Dans les archives de la Securitate

4 décembre 2009  |  dans International

Photo: David Breger / Youpress

Photo:David Breger/Youpress

Pendant 40 ans, le régime communiste roumain a espionné ses citoyens dans les moindres détails. Deux millions de dossiers sont conservés aujourd’hui à Bucarest, la capitale roumaine, par le Conseil national pour les archives de la Securitate (CNSAS). Reportage.

Les dossiers sont soigneusement rangés sur les étagères. Des dizaines, parfois des centaines de feuilles jaunies, où sont décrits à l’encre bleue les moindres faits et gestes de ceux que la Securitate, la police politique roumaine, considérait comme suspects…

Tout y est consigné : les enregistrements des conversations téléphoniques, les discussions captées par les micros, les déplacements, la correspondance. « A 14h10, l’objectif écoute radio Bucarest. A 16h, il revient dans la chambre et écoute une émission de football. A 18h02, il règle son poste sur Radio Free Europe (radio anticommuniste financée par les Etats-Unis, ndlr) » note, le 26 mars 1980, un agent de la Securitate.

Une surveillance de chaque instant, qui a atteint son paroxysme sous le règne de Nicoale Ceausescu. De 1965 à 1989, l’autoproclamé « Génie des Carpates » a assis son pouvoir sur une Securitate tentaculaire et omniprésente. On estime que plusieurs centaines de milliers de citoyens roumains ont collaboré, de gré ou de force, avec la terrible police politique. Dans les archives du Conseil national pour les archives de la Securitate (CNSAS), on les retrouve classés sous la lettre « R ». « Chaque informateur avait un nom de code » explique Ancuta Median, la porte-parole du CNSAS. « Lorsqu’une personne qui a été surveillée par la Securitate consulte son dossier, c’est ce nom de code qui apparaît. Si elle le souhaite, nos chercheurs peuvent essayer de retrouver le dossier de son informateur ».

Trahis par leurs proches

Mais la découverte est parfois cruelle. Ancuta Median en a fait elle-même l’expérience, lorsqu’elle était encore archiviste. « C’était il y a quatre ou cinq ans, j’ai apporté à un vieil homme le dossier de son informateur. Il s’est alors rendu compte que c’était sa femme qui l’avait trahi. Il n’y a pas de mots pour décrire l’expression de son visage à ce moment » se souvient-elle. La Securitate, comme toute police politique, recrutait en effet en priorité les proches de sa « cible » : conjoints, amis, frères ou sœurs. Argent, chantage, menaces, tout était bon pour les inciter à trahir.

Malgré le risque de voir leur vie bouleversée, près d’un million de Roumains ont consulté leur dossier depuis 1999. Une ouverture au public qui n’a pas été facile. Créé il y a dix ans, le CNSAS ne fonctionne vraiment que depuis 2007. Les services de renseignement roumains, héritiers de la Securitate, refusaient en effet de transmettre leurs archives. Il aura fallu l’obstination de plusieurs historiens et l’intervention du président Traian Basescu pour que deux millions de dossiers soient finalement divulgués.

Mais il reste encore beaucoup d’archives introuvables. Vingt ans après la révolution qui a renversé le régime communiste, la police, l’armée, ou le ministère de la défense refusent encore de dévoiler leur passé. Et beaucoup de documents ont été détruits. Malgré ces difficultés, le CNSAS continue de se battre pour rassembler les traces de ce passé douloureux. Ancuta Median, elle, veut y croire : « nos archives ont une valeur inestimable, elles sont le témoin de l’histoire récente de notre pays. S’ils veulent progresser, les Roumains doivent clarifier leur passé ».