Un vétérinaire anti-langue de bois

1 mars 2008  |  dans France, Société

Guy Joncour

Guy Joncour

L’air bonhomme, la démarche assurée de ceux qui ont du kilométrage, la cigarette au bec et le langage aussi vert que les pâturages qu’il sillonne, Guy Joncour – alias Gi Yonkour en breton – est un vétérinaire de campagne. Un vrai. L’un des rares qui restent attachés à leur terre. 80 % de ses interventions sont rurales. Il la connaît donc bien, la campagne, ses habitants, ses bêtes. Et il en parle.

La Terre : Depuis quand exercez-vous ?
Guy Joncour : J’exerce dans les Côtes-d’Armor, à Callac précisément, depuis 32 ans. Mais ma vocation, je l’ai depuis que j’ai 8 ans. J’ai toujours voulu être vétérinaire. On dit que je fais de beaux points de suture parce que mon grandpère était bourrelier : finalement, j’ai la même clientèle que lui. Je travaille principalement en rurale, parfois la canine s’impose, environ pour 20 %. Mais les choses ont beaucoup changé. Le nombre des exploitations a terriblement diminué, ou elles se sont concentrées.

La Terre: Travaillez-vous seul ou en équipe ?
Guy Joncour : Travailler seul ? Non, c’est trop dur, voire impossible à la campagne ! Nous sommes trois vétérinaires et une assistante. J’ai deux associés depuis 30 ans. Là au moins dans les cas d’urgence, on peut toujours trouver quelqu’un de disponible. Parce que pour être disponible 24h/24h…

La Terre : Quel est votre regard sur les jeunes qui arrivent ?
Guy Joncour : Ils sont inexpérimentés ! Avant, ils faisaient des remplacements dès la deuxième année, maintenant la formation est beaucoup plus théorique. Quand ils sortent, ils n’ont pas encore une pratique suffisante. Heureusement que les stages permettent de faire du terrain ! Il y a un temps de latence avant de se lancer. Beaucoup d’entre eux sont dégoûtés aussi par le poids du travail demandé. Il faut qu’ils se disent qu’ils vont en baver de 17 à 19 ans, et qu’après ça ira mieux.

La Terre : Que dire de votre clientèle ?
Guy Joncour : Comme je le disais, il y a beaucoup moins d’exploitations en rurale. Avant 1983, nous avions 2 000 clients, contre 300 aujourd’hui. Avant on gagnait son pain, maintenant on protège sa bouffe.

La Terre : Quels sont vos rapports avec les éleveurs ?
Guy Joncour : Les éleveurs ont plus de connaissances scientifiques qu’avant concernant l’état de santé de leurs bêtes. Surtout ceux qui sortent des lycées agricoles. Ils nous appellent en dernier recours, quand ils ont eux-mêmes repéré que quelque chose clochait. Il arrive que nous ayons besoin de leur aide, qui pour tenir un instrument, qui pour maintenir l’animal dans la bonne position. Maintenant, de manière plus informelle, nous jouons aussi un rôle social. Nous sommes reçus pour boire un café chez les agriculteurs, les éleveurs. Ça fait partie du métier. Une fois, j’ai même découvert un fibrome vaginal chez une vieille femme qui refusait d’aller voir son gynécologue.

La Terre : Qu’est-ce qui motive quelqu’un à devenir vétérinaire ?
Guy Joncour : Autant l’amour des vaches que celui des hommes. Je suis d’un naturel hypersensible, comme beaucoup de vétérinaires, je pense.
Voir souffrir une bête, personne n’aime ça. Ça a un lien direct avec l’abord de la mort et de la vie, quelque chose de très profond. Lors de la crise de la vache folle, ce fut dur, car il a fallu tuer des milliers de bêtes.

La Terre : Quel est le rôle d’un vétérinaire dans la société ?
Guy Joncour : Il soigne les animaux, certes, mais il a aussi un rôle à jouer dans la prise de conscience de l’existence d’épizooties. Tandis qu’à côté de maladies devenues de véritables problèmes publics comme l’ESB ou la grippe aviaire, d’autres sont étouffées, leurs enjeux ou conséquences jugées désastreuses. Lors de la crise de l’ESB, on a essayé de gérer en allant voir les clients tous les jours, en essayant d’éviter l’abattage au maximum…

La Terre : Comment qualifierez-vous les relations entre villes et campagnes ?
Guy Joncour : Plutôt l’absence de relations ! Les liens sont coupés en réalité.
Les jeunes qui sortent de l’école ne connaissent pas ou plus le milieu. Comment le rendre attractif dans ces conditions ? Il y a des différences énormes entre la canine et la rurale, il y a un côté complémentaire. Par exemple, même si je travaille en rurale, j’essaie de promouvoir des petits animaux dans les maisons de retraite, pour les personnes âgées qui se sentent seules.

La Terre : Est-ce plus dur pour une femme d’être vétérinaire de campagne ?
Guy Joncour : Elles ont plus à prouver. Mais elles bossent, elles s’accrochent
énormément. Il n’y a pas de machisme, à proprement parler. Mais des blaireaux il y en a partout ! Globalement, les éleveurs vont aider spontanément les femmes vétérinaires si elles en ont besoin. Sans les juger négativement.

24 heures dans la vie de Guy Joncour

Le réalisateur Thierry le Vacon a suivi Guy Joncour pendant plus d’un an pour essayer de capter quelques moments exceptionnels de vie, des tranches d’existence des bêtes et des hommes. Au départ, Guy Joncour « freine des quatre fers. » Pas facile d’être suivi par une caméra, surtout dans les opérations délicates. Mais il accepte, et dira plus tard que le réalisateur a réussi à « l’apprivoiser ». Les images, souvent fortes, laissent percevoir une vie à la campagne souvent méconnue. Derrière cette verte nature et ces paysages apaisants de champs et de pâturages, à tout moment peut survenir une urgence. Les routes deviennent le lieu d’une course effrénée contre le temps. On le voit agir, les mains dans les excréments quand il le faut, dans le sang, les boyaux des bêtes. On est ébahi devant tant de savoir-faire. Les images n’épargnent pas le téléspectateur, mais comment mieux rendre compte du quotidien d’un vétérinaire de campagne ? Après l’effort, souvent le réconfort : un moment passé avec les agriculteurs ou les éleveurs. Un verre, un café – et souvent, il faut le dire, une confiance longue de plusieurs années. Parler breton, ça rapproche. Mais Guy, modeste, affirme que ce « documentaire non exhaustif » a plus pour « vedettes Tulipe, Marguerite, Léon, Louis, François, Yvon, Henri, Séverine, Romane, René et Yvette » [les intervenants divers, vaches ou éleveurs, ndlr.] que lui-même. Ce qui ne l’empêche pas de marquer, avec humour, les points de suture effectués sur les animaux du J de son patronyme. Une signature très couture.

DVD disponible chez Aligal Production, 21 rue Moreau de Jonnes, 35000 Rennes, 02 23 20 70 70. Infos sur www.aligal.com