Dacian Ciolos, un commissaire très discret

8 décembre 2009  |  dans Economie

Photo DR / Commission européenne

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Âgé  de 40 ans, le roumain Dacian Ciolos hérite du délicat portefeuille de commissaire européen à l’agriculture. Il devra réformer la politique agricole commune, un dossier qu’il connaît bien. On le dit indépendant et partisan de la régulation, mais il s’est toujours appliqué à ne pas dévoiler ses orientations.Dacian Ciolos a la joie discrète. Est-il heureux de sa nomination comme nouveau commissaire à l’agriculture ? Oui, bien sûr, répond-il. Mais pas question d’en dire plus : « Je ne veux pas m’exprimer pour l’instant sur la PAC ou sur les enjeux européens. Ce ne serait pas correct vis-à-vis de mon équipe, car c’est avec elle que je vais élaborer ma politique ». Le nouveau commissaire européen préfère aussi attendre le vote des députés européens, fin janvier, qui devrait le confirmer dans ses fonctions. Difficile, donc, de discerner les intentions de celui qui sera chargé de définir les grandes orientations de l’agriculture européenne.

Dacian Ciolos n’est en tout cas pas un novice en la matière. Il s’est plongé très tôt dans les méandres de la politique agricole commune. Sous-secrétaire d’Etat à l’agriculture en 2005, il est chargé des affaires européennes. Son pays est alors candidat à l’entrée dans l’Union. En 2007, il devient ministre de l’agriculture quand la Roumanie intègre l’UE. »Mon travail a beaucoup consisté à appliquer les directives de la politique agricole commune » explique Dacian Ciolos. Au premier rang de ses préoccupations figurent les aides européennes aux agriculteurs. La Roumanie est en effet épinglée par la commission, qui s’inquiète de l’opacité du système roumain en matière de versement et de contrôle des aides. « Une de mes missions a été de lever la clause de sauvegarde qui empêchait les agriculteurs roumains de toucher ces aides, je suis très satisfait que nous ayons réussi sur ce point » se félicite-t-il. « Dacian Ciolos a également négocié la possibilité, pour les agriculteurs roumains, de toucher des subventions nationales en plus des aides européennes » ajoute Cristian Ghinea, journaliste et membre du Centre roumain pour les politiques européennes (CRPE).

Un profil atypique

Pour cet expert, Dacian Ciolos a toutes les compétences requises pour le poste de commissaire européen. « Cet un bon connaisseur des politiques agricoles. Je pense qu’il se montrera moins conservateur que ce que beaucoup attendent d’un commissaire roumain » préfigure-t-il. Dacian Ciolos n’a en effet pas le profil-type du commissaire européen. Ingénieur agronome de formation, il a pu se frotter avec les réalités du terrain. Etudiant à l’université de Cluj, en Transylvanie, au début des années 90, Dacian Ciolos a effectué plusieurs stages dans des fermes près de Toulouse et en Bretagne. C’est d’ailleurs dans cette région, à Trévé, que le futur commissaire s’est familiarisé avec l’agriculture bio. « Il a fait trois mois de stage chez nous lors d’échanges avec l’université de Cluj. C’est resté un ami » confiait fin novembre à Ouest-France Hervé Grosset, maraîcher bio dans cette petite ville des Côtes d’Armor.

Dacian Ciolos a conservé une relation privilégiée avec la France. Mariée à une Française et parfaitement francophone, c’est un ami très proche de Michel Barnier. « C’est vrai que nous nous connaissons depuis plusieurs années » admet le nouveau commissaire. « Il est un bon connaisseur des questions agricoles, j’espère qu’il se montrera compréhensif quand je lui présenterais la réforme de la PAC » ajoute-t-il en souriant.  De l’avis de plusieurs experts roumains, cependant, il n’est pas certain que Dacian Ciolos soit « le deuxième commissaire français » comme le craignent les Britanniques. « Il est très indépendant » assure Lucian Luca, de l’Institut d’Economie agricole de Bucarest. « Il a réussi à être ministre d’un gouvernement libéral tout en étant proche du président de centre-droit Traian Basescu. En Roumanie, c’est déjà un exploit en soi » renchérit Cristian Ghinea. Mais eux-mêmes n’arrivent pas à déterminer quelles seront les orientations de Dacian Ciolos à la commission. On le sait partisan de la régulation et plutôt sensible à l’importance sociale du monde rural. Mais il serait aussi favorable aux OGM. « Sur la plupart des sujets chauds concernant l’agriculture, Dacian Ciolos a toujours évité de prendre parti » regrette Cristian Ghinea. Il va devoir désormais lever le mystère.

La Roumanie : une agriculture en mutation

Pour la Roumanie, il y a désormais un avant et un après 2007. L’entrée dans l’Union européenne a contribué à modifier en profondeur l’agriculture du pays. Un élément non négligeable, car le secteur agricole fait vivre un tiers de la population roumaine. Alors que les autres pays européens voient baisser leur nombre d’agriculteurs depuis vingt ans, la Roumanie a gagné, elle, en paysans depuis la chute du communisme en 1989. Un retour à l’agriculture qui s’explique par la redistribution des terres au début des années 1990, mais aussi les difficultés financières. L’agriculture roumaine reste en effet très vivrière. Si l’agriculture intensive représentait 5 millions d’hectares en 2009, l’agriculture traditionnelle, elle, occupait trois millions d’hectares de terres cultivées.

Mais la part de l’agriculture de subsistance tend tout de même à diminuer depuis dix ans. La Roumanie a en effet commencé à professionnaliser le secteur depuis sa candidature à l’Union européenne en 2000. Les objectifs de la politique agricole commune lui imposent en effet une hausse de la productivité. Les autorités roumaines ont donc incité, depuis dix ans, les fermes à se regrouper, car l’agriculture du pays est handicapée par la petite taille de ses exploitations, souvent inférieures à un hectare. Cette politique, qui mêlent incitation et contrainte fiscales, a permis de diminuer de 5% le nombre d’exploitations entre 2002 et 2005, permettant à celles-ci de passer d’une taille moyenne d’1,7 hectares à 2,15 hectares sur cette période. Mais aujourd’hui encore, la Roumanie compte trois millions de fermes, ce qui fait d’elle le pays comptant le plus d’exploitations agricoles en Europe.

Cette morcellisation de l’agriculture, accompagnée d’un manque certain d’infrastructures, en matière d’irrigation notamment, fait que la Roumanie possède de très faibles rendements agricoles. Alors que le pays était exportateur de produits agricoles en 1989, il importe aujourd’hui une bonne partie de sa nourriture. La Roumanie fait donc face à un double défi aujourd’hui : augmenter sa production pour limiter sa dépendance, tout en protégeant son agriculture traditionnelle, essentielle pour le tissu social du pays.