Indignés espagnols : Hernán, un jeune à toute vitesse

25 juin 2011  |  dans International

©Benjamin Girette/IP3Press

Pendant un mois, la Puerta del Sol de Madrid est devenue le symbole du profond malaise qui ronge la société espagnole. Spécialement chez les jeunes. Hernán, 25 ans, est l’un d’entre eux. Reportage au cœur du quotidien d’un militant plein d’espoir.

Il arrive au « medialab », essoufflé d’avoir trop couru. Pourtant, courir, Hernán ne fait plus que ça depuis trois semaines, depuis que les premières tentes bleues sont venues recouvrir la Puerta del Sol, en plein cœur de Madrid.

« Tout a commencé par une manifestation dans les rues de la capitale et de l’ensemble du pays, le 15 mai pour dénoncer le système politique actuel. Puis les premières tentes se sont installées ici, spontanément. C’est parti de cette manière », se souvient le jeune homme, rasage négligé faute de temps mais chemise proprette, encore surpris par l’ampleur du mouvement.

À 25 ans, Hernán, étudiant en master de physique à Madrid, ne se considère pas du tout comme un « communicant ». Il s’en amuse même, lui qui est plus familier des chiffres et des formules mathématiques que des formules de style. Dans ce domaine pourtant aussi, il excelle.

Communication

S’il refuse de se définir comme un « chef », – dans le camp autogéré, point de leader, c’est la règle –, la situation parle pour lui. « Hernán, tu as l’adresse mail de ce contact ? » demande une jeune militante qui se présente au bureau, où les ordinateurs sont devenus le nerf de la guerre. « Hernán, où est-ce que je peux trouver une batterie pour le mégaphone ? » interroge une autre… Les demandes fusent sous la tente dédiée à la communication et aux relations médias.

Le jeune homme est devenu en trois semaines un acteur-clé du mouvement. « Oui, je te donne ça tout de suite. Attends juste un instant, je dois répondre à une interview », explique l’étudiant, twittant en même temps d’une main agile : « Besoin de sucre, légumes, fruits, pâtes. » Il le sait : grâce aux réseaux sociaux, Twitter et Facebook, et à l’utilisation d’Internet – un site www.tomalaplaza.com a été spécialement mis en ligne –, la réponse sera assurée dans l’heure.

Selon un récent sondage publié dans le quotidien El Pais, 80 % des Espagnols sont solidaires du mouvement. Après la débâcle de la gauche aux élections du 22 mai, c’est toute la classe politique qui a pris une gifle. Précarité, taux de chômage record chez les jeunes à 44 %, sentiment de ne pas être écoutés, démocratie inerte, corruption, les revendications d’une partie de la jeunesse espagnole n’ont rien d’un éphémère coup de gueule.

Crédit photo : Martius cc

Popularité

Et si certains commerçants aux alentours de la Puerta del Sol se plaignent de la baisse de leurs activités commerciales à cause des militants présents sur la place, Ramon, la pleine trentaine, n’y croit pas. « Au contraire, tout ce passage, tous ces gens qui campent, qui mangent, consomment, ça fait marcher le commerce. Il paraît même que les ventes de lunettes de soleil ont explosé ! » lance l’homme grisonnant derrière le comptoir du stand « extansion », dédiée à la propagation du mouvement à l’ensemble de l’Europe.

La présence de touristes curieux, qui, appareils au cou, immortalisent l’évènement, montre aussi la popularité d’un réveil attendu. Diego, journaliste et militant, raconte même qu’un étranger lui « a demandé s’il pouvait emporter un souvenir  ».

L’engouement est sincère, le soutien aussi. Dans le camp autogéré, la cantine, tenue par un vieux cuisinier prénommé Rafael, personnage sorti tout droit d’une BD de Corto Maltese, avec sa moustache blanche et son béret de marin, le stand d’alimentation, ainsi que l’infirmerie ou encore la bibliothèque, tout ce que le camp recèle de biens matériels, a été fourni par les activistes eux-mêmes, ou par des citoyens solidaires.

