Kyaw Thu, une ancienne star de cinéma birman reconverti dans le social

3 mai 2012  |  dans International

© Julien Muguet/IP3

© Julien Muguet/IP3

Les élections du 1er avril et la probable élection de Aung San Su Kyi comme députée ? De la poudre aux yeux pour Kyaw Thu. Cet ancien comédien a opté pour l’action sur le terrain, utilisant sa célébrité pour pallier les manques de l’Etat birman en termes de santé et de prise en charge sociale. Rencontre avec une star toute simple.


 
Avec ses longs cheveux noirs et ses habits traditionnels, Kyaw Thu ressemble à une star de films asiatiques des années 80. Et précisément, il est l’un des acteurs les plus connus de Birmanie depuis 30 ans. Seul hic ? Depuis sa participation à la Révolte des Moines en 2007, pendant laquelle les religieux birmans s’étaient rebellés face à la hausse indécente du prix de l’essence, le gouvernement lui a interdit toute activité artistique. En revanche, depuis bientôt 12 ans, c’est pour un tout autre motif que l’ancien acteur déplaît aux autorités : la création de la Free Funeral Service Society (FFSS). Cette association, littéralement partie de rien puisque les autorités lui avaient attribué pour terrain une décharge de 6 mètres de profondeur, permet aujourd’hui de prendre en charge les funérailles des Birmans les plus pauvres du township de Dagon Nord, en banlieue de Yangon. « En 2001, nous étions 20 membres actifs et nous avons tous dû mettre de nos économies. Nous n’avions alors que deux vielles voitures, presque des carcasses », raconte son épouse, Myint. Aujourd’hui, ce sont plus de 20 corbillards, dont certains décorés avec une finesse indicible, et faits de bois de cédar, spécialement conçus pour les personnes âgées et les moines, qui sont à disposition des volontaires. L’association, portée par la popularité de son fondateur, a réussi son challenge.
 
Un rythme intensif
 
« Nous nous occupons de 30 à 40 funérailles par jour », explique James, l’un des 300 volontaires de l’association, déjà en route vers un convoi qui s’apprête à aller chercher le corps d’un homme de 43 ans, décédé la veille de maladie. Une fois par semaine, ce vendeur de riz vient apporter sa pierre à l’édifice. « Je veux pouvoir aider mon pays », explique-t-il. A la morgue de San Pyah, la famille est déjà sur place. La veuve du défunt a retenu ses larmes jusqu’au dernier moment, mais lors de la brève cérémonie en prières chantées, elle éclate en de déchirants sanglots. La famille est pauvre, et les 50 000 kyats minimum nécessaires à des funérailles (environ 50 euros, ndlr), elle ne les avait pas. La FFSS, prévenue de son sort, a donc tout organisé, jusqu’à la crémation du corps. Toute la journée, d’autres cérémonies vont se succéder. Un à un, les noms des morts sont rayés du tableau qui trône dans l’entrée du siège : ils ont été pris en charge. Parfois, c’est dans les rizières même qu’il faut aller chercher les défunts.
En plus du service funéraire gratuit, le FFSS propose des cours pour les enfants, et des formations informatique ou de couture pour des jeunes, et a également ouvert une clinique. Tout ce que ne fait pas, ou fait mal, l’Etat birman. « Il ne s’occupe de rien en ce qui concerne la prise en charge des défunts. Il ne voulait même pas que l’on ouvre une clinique puisqu’on n’avait pas la licence », se souvient le couple. Mais malgré les menaces d’arrestation, Kyaw Thu a poursuivi ses projets. « On a appris à faire des compromis. Et s’attaquer à une personnalité populaire serait contre-productif pour les autorités », analyse Myint. Même si à la veille des élections, la situation semble d’apparence meilleure, Kyaw Thu estime que les signes positifs donnés ces derniers mois par les autorités ne sont que des leurres. Myint, elle, espère.
 
Un juste retour des choses
 
« Nous survivons grâce à des donations, locales, précise l’épouse de Kyaw Thu. Personne ne sera épargné par la mort, c’est pourquoi notre association a touché tant le monde. » Pour Kyaw Thu, « c’est plus que normal. Ma célébrité, je la dois aux gens. C’est la moindre des choses que de le leur rendre un peu ». Contrairement à leurs enfants, partis en Australie et aux États-Unis, eux ne partiront jamais. C’est leur contribution à leur nation. Aujourd’hui, la FFSS est la plus grosse structure dans ce genre dans tout le Myanmar. « Il y en a au moins 100 qui se sont inspirées de nous. Mais copiée, jamais égalée », plaisante Myint, devant des peintures qu’a réalisées Aung San Su Kyi et que le couple expose, non sans fierté, dans son bureau. A côté de photos de tournage.