Cuba : dans le berceau de la révolution, la visite d’Obama laisse sceptique

11 avril 2016  |  dans International

Scène de rue à Santiago de Cuba © David Breger

Scène de rue à Santiago de Cuba © David Breger

D’une poignée de main historique, le président des Etats-Unis, Barack Obama, et son homologue cubain, Raoul Castro, ont voulu effacer des années de brouille. Mais à Santiago, dans le berceau de la révolution, la parole reste dure à l’égard du voisin américain.

« C’est ici qu’a étudié Fidel. » Pointant du doigt un bâtiment jaune délabré sur les hauteurs de Tivoli, le quartier le plus ancien de Santiago de Cuba où le « Lider maximo » a passé son enfance, Jose Luis, imposant quinquagénaire à la voix douce, raconte comme s’ils s’étaient passés hier, les hauts faits de la révolution cubaine. L’attaque de la caserne de la Moncada par Fidel Castro et ses hommes, le 26 juillet 1953, lança la révolution à Santiago la rebelle, seconde ville du pays située à 900 kilomètres à l’Est de La Havane. A l’évocation de la visite historique de Barack Obama, la voix se fait grave : « Les Américains, on ne peut pas leur faire confiance, c’est ce que disait Che Guevara ! »

La peur des autres Cubains, ceux de Miami

Aujourd’hui, Raul, le petit frère, a succédé à Fidel, et Cuba s’est progressivement ouvert au tourisme de masse, à l’investissement étranger et à l’entrepreneuriat privé. Un soupçon de capitalisme plane sur l’île communiste. Les temps sont au dégel des relations entre les anciens ennemis, mais dans le berceau de la révolution castriste, la parole reste dure pour le « yanqui ». « Nous n’aurons plus que deux choix : devenir esclaves des Américains ou redescendre dans la rue », continue cet ancien professeur d’histoire qui a quitté son école il y a 5 ans pour travailler comme guide touristique. Comme pour la majorité des Cubains, il lui était presque impossible de vivre avec les 20 euros mensuels d’un salaire moyen. Aujourd’hui, grâce aux pourboires, il lui arrive de gagner autant en un jour.

Plus que du président américain, c’est de l’influence des « Cubano-américains », à Washington, dont il se méfie. Ces opposants d’hier à la révolution qui ont fui l’île : « Ce qui me fait peur, c’est l’argent : ils voient le potentiel de l’île et veulent en profiter. Ils n’attendent qu’une chose, que le socialisme s’effondre pour réclamer leur propriété. Bacardi et les autres vont s’empresser de revenir ! », lance-t-il, faisant référence au géant du rhum, dépossédé de ses biens au moment de la révolution, et installé à Miami.

Santiago de Cuba se prépare au business

Et pourtant les Américains sont déjà en ville. Dans le patio d’une école de musique, un groupe de retraités californiens applaudit une chorale chantant le « Chan Chan », de Compay Segundo. Depuis l’assouplissement des mesures de voyage, les Américains peuvent visiter l’île pour des séjours à but éducatif ou humanitaire organisés par des agences spécialisées. Et bientôt, lorsque toutes les restrictions seront levées et les liaisons aériennes rétablies, c’est une déferlante américaine qui est annoncée.

Ceci n’effraie pas Rafael, 30 ans, bien au contraire. Ce jeune diplômé en ingénierie informatique a lui aussi abandonné son maigre salaire universitaire pour se lancer dans la location d’une « casa particular », des chambres chez l’habitant, dans le centre de Santiago. Et depuis quelques mois, ses annonces sont aussi visibles sur Airbnb, l’entreprise américaine ayant débarqué avec les assouplissements de l’administration Obama. « C’est une bonne opportunité, mais c’est encore compliqué car il faut passer par une agence tierce pour les paiements car nous ne pouvons pas utiliser le dollar du fait de l’embargo, souligne Rafael. La visite d’Obama est historique et je le crois de bonne volonté, mais il ne peut pas lever l’embargo sans l’aval du Congrès et les Républicains y sont opposés. Et puis c’est la fin de son mandat : qui sait ce que fera le prochain président? »
La fin de l’embargo en vigueur depuis 1962, c’est la principale attente des Cubains. Affectant toute l’économie, il empêche toujours les entreprises américaines et celles qui ont des filiales aux Etats-Unis de commercer avec Cuba sous peine de sanctions.

Une habitante de Santiago de Cuba passe devant une fresque à la gloire de Fidel Castro © David Breger

Une habitante de Santiago de Cuba passe devant une fresque à la gloire de Fidel Castro © David Breger

Oui à l’Américan Way of Life mais pas complètement quand même

Alfredo a 28 ans et n’a pas connu la révolution. Ce jeune animateur d’un club d’échecs vit la récente ouverture comme un progrès. Comme la jeune génération cubaine, il dévore la culture américaine : écoute Pharell Williams ou Bruno Mars, regarde The Walking Dead. L’accès à Internet étant rare, il achète musique et séries à des revendeurs de contenu numérique, un commerce typiquement cubain. Mais il se dit « prêt à défendre le socialisme . Même si la vie est difficile, l’éducation et la santé sont gratuites et je ne voudrais pas que cela change ». Alfredo « n’attend pas grand chose d’Obama : car tout changement sur l’île est soumis a une bureaucratie lourde et prend du temps ».

Comme tous les Cubains, il a appris à « être patient et se débrouiller par lui même ». Pour le moment, il essaie de réunir suffisamment d’argent pour pouvoir se rendre à la Havane et assister au concert, historique lui aussi, des Rolling Stones, quelques jours après la visite du président américain.