Printemps arabe

Une ville dans la ville s’est construite, avec un objectif : fonder une nouvelle (et réelle) démocratie. Dix-sept commissions travaillent ardemment sur différentes thématiques, le juridique, la communication, l’extension du mouvement, la santé…, et débattent lors des assemblées quotidiennes de propositions concrè­tes.

Paradoxe ou symbole d’un mouvement politique destiné à se propager au reste du pays puis du monde, sous la tente où officie Hernán, un Hollandais et un Turc venus par solidarité sont aux claviers. Des Français de Lyon ont même passé quelques jours à Sol, pour tenter d’organiser la « même chose en France ».

Hernán, lui-même hispano-colombien, et vivant en Espagne depuis 10 ans insiste : « Ce mouvement est transnational. L’important pour moi, c’est la prise de conscience collective », évoquant en filigrane le printemps arabe qui l’a tant fait rêver, lui et ses camarades.

Cette implication, il la vit au quotidien. « Les premiers temps je dormais dans le camp. Je ne le fais plus tous les jours, même si j’y passe environ 10 heures par jour. Mais même fatigué, je n’ai jamais senti une telle excitation, c’est l’adrénaline ! »

Crédit photo : Martius cc

Une jeunesse fatiguée

Hernán a longtemps été membre du mouvement de la jeunesse socialiste, mais « il est rapidement devenu évident que les partis politiques espagnols tels quels ne représentaient pas notre génération », critique-t-il.

Même s’il reste un privilégié – père diplomate et bonnes études –, même s’il est d’humeur à jouer de la guitare, à sortir avec ses amis et à profiter de la vie, il a envisagé pendant un temps de venir travailler en France ou en Allemagne. « Je pensais n’avoir aucune chance de trouver dans ma branche. Mais aujourd’hui, je me sens investi d’une mission et je resterai en Espagne. »

Tous n’ont pas, comme lui, l’espoir immédiat d’une vie meilleure. Barbara, 23 ans, blonde au look grungie, est originaire de Barcelone, et déterminée à changer la manière de faire de la politique dans son pays. « Il faut appliquer les principes de la Constitution, garantir les droits individuels de chacun », clame-t-elle. Avec ses amis, ils ont prévu de faire une chaîne humaine en cas d’intervention de la police.

Désespérée, la jeune femme est « au chômage, car j’ai refusé d’être payée 3 au lieu de 5 euros pour les cours d’anglais que je donnais à des élèves de maternelle. Du coup, je me suis fait renvoyer », explique-t-elle. « Mon fils de 3 ans, je n’ai pas de quoi le nourrir. Il habite chez ses grands-parents, mais c’est très dur pour moi, surtout depuis que je ne touche plus les aides sociales. »

Démantèlement

Des cas comme celui de Barbara, il y en a malheureusement beaucoup sur la place. Des jeunes qui se sentent délaissés, et qui pour certains, ont découvert une sorte de nouvelle famille en se réunissant. « J’ai des centaines de nouveaux amis, et la Puerta del Sol m’a ouvert de nouveaux horizons. Depuis un mois, ma vie a changé », s’enthousiasme Hernán, faisant fi des critiques qui cherchent à discréditer le mouvement en mettant l’accent sur des problèmes sanitaires ou de sécurité.

Avec le vote du démantèlement du camp le 12 juin, les Indignados ont désormais une autre mission : assurer la pérennité du mouvement. Belen, 32 ans, travailleuse sociale présente à la Puerta del Sol, assure que « les gens viennent se renseigner sur les initiatives qui se passent dans leur ville. Organiser des assemblées citoyennes dans les communes, même petites, c’est un moyen de redonner une impulsion à la politique locale. Le pouvoir est en train de revenir aux gens. C’est un changement énorme ». Un rêve, même.

À quelques pas de là, Hernán s’affaire. Il prend sa veste en vitesse car il doit rencontrer un professeur d’université réputé qui souhaite participer à une conférence sur le mouvement du 15 mai, M15M, comme on dit ici. Il part, en courant. Comme il est arrivé.