Ces Français qui voyagent en Géorgie pour être soignés par phagothérapie

18 octobre 2019  |  dans International

Michele, 72 ans, ainsi qu'une autre patiente francaise, discute avec le Dr Nino Odishelidze, et une interprète qui parle le français. © Juliette Robert/Haytham Pictures

Michele, 72 ans, ainsi qu’une autre patiente francaise, discute avec le Dr Nino Odishelidze, et une interprète qui parle le français. © Juliette Robert/Haytham Pictures

Dans un appartement du centre de Tbilissi, la capitale géorgienne, Michèle, 72 ans, se repose entre deux séances de soins. À 3 000 km du Haut Jura, où elle réside, ce voyage était celui d’un « dernier espoir ».

Souriante et d’allure sportive, elle assure n’avoir « ni tension, ni cholestérol », mais depuis plus de quinze ans l’Escherichia coli lui gâche la vie, une bactérie qui provoque des infections urinaires à répétition. Son parcours de soins classique s’est compliqué au fil des ans : « Au début les antibiotiques fonctionnaient, mais la bactérie est devenue résistante et j’ai dû prendre 7 ou 8 traitements différents par an. Depuis sept ans, je suis sous antibiotiques en permanence. » Aux fortes douleurs des crises, s’ajoutent insuffisance rénale et intolérances alimentaires, effets secondaires de la prise répétée d’antibiotiques. « Aux derniers tests la bactérie résistait à 14 antibiotiques sur 15. Un urologue m’a dit “quand je vous vois dans la salle d’attente, je me demande ce que je vais vous dire, je ne sais plus quoi vous donner, vous allez faire une septicémie” », confie Michèle dépitée. Face à l’impasse médicale, elle dit stop et entreprend des thérapies alternatives (cures thermales, aromathérapie) avec des résultats mitigés avant d’entendre parler de la phagothérapie et de la Géorgie.

Virus microscopiques

Découverte en 1917 à l’Institut Pasteur par le chercheur franco-canadien Félix d’Hérelle, la phagothérapie repose sur le traitement des infections bactériennes par l’inoculation de bactériophages (ou phages). Ces virus microscopiques, naturellement présents dans l’environnement, pénètrent et se multiplient au sein de la bactérie jusqu’à l’éliminer. En Occident, avec le développement des antibiotiques, l’utilisation de phages n’a pas perduré. En France, elle n’est aujourd’hui autorisée, qu’au cas par cas, à titre compassionnel, mais en Union soviétique, où l’accès aux traitements occidentaux était impossible, sa pratique a été conservée.
C’est dans les faubourgs de Tbilissi, à l’institut Eliava, que Michèle est soignée. Créé en 1923 par d’Hérelle et le microbiologiste géorgien George Eliava, il était le centre névralgique de la phagothérapie durant l’ère soviétique, produisant jusqu’à 100 tonnes de phages par semaine, notamment pour l’Armée rouge. À la chute de l’URSS, tout faillit disparaître, mais ses médecins sauvèrent les fioles de
phages. Aujourd’hui en Géorgie, des phages commercialisés sont disponibles en pharmacie et prescrits par les généralistes. Un peu anxieuse, Michèle est reçue par une équipe « très agréable et à l’écoute » de différents spécialistes, qui lui font passer une batterie complète d’examens afin de déterminer les causes des infections et élaborer un « autophage », un phage personnalisé et renforcé, qui sera le plus à même de lutter contre la bactérie.

Des bactériophages, ou phages, obeservés au microscope électronique a transmission, au Centre Eliava, a Tbilissi. ©Juliette Robert/Haytham Pictures

Des bactériophages, ou phages, obeservés au microscope électronique a transmission, au Centre Eliava, a Tbilissi. ©Juliette Robert/Haytham Pictures


 

« Ce n’est pas de la magie »

La clinique de l’institut Eliava reçoit entre quinze et vingt patients étrangers, comme Michèle, toutes les deux semaines, la durée moyenne du traitement. Naomi Hoyle, médecin américaine, chercheuse et coordinatrice des patients internationaux note « un intérêt croissant pour la phagothérapie. Nous avons jusqu’à 50 prises de contact par jour. Nous sommes aussi un centre de recherche et avons des échanges réguliers avec des scientifiques du monde entier ». Fort d’une longue expérience clinique, les médecins d’Eliava se réjouissent de nombreuses guérisons spectaculaires pour des patients en situation d’impasse thérapeutique, sauvés d’une amputation ou d’une septicémie. Mais Naomi Hoyle reste prudente : « La phagothérapie n’est pas de la magie. Elle est très efficace contre ces cas de bactéries multirésistantes. Mais, nous ne voulons pas donner de faux espoirs aux patients, car les phages sont plus lents à agir que les antibiotiques et cela ne fonctionne pas toujours à 100 %. » Les dossiers sont d’ailleurs sélectionnés en amont et le traitement est coûteux. Michèle, comme 150 à 200 Français chaque année, a pu partir avec l’aide de l’agence de voyages « Se soigner en Géorgie », qui fait le lien entre les patients français et l’institut Eliava et assure chauffeur, hébergement, traducteur… Il lui en a coûté 6 900 euros pour 2 semaines de soins et deux mois de traitement. Repartie en France avec des fioles de phages Michèle a vu une « nette amélioration de sa santé », mais, confrontée à la découverte d’une nouvelle bactérie et de longs délais pour se faire envoyer les phages depuis la Géorgie, elle attend encore d’être guérie. Michèle se considère chanceuse d’avoir eu les moyens de partir et se désole de l’inaccessibilité au traitement pour de nombreux patients français.