Catch-moi si tu peux : ta mère sur le ring

3 octobre 2010  |  dans Femmes

Delphine, aka Bulla Punk et ses enfants

Delphine, aka Bulla Punk et ses enfants

Il n’y a pas que les petits garçons qui rêvent d’achever leurs adversaires d’un saut de l’ange de la troisième corde du ring. Il y aussi quelques filles, des grandes, parfois amoureuses, des fières, des musclées, des dures à cuire, qui prennent souvent un malin plaisir à jouer les méchantes.

Ils vont peut-être vivre longtemps, heureux et même avoir beaucoup d’enfants. En attendant, elle lui colle une énorme mandale. Monsieur le Maire a tout juste eu le temps de récupérer son buste de Marianne et de remballer son écharpe tricolore. Belisarios-Joannick-le-gladiateur a déjà balancé Galathorn-Sabrina-la-guerrière-viking sur la table où ils signaient, il y a quelques minutes, le registre des mariages. Voici où se déroule « le plus beau jour de la vie » de Sabrina : sur un ring, sur la place de son village, à Catillon-Fumechon en Picardie. « Je ne voulais pas trop me marier… mais en tenue de catch, pourquoi pas ? » Il n’aurait pas pu en être autrement. Exit robe blanche, bouquet de fleurs, et demoiselles d’honneur. Place aux costumes improbables de gala. Une suite logique pour le couple qui s’est rencontré et séduit entre deux coups de la corde à linge à un entraînement de catch. Après deux années de pratique et quelques galas, Sabrina, 32 ans, s’est décidée à dire « oui » à Joannick, 44 ans, son partenaire sur le ring. Dans la famille de Sabrina, Dimitri, le frère de 22 ans, témoin enchaîné à la mariée pour les besoins de la mise en scène, semble un peu troublé. Il affirme que sa sœur « est faite pour ça » même s’il ouvre de grands yeux ronds devant les tannées que les jeunes mariés s’échangent. Sabrina ne s’en laisse pas conter. « Toujours habituée aux univers masculins », cette ancienne championne de France d’aviron évolue sans gêne dans le milieu du catch, ne répugne surtout pas à se battre contre des catcheurs, et rêve d’offrir une longue carrière à Galathorn, son personnage.

Tatiana, aka Kim Kaycee

Tatiana, aka Kim Kaycee

Qu’on se le dise jusque dans les cours de récré où ce sport est redevenu à la mode, le catch n’est plus un spectacle de garçons. Elles sont de plus en plus nombreuses à donner de la descente de cuisse, de la clé de bras, ou à pratiquer l’étranglement contre des rivaux, hommes ou femmes. Et surtout, elles accèdent enfin à une certaine notoriété. Ne cherchez pas les catcheuses des années 50 et 60, époque bénie du catch français. Elles ont été oubliées. « Il n’y a aucune archive vidéo de catcheuses à cette époque », fait remarquer Claude Roca, plus connu dans les années 60 sous son nom de ring « Le Petit Prince ». Et pour cause : « Ce n’était pas décent de montrer des femmes qui se battaient à la télévision. » Indécent de les filmer mais pas de les programmer dans les galas de L’Elysée-Montmartre pour faire venir le public. Aujourd’hui, les catcheuses françaises profitent de la même visibilité que les hommes et se prennent à rêver de célébrité, dans ce milieu pour l’instant amateur. Dans l’immédiat, elles se font aussi plaisir : « On peut se mettre à hurler sans raison, dégager le surplus d’énergie qui nous bouffe », raconte Sabrina qui se délecte de jouer un personnage super-méchant, une guerrière viking venue d’Islande, spécialiste des écrasements et qui a un contentieux millénaire à régler avec la famille de Belisarios (son mari). Une double-vie que sa hiérarchie préfère étouffer, devoir de réserve oblige. À peine aurons-nous le droit de révéler que Sabrina travaille dans la sécurité.

