Saamis : les derniers indigènes d’Europe

24 octobre 2010  |  dans International

Crédits:Corentin Fohlen/Fédéphoto

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Les Saamis, longtemps appelés Lapons, sont les derniers indigènes d’Europe. Malgré les quatre frontières qui divisent leur terre, les héritiers de cette culture millénaire, persistent à défendre leur identité. Rencontre avec ces indigènes du XXIe siècle.

Au bord de l’autoroute, un hôtel délavé. Sur la terrasse, une dizaine de locaux regardent, curieux, les touristes qui descendent des cars. Les vacanciers, eux, se demandent ce qu’ils font là, au milieu de nulle part. L’autobus laisse quelques randonneurs derrière lui, mais la pause à la boutique souvenirs terminée, tout le monde remonte vite-fait. Ici, depuis longtemps, la nature a gagné face aux buildings. Autour de l’hôtel, sur des dizaines de milliers de kilomètres, s’étalent un lac bleu immense, des forêts et encore des arbres, à perte de vue. Nous sommes au-delà du cercle polaire, dans cette terre presque inhabitée, où en été la nuit ne tombe pas. Nous sommes aussi à Inari, une municipalité de 6800 habitants au nord de la Finlande : l’un des derniers bastions Saamis.

Pendant des siècles, ce peuple arrivé il y a 12 000 ans, fut pourtant le seul à vivre sur cette terre immense qu’on appelle la Laponie. Mais des décennies de colonisation et une sévère politique d’assimilation aidant, les Saamis qu’on appelle aussi Sâmes ou Sâmés, sont devenus la minorité de la Scandinavie. Mieux connus sous un nom qu’ils rejettent, les « lapons », traduisez «porteurs de haillons», ils ont choisi de s’appeler Saamis, en référence à « Sapmi » qui désigne, dans leur langue, l’ensemble de leur territoire. Une terre immense si l’on fait abstraction, des quatre frontières qui l’ont divisée. Il n’existe aujourd’hui pas de recensement précis, mais leur nombre est estimé à 70 000, répartis inégalement entre la Norvège (40 000), la Suède (20 000), la Finlande (7 500) et la Russie (2 500).

«Les Saamis, c’est un peuple, pour quatre pays », résume Gauldi, l’Association norvégienne pour la défense des peuples indigènes. Quant à leur langue, le saami, et les neuf dialectes dérivés, ils ne correspondent pas non plus aux frontières politiques tracées par la colonisation. Ainsi, la municipalité d’Inari a quatre langues officielles : Le finnois, le saami Inari, le saami du Nord et le saami Skolt. Dans cette petite commune, 30% des habitants du village sont des descendants directs du peuple millénaire. Mais dans la rue, sur la terrasse de l’hôtel,  impossible de les distinguer des Finlandais. Au grand regret des vacanciers friands d’exotisme…

Les elfes du Père Noël

Crédits:Corentin Fohlen/Fédéphoto

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Comme chaque soir, en cette période de congés scolaires, les jeunes d’Inari, Saami ou non, se retrouvent sur le parking du supermarché pour faire du skate board et écouter du rock. Sweat-shirt et jeans délavés, Vasko, 18 ans ironise : « quand les touristes arrivent ici, ils sont déçus. Ils pensent qu’ils vont rencontrer les elfes du Père Noël, avec leurs chapeaux à clochettes, mais non, il n’y a que nous ! ». Il faut dire qu’à quelques kilomètres de là, « la vraie maison du Père Noël », avec ses elfes arborant des costumes inspirés des tenues traditionnelles saami, fait un tabac. Les touristes du monde entier font la queue pour se faire photographier avec les petits elfes-saami.

« C’est la honte, ils se servent des traditions de notre peuple pour faire de l’argent, s’emporte Sammeli, l’ami de Vasko. C’est comme les patrons de ces grosses boutiques de souvenirs qui vendent des bijoux avec les symboles chamaniques, ils n’ont aucun respect ». Et le jeune saami d’expliquer:  » ce n’est pas parce qu’on ne vit pas sous une kota* que nous ne sommes pas fiers de notre culture ». D’ailleurs, les deux adolescents portent le costume traditionnel pour chaque évènement important (mariage, rassemblements, messes), parlent saami avec leurs parents et partent chaque week-end aider leurs oncles, éleveurs de rennes. Mais à part cela, « nous sommes des jeunes comme les autres, nous avons deux cultures, c’est tout », résume le sage Vasko. Ce n’est pas l’avis d’Anna, musicienne Saami et assistante parlementaire du Samidiggi ( ?), le parlement saami. Pour la jeune femme, la jeune génération a la lourde responsabilité de faire vivre et diffuser la culture saami.

