoutée. Kazimierz ne voulait plus
communier jusqu’à ce qu’une fondation ocuménique “Faith and rainbow” l’aide à renouer avec l’église.
Aujourd’hui, il arbore fièrement un bracelet et une casquette arc-en-ciel, et sort ainsi au grand jour,
même dans sa paroisse. Il donne rendez-vous chez le marchand de glaces local où il a ses habitudes.
Peu importe si cela fait réagir : il se dit désormais activiste.
Tout a démarré par une lettre écrite aux représentants locaux suite à la résolution puis une rencontre. “Ils
m’ont dit on ne vous veut pas de mal cher monsieur, ce n’est pas contre vous c’est juste une déclaration
pour réaffirmer notre engagement religieux.
Mais c’est juste un argument de campagne électoral. Les représentants politiques du PiS (Droit et
Justice) disent que la Pologne doit se libérer de l’influence de l’Ouest et de la propagande LGBT. Il se
sont créé un ennemi qui n’existe pas”. Aujourd’hui il s’est investi dans l’organisation de la Pride de Lublin
et au mémorial du camp de concentration de Majdanek, pour honorer les triangles roses, victimes gays
des camps.

Kazimierz Strzelec @Pierre Vassal

Il y a dix ou quinze ans “si la Pologne avait été dans Schengen”, il en serait parti, mais Kazimierz voit
aujourd’hui dans la lutte et l’énergie qu’elle procure une raison de rester.
“Mais je comprends très bien que les jeunes partent : Ils entendent des choses horribles dans les médias
publics où l’homosexualité est associée à la pédophilie, ils ne peuvent pas se montrer en public. C’est
dur psychologiquement de rester et beaucoup sont en dépression. A mon époque c’était difficile car on
n’était pas soutenu. Mais personne n’ allait te casser la gueule comme les hooligans aujourd’hui”.
Il souhaite même désormais devenir candidat à la mairie, sans étiquette, en simple citoyen. Kazimierz ne
croit pas que la majorité des Polonais soit profondément homophobes, mais qu’ils ont été utilisés dans

une lutte électorale. “La situation est absurde : quand on demande aux gens ce que veut dire LGBT : Ils
répondent Gay Lesbien Bio et Truc, sourit-il.”.
L’absurdité même de ces mesures dans les petites villes s’illustre parfaitement à Krasnik, aussi dans la
région de Lublin. La municipalité de 35.000 habitants a défrayé la chronique, adoptant d’abord une
résolution anti-LGBT en mai 2019 puis la rejetant voici quelques semaines. Entre-temps, la ville, au
travers d’articles dans le New York Times et de nombreux médias internationaux était devenue un
symbole d’homophobie en Europe et la risée du web polonais, moquée comme une ville moyenâgeuse
aussi pour son refus de la 5G et du vaccin. En France, la ville de Nogent-sur-Oise a suspendu leur
jumelage commun et Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, avait prévu de
s’y rendre avant d’y être découragé par les autorités polonaises. Devant l’image désastreuse et surtout la
menace de perdre des subventions, Krasnik a fait marche arrière.

Cezary Nieradko, étudiant de 22 ans, n’y est pas pour rien. Il est un des rares habitants à se dire
ouvertement gay, à s’être opposé à la résolution et à avoir témoigné dans la presse. Il représente la
minorité silencieuse. “Sur un portail de rencontre gay : j’ai vu au moins une centaine d’hommes inscrits à
Krasnik”, explique le jeune-homme au visage rond et à la voix douce. “Pour autant C’est compliqué de
mobiliser la communauté car beaucoup ont peur de se révéler et faire face aux discriminations, mais
certains ont signé une pétition”.

 

Cezary Nieradko @Pierre Vassal

A Krasnik, Cezary, lui a poussé les portes des sessions du conseil municipal; mais les débats y ont été
vains. : “Ils avaient fait venir un neurologue.Il a dit que l’homosexualité était une maladie mentale terrible,
qui menait à la pédophilie et qu’il fallait soigner. Depuis, il a été radié de l’ordre des médecins.” Une
petite manifestation à Krasnik a réuni 300 personnes mais beaucoup des participants, ne sont pas des
personnes LGBT. Il montre les fenêtres de grandes tours résidentielles de couleur, typiques de l’après
communisme, près de chez lui. Ici la résistance passe aussi par l’affichage de drapeaux aux balcons :
arc-en-ciel ou siglé d’un éclair, symbole du combat pour le droit à l’avortement qui a récemment secoué
le pays. Convergences des luttes. Sur un autre immeuble, des drapeaux de la Pologne s’affichent pour
soutenir l’équipe nationale de foot cette fois.