Mi-monstre, mi-femme (au foyer)

Boulot, hiérarchie, et lundis matins « pas funs », Delphine, 35 ans, also known as Bad News Bulla Punk, a préféré tout plaquer pour le catch. Cette ancienne télétravailleuse en assurances semble se faire à sa nouvelle vie plus rock’n’roll. « La première fois que mon mari et moi sommes allés chercher les enfants à l’école Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-Jésus, les autres parents nous regardaient bizarrement », raconte-t-elle, sourire en coin. Cheveux violets pour elle, crâne rasé, piercing et tatouages pour lui : monsieur et madame ne sont pas tout à fait des parents ordinaires. Tous les deux sont mordus de catch. Lui, Daniel aka Booster, a fondé une petite entreprise de production de spectacles (Troisième corde Production) et une école de catch (ICWA). Elle, mère au foyer, gère l’administratif quand elle n’est pas sur le ring. Il élabore les scenarii et elle les exécute, au côté des autres membres de la fédération. Les affaires semblent marcher, le couple enchaîne les galas à travers la France. Ils ont dernièrement participé à la mini-série de Canal +, « Catch-moi », diffusée en mai dernier. Le personnage de Delphine, méchant là encore, « mi-femme mi-bête », gagne en popularité et séduit les médias. Maman peut ainsi se targuer d’avoir « promené » sur ses épaules Cauet et Bruno Gaccio à travers les plateaux de télévision.

En huit ans de catch, Delphine connait les ficelles du métier. « Le catch, ça ne s’improvise pas », assure-t-elle, sans rire. Il faut voir comme elle mène son public lorsqu’elle est grimée, vêtue d’une petite robe pigeonnante en vinyle et qu’elle hurle à la mort sur le ring. « Bulla Punk, c’est un personnage qui marche très fort. » ça ne fait aucun doute : le public l’acclame au lieu de la siffler. « Là, il faut inverser la tendance », commente-t-elle. En clair, se faire détester : air hautain et agression verbale. Parfois, ça dérape. « L’autre jour, Daniel m’a engueulée parce que j’ai lâché des gros mots pendant un match, dit-elle en pouffant, presque gamine. C’est vrai, ça le fait pas, il y a des enfants dans la salle. » Elle avait promis qu’à 35 ans, elle arrêterait. Mais la retraite de Bulla Punk n’est pas pour demain : « je continuerai tant que je n’aurai pas l’air ridicule », jure-t-elle.

Delphine, aka Bulla Punk

Delphine, aka Bulla Punk

Diva ? Et puis quoi ?!

Mais déjà, la relève se prépare. Tatiana, 18 ans, a été repérée par Daniel il y a trois ans. « Il y en a qui tombent et qui mettent trois plombes à se relever. Elle était debout en moins de deux secondes », se souvient-il. A l’origine seule fille à suivre les entraînements, elle représente désormais la fédération lors des galas organisés par Daniel, avec son personnage de Kim Kaycee, la gentille rebelle des cités. « Un peu comme moi quoi », ajoute la lycéenne. Et pour en arriver là, elle s’est accrochée, a bataillé contre sa mère peu emballée par le catch et dégoté le bon bus pour l’amener chaque mercredi et samedi aux entraînements. Trois heures de transport à chaque fois. Kim Kaycee affiche plus de trois cents fans sur Facebook, pendant que Tatiana parle des « risques du métier » et « respect du public » comme une pro. Pourtant, les cachets sont encore trop rares et trop maigres (60 euros par match) pour vivre du catch.
Lucide, elle a décroché un bac pro dans la vente. Mais elle ne lâche pas, « prête à aller jusqu’au bout ». Enfin… presque. Elle observe depuis le Pas-de-Calais les « divas » américaines. Ces catcheuses musclées, bronzées, peroxydées et siliconées qui peuplent les fédérations outre-Atlantique. « Elles sont là pour faire beau, avec leurs gros seins. C’est pas mon délire. Je suis pas là pour poser sur un ring. » La diva à la française sera une vraie dure à cuire.

Voir également le diaporama grand format de Juliette Robert : Catch-moi si tu peux.