Mwimba Texas, le catcheur blanc ébène

9 février 2017  |  dans International

Mwimba Texas avec ses trophées © Aude Osnowycz

Mwimba Texas avec ses trophées © Aude Osnowycz

Il n’a jamais connu une seule défaite en 35 ans de carrière. Véritable légende au Congo, le catcheur Mwimba Texas, est aussi devenu le défenseur des albinos, encore très largement exclus dans la société congolaise.

Un 4×4 rouge pétant s’arrête et se gare dans une rue boueuse de Kinshasa, la capitale de la République Démocratique du Congo. A l’intérieur, un individu hybride, habillé comme un super-héros d’un survêtement satiné qui lui couvre entièrement le corps, laissant apparaître seulement quelques bribes de peau rosée. Pas brune, comme les autres passants. Car Mwimba Texas, immense champion de catch congolais, est aussi albinos. Cette particularité génétique consiste en un déficit de mélanine qui fragilise la peau, mais aussi entrave une vision normale par une rétine manquant de récepteurs et de pigments. Aussitôt extirpé du véhicule, côté passager – car Mwimba Texas voit mal, il a donc un chauffeur-, un large sourire éclaire son visage et sa bonne humeur communicative se fait immédiatement sentir. La vie ne lui a pas fait de cadeau, mais le sportif a appris à faire preuve d’une détermination à toute épreuve. 
En Afrique, afficher une peau translucide peut s’avérer très dangereux… voire parfois mortel. Les albinos sont souvent soumis à des pratiques de sorcellerie. Il n’est pas rares que leurs membres soient utilisés pour des potions. C’est au Cameroun, au Burundi, au Mali, et surtout en Tanzanie que le sort des albinos est le plus cruel. Depuis le début de l’année, pas moins de 200 « sorciers » ont été arrêtés en Tanzanie, responsables d’enlèvements et de meurtres d’albinos.

En République Démocratique du Congo, la situation n’atteint pas ces sommets, mais le sort réservé aux albinos reste soumis aux diktats d’une société intolérante. 
Mwimba Texas, avant de devenir le champion qu’il est devenu, a connu des années cruelles. « Dans ma famille, nous sommes trois enfants sur six à être albinos », explique-t-il, sur une terrasse ombragée, afin de ne pas faire subir à sa peau l’intensité toxique des rayons du soleil. « Dans notre région natale du Bas-Congo, on a beaucoup souffert de discrimination. On nous disait que nous étions des bons à rien, que l’on ne réussirait pas à s’en sortir. C’est encore très ancré dans les mentalités. A l’école, on se moquait de moi, car je devais m’approcher très près du tableau pour voir », se souvient Texas. 
En effet, les préjugés sur l’incapacité intellectuelle ou physique supposée des albinos sont encore prégnants. Pour Mwimba Texas, « aller à l’école est primordial, pour avoir une formation complète », et surtout, rompre le cercle de l’exclusion. Mwimba Texas, père de deux enfants non-albinos, raconte pudiquement les réflexions que sa femme a subies lorsqu’elle l’a choisi comme époux. « Comment va-t-il gagner sa vie », demandait la belle-famille. Parfois, les situations sont tragiques : « Certaines femmes albinos sont sources de curiosité malsaine pour les hommes et abandonnées dès qu’elles tombent enceintes, ou encore parfois même des enfants sont tués à leur naissance lorsqu’aucun des deux parents n’est albinos, la femme étant suspectée d’adultère« , lâche le docteur Sophonie, une Congolaise albinos également très impliquée dans la défense de leurs droits.

Texas Mwimba entouré de membres albinos de sa fondation  lors d'un office dans une église qui tente de défendre les albinos. © Aude Osnowycz

Texas Mwimba entouré de membres albinos de sa fondation lors d’un office dans une église qui tente de défendre les albinos.
© Aude Osnowycz