Cezary dans les rues de sa ville, Krasnik @ Pierre Vassal

Comme beaucoup de personnes LGBT en Pologne, Cezary raconte les agressions, les insultes, les
menaces, les brimades à l’école par les élèves et même les profs, les regards réprobateurs et
l’impossibilité d’être en couple en public. Selon lui, cette résolution a eu pour effet de décomplexer les
propos homophobes et la discrimination. Exemple marquant : “le pharmacien, qui a appris mon
orientation, a refusé de me servir des médicaments pour le cœur. Ces même pharmacies qui ne vendent
pas non plus de préservatifs ou de pilules contraceptives”. Et les tensions ont escaladé : “ Alors qu’on lui
avait interdit de sortir, mon copain qui a 20 ans a été vu dehors avec moi. Ses parents veulent tout
contrôler car ils pensent que s’ il sort, il aura des aventures. Hors de lui, son père l’a attrapé par le cou et
manqué de l’étrangler. J’ai dû intervenir pour l’arrêter. C’est la première fois que je vois une telle
agression et je ne pense pas que ça se serait passé avant.
Quand la mairie revient finalement en arrière fin avril dernier Cezary se félicite : “C’est une victoire pour
nous. Le soutien des médias étrangers a fait changer les choses. Et aussi ces attaques ont renforcé la
communauté. Nous sommes plus attentifs les uns aux autres aujourd’hui”. Pour Cezary , la ville n’avait
plus le choix, devant la pression internationale et surtout la peur de perdre des financements européens
et jusqu’à 8 millions d’euros de fonds norvégiens. Un argument de poids : la Pologne est le premier
bénéficiaire des subventions européennes.

Si Kazimierz et Cezary ont le courage de s’afficher, ils représentent ceux qui n’osent pas ou ne le
peuvent pas. Avec d’autres habitants des zones, ils ont participé au projet photographique de Bartosz
Staszewski, un des activistes les plus suivis de Pologne, qui les a fait poser devant le panneau d’entrée
de leur ville y ajoutant une pancarte jaune siglée “Zone sans LGBT”. L’idée est de montrer que ces
mesures touchaient des personnes réelles à l’opposé des propos du président Duda qui avait affirmé
que “LGBT : ce ne sont pas des personnes, mais une idéologie”.

 

Bartosz Staszewski @ Pierre Vassal

Bartosz, 30 ans, originaire de Lublin, déjà poursuivi plusieurs fois en justice pour ses actions souligne :
“Etre ouvertement gay en Pologne est un acte de courage. On risque de perdre son emploi, qu’un
membre de la famille le perde. Être agressé dans la rue ou être la cible du gouvernement”. Il dénonce les
dégâts causés par ces résolutions : “Elles encouragent les discours de haine et ont un effet paralysant.
Même si les politiques disent qu’elles sont symboliques et n’ont pas pouvoir de loi, elles sont comprises
tel quel par les gens. Un professeur par exemple n’osera pas aborder le sujet de l’homosexualité par
peur de sa hiérarchie”.

Le parti au pouvoir et les signataires de ces résolutions se défendent aussi de l’existence même de
zones, affirmant que les personnes LGBT n’en sont pas exclues et possèdent les même droits que tout
un chacun et accusent Bartosz de mensonge et de manipulation. L’activiste répond : “je ne suis pas le
premier à avoir utilsé ce terme de zone, qui a fini par tomber dans un sens commun pour définir ces villes.

Et en même temps, il faut nommer les choses telles qu’elles sont : ce sont des zones d’exclusion
et de discrimination, pas de combat idéologique”. Ce jeu de langage est la ligne de défense du
gouvernement polonais rappelé à l’ordre par l’Union Européenne et Ursula Van der Layen, présidente de
la Commission. Mais devant les condamnations, suivies de peu d’effet, Bartosz s’impatiente : “j’ai peur
qu’on dépende beaucoup de l’UE. Le parlement a déclaré symboliquement l’Europe “Zone de liberté
LGBTIQ” : c’est très bien et j’en suis heureux. Mais en même temps la Hongrie met en place des lois
discriminatoires sur le modèle russe. Pourquoi il n’y a pas de message fort de la commission
européenne ? Cela se passera en Pologne si on ne réagit pas en Hongrie. Duda a promis les mêmes
lois pendant la campagne. On est à une table ou les joueurs Hongrie et Pologne ont leur propre jeu et
l’Union regarde. J’aimerais qu’ils s’assoient aussi à la table et tapent du poing”. Etrangement, l’espoir
vient aussi de la situation actuelle : les drapeaux et tote-bags arc-en-ciel sont devenus un symbole de
résistance en Pologne et s’affichent dans les grandes villes plus que dans toute autre capitale
européenne : “ Aujourd’hui, le débat est dans toute la société, tout le monde parle des personnes LGBT.
Même les médias conservateurs évoquent les droits des trans, ce qui était impensable avant. Peut-être
que sans le vouloir, ils finissent par accélérer le processus”, poursuit Bartosz. Lui reste persuadé d’un
changement possible : je ne compte pas partir de Pologne, je veux y épouser mon copain et avoir une
belle vie ici.