Le « choix personnel » d’Anna

Confortablement assise, sur le fauteuil de la cafeteria du SIIDA, le musée d’Inari consacré à la culture saami, la jeune femme de trente ans a fait de la défense de son identité, un combat quotidien.  « Je parle saami dès que j’en ai l’occasion, explique Anna, déterminée.  Quand deux saamis se rencontrent, c’est la première discussion qui compte, soit ils font le choix de se parler en finnois, soit ils commencent par le saami, car une fois qu’on a pris l’habitude, c’est très difficile de changer ».

Pour elle, la pratique de la langue est « une garantie contre la mort de la culture ». Le saami ayant été interdit jusqu’en 1956 par les Etats nordiques, la majorité des descendants du peuple de l’Arctique ne le parle plus. C’est pourtant déterminant aujourd’hui car pour être reconnu comme tel et pouvoir voter au parlement saami, il faut faire la preuve que soi, ses parents ou ses grands parents «parlent saami comme langue maternelle». A Inari toutefois, on ne s’étonne plus d’entendre parler les dialectes de cette langue millénaire à la terrasse de l’hôtel. Les écoles de la municipalité proposent un enseignement dans cette langue et un institut professionnel d’artisanat a été fondé dans la ville.

Mais pour Anna, être saami aujourd’hui, c’est avant tout une question de « choix personnel ». Car pour la nouvelle génération il est « très facile de se laisser diluer dans la culture dominante », car  « ici, il n’y a pas d’université et il n’y a pas de travail, donc les jeunes doivent partir dans les grandes villes pour étudier et trouver un emploi ». Après ses études dans la capitale, Anna, elle, a fait le choix de revenir en Laponie : « la nature me manquait et je voulais que mes futurs enfants soit élevés dans la culture saami, elle m’a beaucoup apporté ».  Car la jeune assistante parlementaire ne l’oublie pas, si elle est aujourd’hui musicienne, c’est aussi grâce à son identité saami.

La musique d’Anna, clarinettiste, s’inspire du Joïk, un chant issu des traditions chamaniques qui est devenu un moyen d’expression du peuple saami au XXe siècle. Comme Anna, ils sont nombreux depuis les années 70 à avoir travaillé au «renouveau de la culture saami». En plus des musiciens très nombreux, de jeunes stylistes créent des vêtements à base de peau de rennes et d’orfèvrerie saami. A quelques kilomètres d’Inari, dans un hameau habité par des éleveurs de rennes, un jeune homme, enregistre des morceaux de rap dans sa langue maternelle, le saami du Nord.

La voix du peuple de l’Arctique

Crédits:Corentin Fohlen/Fédéphoto

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Ailu, 26 ans, fait aussi des chroniques musicales et diffuse ses compositions sur Radio Saami. Au XXe siècle, les radios saamis ont beaucoup compté dans la sauvegarde de la culture saami.  Les premières ont commencé à diffuser en Norvège en 1936, aujourd’hui, elles sont présentes également en Suède et en Finlande. En plus d’un rôle culturel, celle-ci ont un véritable rôle politique. Grâce à un savant échange de programmes entre les radios des différents pays, elles travaillent à créer une unité saami par delà des frontières. Par ailleurs, elles modernisent la langue en donnant les traductions pour les objets de la vie contemporaine et de nombreux programmes sont à destination des enfants, afin qu’ils puissent écouter parler leur langue.

« C’est très important pour moi de participer à la diffusion de ma culture, explique Ailu. Car je suis le premier homme de ma famille-aussi loin que remonte mes ancêtres- à ne pas devenir éleveur de rennes». Depuis des millénaires, l’élevage transhumant des rennes est au cœur de la culture saami. Source de nourriture, matière pour l’habillement, les rennes ont également été une source d’inspiration pour les chamanes et les artisans de Laponie. Aujourd’hui encore, même si la colonisation et la dureté de la vie ont conduit bon nombre d’entre-eux à abandonner, il constitue encore le ciment de la communauté. D’ailleurs, la majorité des élevages de Laponie serait tenues par des Saamis.

«C’est un travail très difficile moralement comme physiquement, explique Ailu. Les éleveurs doivent se battre constamment contre tous pour pouvoir vivre et maintenir leur mode d’élevage traditionnel». C’est aussi pour cette raison que le jeune rappeur a refusé de reprendre le flambeau : «tous mes amis d’enfance sont devenus éleveurs et ma petite amie aussi, mais financièrement c’est très dur, moi j’ai préféré aller à l’université». Aujourd’hui seulement 10% des Saamis seraient éleveurs de rennes.

