Avec les vigiles des glaces

20 décembre 2009  |  dans International

photo : Corentin Fohlen / Fedephoto

photo : Corentin Fohlen / Fedephoto

Le centre des glaces et des Océans, un des trois centres de recherche de l’Institut météorologique danois (DMI), cartographie l’évolution des glaces autour du Groenland. Des informations déterminantes dans le cadre de la recherche sur le climat.

Discret, le bâtiment de l’Institut météorologique danois, se cache derrière la gare Ryparken, au Nord de Copenhague. Impossible de deviner que nous sommes à deux pas d’un des trois plus importants centres d’études des océans et des glaces au monde. C’est en s’approchant qu’on aperçoit derrière les immenses baies vitrées un globe terrestre et un satellite perchés dans l’entrée. Mais rien ne prépare au labyrinthe de bureaux, d’open spaces, au defilé d’ordinateurs, aux écrans géants et a la centaine de cartes que contient le bâtiment. Ici, 370 météorologistes, ingénieurs, navigateurs et chercheurs se relaient pour assurer le service 24 heures sur 24 et 365 jours par an (presque tous les départements). Objectif : diffuser les données météorologiques, climatologiques et glacières au public, aux navires et aux scientifiques des quatre coins du globe.

Fondé en 1872, le DMI (Danish meteorological institute), est composé de 3 départements de recherche : l’atmosphère, le climat et le centre des glaces et de l’océan. C’est par ce dernier que la visite commence. Un ascenseur en verre plus tard, une ribambelle de couloirs parsemés des photos d’Arthus Bertrand et nous finissons par arriver dans un bureau aux murs et aux plafonds, couverts de cartes. Derrière deux écrans énormes, Casper, la trentaine, a les yeux rivés sur une image satellite de la côte ouest du Groenland. Ce marin spécialiste de la navigation en eaux glacées de la Royal Artic Line partage son expérience de terrain avec les chercheurs de l’Institut. Avec ses collègues, Kasper diffusent entre 2 et 3 cartes quotidiennes, 365 jours par an. A ses côtés, Leif, 45 ans, chef du département est spécialiste de l’observation satellite. Avec enthousiasme, il montre de minuscules points blancs autour de la côte : des Icebergs.

« Les yeux des scientifiques sont rivés sur le Groenland »

« En ce moment, il fait 70 degrés en dessous de zéro et complètement noir dans le Sud de l’île, il y a donc moins d’activité glaciaire car la fonte des neiges est plus faible, mais aux printemps et en été, ça bouge sans arrêt». Des détachements de glaces qui peuvent s’avérer très dangereux pour les bateaux qui traversent ces eaux. Il y a 50 ans, un bateau danois percuta un iceberg entraînant au fond 100 passagers. L’histoire du «Titanic danois », signe la création du Centre des glaces et des océans. C’est donc dans un but purement pratique, assurer la sécurité des bateaux navigants dans les eaux périlleuses du Groenland, que le Centre a été crée. « Nos prédécesseurs dessinaient les cartes à la main dans le cockpit des avions et les distribuaient aux bateaux qu’ils rencontraient sur le chemin », raconte Leif. Aujourd’hui, nous fonctionnons par courrier électronique». C’est ainsi que le centre reçoit les images satellite, les informations de sa « patrouille des glaces », qui survole la grande île en hélicoptère et des bateaux eux-mêmes afin de pouvoir établir, à deux heures près, la cartographie de la grande île.

Des informations vitale pour la navigation et déterminantes pour la recherche sur le climat. « Tous les scientifiques ont les yeux rivés sur les neiges du Groenland, du pôle Nord et de l’Artic, nous sommes les seuls à disposer de données aussi précises car cela fait 50 ans que nous travaillons sur le Groenland», explique Leif (l’île, la plus grande de la planète, est une province autonome du Danemark, ndlr). Les conclusions de ces observations sont édifiantes : en été, la couche de glace n’est plus que 25% de ce qu’elle était il y a 30 ans et son épaisseur a diminué de moitié en 50 ans. « Avant l’année 2000 il y avait de la neige dès le début du mois de décembre et de 1960 à 1990 il y en avait régulièrement en novembre, constate le chef du département en nous montrant un tableau. Aujourd’hui, elle tombe fin décembre ». Mais pour le scientifique, ce n’est que le début, « il faudra attendre entre 50 et 100 ans pour connaître tous les effets du réchauffement climatique. Même si nous réussissons à refroidir la planète, il faudra attendre très longtemps avant que la situation ne revienne à ce qu’elle était avant ».

« Plus 10 degrés à la fin du siècle »

Il est temps de partir. Wilhelm May, docteur en climatologie au DMI, nous attend dans son bureau. Ni laboratoire, ni blouse blanche, le scientifique travaillent sous une montagne de feuilles éparses, dans un bureau tout ce qu’il y a de plus classique. Comme tous les autres chercheurs du département de recherche, il participe activement à Cop15, la conférence des Nations Unis sur le Climat qui se tient jusqu’au 18 décembre dans la capitale. «Deux d’entre-nous sont conseillers dans les négociations et nous participons aux ateliers, certains participent même directement à l’organisation dans la green team –l’équipe verte-».

Le reste de l’année, le groupe de 30 scientifiques du département de recherches sur le climat est chargé de réaliser des « projections », de prédire où en sera l’état du réchauffement à la fin du siècle. Verdict : « Plus 10 degrés, par rapport à aujourd’hui ». Difficile de croire qu’il n’y pas de réchauffement climatique… Mais en dehors de « ce fait indiscutable », pour le docteur May, les vraies questions auxquelles les climatologues devront répondre dans les prochaines années sont autres. « De quelle manière le réchauffement influence-t-il le niveau de la mer ? La fonte des glaces ? Quelle est exactement la part de responsabilité de l’homme et celle des phénomènes naturels?, ce sont ça les vraies problématiques», rétorque le scientifique. Quand à l’influence des négociations de Cop15 sur le réchauffement climatique : « Vous savez, cette conférence est avant tout un moment de politique plus qu’une rencontre entre scientifiques… ».