Chemin de traverse pour les gens du voyage

14 août 2010  |  dans France, Société

caravanesAlors que le Nicolas Sarkozy a organisé le 28 juillet dernier une réunion de « crise » à l’Elysée pour évoquer le sort de « certains Roms et gens du voyage », les concernés voient en ces déclarations une remise en question de leur identité française. Reportage dans un campement de Saône-et-Loire.

C’est une aire d’accueil comme il en existe en théorie dans toutes les communes de plus de 5000 habitants en France. En effet, Louhans, sous-préfecture de Saône-et-Loire, en Bourgogne, est dans l’obligation légale d’offrir un emplacement à la communauté des gens du voyage. C’est ici chose faite depuis juin dernier, bien avant que les évènements de Saint-Aignan (Loir-et-Cher) où un jeune de la communauté a été tué par un policier pour avoir franchi illégalement un barrage routier, ne fassent parler de ces Français au mode de vie méconnu. L’intervention du président lors de la réunion de « crise » qui a suivi a été très controversée, faisant l’amalgame entre les délinquants qui, en répression ont attaqué une gendarmerie, et une communauté toute entière.

Avant le grand rassemblement de Chaumont.
Arrivée un dimanche début août, cette communauté itinérante d’une centaine de caravanes passera une semaine sur ce terrain vert, sorte de pré à l’herbe haute, où se croisent embranchements électriques et raccordements à l’eau. Au milieu du pré, on peut même apercevoir une machine à laver qui tourne. « Mais nous faisons ça vite, nous sommes habitués », explique Jean-Charles Daubert, dit « Fanfan », 57 ans, l’un des pasteurs de la communauté, devant sa caravane impeccablement entretenue. Originaire de Bretagne, il parcourt les routes de France la période estivale venue, pour prêcher l’Evangile. Car très pieux, les gens du voyage sont aussi prosélytes. Chaque soir, sous le grand chapiteau déployé au milieu du campement, se tiennent des séances de lecture religieuse, « ouvertes à tous », car les Ecritures sont « universelles », comme il aime à le rappeler.

« Nous sommes des Français à part entière »

Chez les membres de la communauté, l’émotion semble être palpable. Fanfan s’indigne : « Mes neuf enfants sont tous nés en France, mes parents, mes grands-parents et tous nos ascendants depuis le XIVe siècle sont Français. Mais on continue de nous regarder avec de gros yeux. On est touché dans notre-amour propre. » Pourtant, il ne nie pas l’existence de délinquants ou de trafics parfois, à l’évocation des « cylindrées » qui avaient tant semblé choquer Brice Hortefeux. Simplement, refuse d’être mis dans le même sac. «  N’oubliez pas que nous n’avons pas de maison, nous. Notre seul bien, c’est notre voiture », ajoute-t-il tout de même. Benjamin Alla, sous-préfet de Louhans confirme. « Il n’y a pas plus de délinquance chez les gens du voyage que chez d’autres communautés. Localement, nous n’avons pas de problèmes majeurs. » Les gens du voyage eux-mêmes reconnaissent que les relations avec les autorités sont plutôt cordiales. Ils doivent prévenir de leur arrivée, et selon leur situation professionnelle, viser régulièrement au commissariat ou à la gendarmerie leur livret de circulation, qui ne remplace néanmoins pas d’officiels papiers d’identité. Leur rattachement à une commune leur permet de bénéficier des prestations sociales.

Michel vindeurstin et sa soeur dans le campementMichel Vindeurtstin, 47 ans, originaire du Nord, est sédentaire l’hiver et sur les routes l’été en attendant le grand rassemblement de Chaumont, où des gens du voyage de toute l’Europe se rencontrent. « Nous prévenons toujours les autorités de notre arrivée. C’est seulement lorsque nous n’avons pas assez de place pour tous nous installer que nous nous résignons à occuper des terrains illicitement », explique-t-il, yeux verts et peau tannée. Sa femme, dénonce elle, les « contrôles d’identité » trop fréquents. « Nous sommes des Français comme les autres », s’accorde à dire le couple, installé en extérieur, autour d’une table en plastique. Le temps aujourd’hui est clément.

Un mode de vie méconnu

Alentours, entre caravanes, voitures et camions et stores déployés, les jeunes rient, jouent ensemble. Ils s’amusent à crier le numéro de leur département et déclarent d’une même voix, que « voyager, c’est génial ! On voit du pays ». Seule l’une d’entre eux affirme vouloir plus tard « être sédentaire ». Ils semblent loin des préoccupations de leurs parents. A ccôté de là, une femme s’inquiète pourtant. « Ca fait neuf dentistes qui refusent mon mari en urgence. Le pauvre n’a pas dormi de la nuit de douleur. Dès qu’on dit qu’on est des « gens du voyage », c’est un non », conclut-elle.
« Mais certains habitants locaux nous soutiennent aussi. Les voleurs de poule, ça fait longtemps que ça n’existe plus. On a des droits aussi », déclare Michel. « Dans notre culture, il y a une grande solidarité entre nous, et la famille est très importante. Notre mode de vie, c’est de parcourir les routes, c’est la liberté. » Un quotidien aussi difficile. « Nous sommes rempailleurs, paysagistes, peintres, on fait des petits boulots en proposant nos services en faisant du porte à porte. On prend moins cher que les autres, mais c’est pas tous les jours évident », explique-t-il. A l’autre bout du campement, des hommes jouent du jazz « manouche » en espérant des jours meilleurs.

Gens du voyage, tsiganes, roms, gitans, manouches… Qui est qui ?

L’expression “gens du voyage” est une catégorie juridique du droit français, mise en circulation par deux décrets de 1972, qui remplaça le carnet anthropométrique institué en 1912 par un livret de circulation. Les gens du voyage, de nationalité française, doivent le faire viser régulièrement au commissariat ou à la gendarmerie, à une fréquence différente selon leur situation professionnelle. Cette “appellation” se réfère aux personnes dont l’habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles, sans connotation ethnique, puisque la Constitution ne reconnaît pas l’existence de minorités ethniques ou nationales.
Le terme le plus générique pour désigner ces populations est celui de “Rom”, qui veut dire “homme” en hindi. Parmi eux, des sous-groupes aux “appellations” et origines différentes : les Gitans habitent surtout le sud de la France, où ils sont majoritairement sédentaires, les Gitanos en Espagne, les Gypsies (qui viendraient d’Egypte) dans les îles britanniques. Les Manouches désignent un groupe qui vit plutôt dans le Nord de la France et en Allemagne, tandis que les Sintis habitent l’Allemagne et le Nord de l’Italie. Les Roms constituent un groupe à part venant de l’Est de l’Europe (Roumanie, Bulgarie…) Certains termes sont désormais obsolètes ou péjoratifs comme Bohémiens (qui arrivent du royaume de Bohème) ou Romanichels. Contrairement aux idées reçues, ces populations sont aujourd’hui majoritairement sédentaires.