« Nous vivons selon les règles de la nature »

Tiina et Leo, font partie de ceux-là. Tous deux éleveurs, ils se sont rencontrés il y a 5 ans dans un «round up », une sorte d’enclos où les rennes sont rassemblés par les éleveurs après la transhumance. Avant de se marier, Tiina, saami skolt, et Léo, saami Inari, vivaient chacun dans une communauté différente (les familles d’éleveurs se regroupent en coopérative pour vivre et travailler ensemble). Le couple à fait le choix de s’installer à Moutoussiardi, la communauté de 60 personnes-7 familles- qui a vu naître Leo.  « Nous vivons selon les règles de la nature», raconte la jeune femme.

Pendant six mois les éleveurs s’occupent de leurs bêtes, puis ils les lâchent dans la nature. « Chaque année, nous perdons entre 10 et 80% de rennes qui sont attaqués par les prédateurs ou autre, mais nous travaillons comme nos ancêtres et les animaux sont heureux », explique Léo. Le reste du temps, les éleveurs chassent, pêchent et font la cueillette des baies. Cette manière de travailler n’est pas sans poser de problèmes aux Etats nordiques qui voudraient limiter les zones de pâturages des bêtes, de chasse et de pêche pour des raisons économiques et écologiques (cf : encadré). Mais le couple, comme l’ensemble des éleveurs regroupés au sein de la puissante Association des éleveurs de rennes, n’a pas l’intention de revoir sa manière de vivre.

«Dès le plus jeune âge les enfants mélangent le sang des rennes dans des bocaux, explique Tiina. Ils apprennent à les tuer, à jeter le lasso pour récupérer les rennes, à marquer les rennes à l’oreille selon la tradition, cela a toujours été comme ça et on ne veut pas que ça change». Pourtant, la situation des éleveurs est aujourd’hui « de plus en plus difficile», explique le couple. «Les prix de la viande sont très bas, constate Tiina. Et les normes sont de plus en plus strictes, donc les équipements sont de plus en plus chers». C’est ainsi que le couple a renoncé à travailler avec les abattoirs, qui sont devenus obligatoire pour vendre la viande, désormais, ils tuent les animaux au couteau « comme leurs ancêtres ».

Ces deux dernières décennies, la très forte baisse des revenus des éleveurs provoque une véritable crise des vocations chez la nouvelle génération qui préfère le confort d’une vie plus stable. «Pour mes sœurs, cette vie était devenue trop dure, témoigne l’éleveuse. Elles sont parties vivre en ville pour être cuisinière et professeur d’économie».  Mais plus que le déclin d’une profession, cette crise de vocation pourrait avoir des conséquences irrévocables sur la sauvegarde de la culture et de la terre (cf : encadré) du peuple de l’Arctique. « Comme les artisans saami, les éleveurs sont les seuls à avoir les moyens économiques de vivre dans notre culture, les autres sont obligés de partir en ville pour trouver un emploi », explique Tiina. « Là-bas, ils oublient tout », conclut Leo.

La terre : au coeur de l’autodétermination saami

Pendant la deuxième moitié du XXe siècle, les Saami des trois pays nordiques ont gagné le droit de parler leurs langues et d’avoir une représentation politique avec les trois parlements saami. Reste la question épineuse de la propriété de la terre, au coeur des conflits contemporains entre les Etats nordiques et le peuple de l’Arctique. Si la Norvège a ratifié la Convention 169 du BIT des Nations Unies, qui certifie que « les droits de propriété et de possession sur les terres qu’ils occupent traditionnellement doivent être reconnus aux peuple intéressés», la Suède et la Finlande refusent toujours. Si les deux pays maintiennent cette position malgré les injonctions de la communauté internationale, c’est que ratifier ce texte signifierait pour les Saami, bien plus qu’un droit de passage, de chasse, de pêche et de cueillette. Les Saami, éleveurs de rennes ou non, pourraient en effet réclamer des droits sur ces terres. En Norvège, par exemple, la ratification de ce texte en 2003 abouti à une co-gestion samo-norvégienne du territoire. Mais les Laponies finlandaises et suédoises regorgent de mines et plusieurs chantiers d’exploration pétrolière et de gaz naturels ont été ouverts sur le territoire ancestral des Saami. Par ailleurs, une co-gestion pourrait mettre en terme à l’exploitation forestière, au développement de l’industrie et du tourisme, largement dénoncé par les Saami. En Suède l’Unesco a permis la sauvegarde d’une partie du territoire saami de la construction à outrance, en l’inscrivant au Patrimoine mondial. En Finlande, seule une petite île au large d’Inari, a pu être inscrite.