Le sport comme exutoire

Dans ces conditions, sa découverte du karaté quand il est encore enfant lui semble le meilleur moyen de se défendre contre les attaques venant de toutes part. Le souvenir de ce terrain de foot déserté par ses petits camarades quand il avait 7 ans, car il souhaitait jouer au foot avec eux l’a profondément marqué. En réaction, Mwimba Texas se met à pratiquer tous les sports de self-défense, le ju-jitsu, mais aussi, et surtout, la lutte. Avec les moyens du bord bien sûr : pas de belles salles comme en Europe, mais des entraînements en extérieur, dans la nature environnante, sur une simple bâche. La voie sportive sera son exutoire et aussi celle de la réussite. D’entraînements en entraînements, Mwimba Texas gagne en crédibilité. Des agents lui proposent toujours plus de combats, intrigués par cet agile athlète blanc, qui maîtrise le ring comme personne et qui attise la curiosité du public. Sans compter qu’après le football, le catch est l’un des sports les plus populaires. « La fierté du catch congolais est entre les mains d’un albinos ! », s’amuse-t-il.
Mais il se rappelle aussi ce match joué en 1999 dans la province du Katanga. « L’arbitre ne voulait pas arbitrer le match d’un albinos. Il avait peur sans doute. Il y a eu un moment d’attente qui a semblé une éternité. Le public se demandait ce qui allait se passer. Je suis resté calme, et finalement, un catcheur a récupéré le sifflet et le match a pu commencer. Ce jour-là, j’ai gagné, mais la victoire a été un peu amère », reconnaît-il. 
De sa vie, il n’a jamais connu une défaite. Seulement quatre nuls, sur 650 matchs. Une vraie performance. Aujourd’hui, véritable star nationale, les passants le reconnaissent aisément dans les rues de Kinshasa, lui lançant jovialement des mots d’encouragements. Les « Champion ! » fusent, laissant  à chaque fois une expression de joie sur le visage du lutteur. Il forme même des policiers et des militaires à des techniques de combats sans arme, un gage de reconnaissance étatique. 
Mwimba Texas n’a pas volé son succès. Plein d’idées pour révolutionner son sport, il est devenu le fer de lance dans l’idée de « créer un catch classique et éducatif, sans utilisation de grigris magiques », explique-t-il.

Des albinos toujours exclus

Sa réussite sociale ne l’a pas rendu riche pour autant. Son seul plaisir dans la vie ? Ses six survêtements colorés et satinés, unique tenue dans laquelle il se sent bien. Les costumes, très peu pour lui ! « J’ai gagné 10 000 dollars lors d’un dernier match, et j’en ai utilisé 7000 pour acheter mon 4×4 actuel, l’entretenir et acheter l’essence, et 3 000 pour acheter des crèmes solaires et des lunettes de soleil pour des frères et sœurs albinos », explique-t-il. Car il l’a compris : pour être efficace, il a mis son sport — et donc sa popularité — au service de sa nouvelle lutte. La défense des albinos. De là est née sa fondation en 1997. Fiston Tundu, musicien et chanteur albinos, a rejoint immédiatement les rangs. « J’ai trouvé l’initiative très bonne, les albinos sont toujours stigmatisés. Il faut donner une nouvelle image de notre communauté, pour normaliser nos vies. » Célestin, un autre membre de la fondation, se souvient d’un acte de solidarité de son professeur, quand il était petit. « Il a commencé à chanter une chanson qui disait « Célestin est mon ami, il a des cheveux blonds ». Après cela, tout le monde me regardait différemment. J’étais devenu fier d’être albinos. » C’est tout le sens du combat de Mwimba Texas : que les albinos s’acceptent. A l’Église du jardin botanique de Kinshasa, ils sont cinq ou six ce dimanche dans l’assemblée à s’être associés à Mwimba Texas. « C’est la première église du pays à publiquement afficher une attitude albinophile », se réjouit-il. Preuve que les temps changent ?

Aujourd’hui, on le surnomme le Mandela des albinos. Mwimba en est mi-amusé, mi-flatté. Même si aux yeux des autorités internationales, la RDC fait figure de pays modèle, comparé au Burundi et à la Tanzanie, il reste encore du travail à accomplir. Le champion continue activement à promouvoir la prévention auprès des publics concernés. « Certains parents ne savent pas comment agir avec leurs enfants albinos ou n’ont pas accès à de la crème solaire pour les protéger, explique-t-il. Chaque semaine, cinq, six, sept nouveaux décès sont à déplorer, à cause des cancers de la peau causés par les dangers du soleil. » Ses maîtres mots restent : manches longues, tricots, lunettes anti-solaires. Le rêve de Mwimba Texas serait aujourd’hui d’ouvrir un centre de soins mêlant un cabinet ophtalmologique et dermatologique, afin d’apporter une prise en charge médicale complète aux albinos. Reste le nerf de la guerre : l’argent. A 50 ans, l’invincible catcheur a pris sa retraite, mais Mwimba Texas n’a pas mené son dernier combat : s’occuper de ses semblables l’occupera jusqu’à son dernier souffle.