« Le rêve de l’Abbé Pierre »

15 novembre 2007  |  dans France, Société

Laurent Desmares

Laurent Desmares

Laurent Desmares était le secrétaire et le confident de l’Abbé Pierre pendant les deux dernières années de sa vie. Pour cet ancien compagnon menuisier, le fondateur d’Emmaüs n’était pas un saint, c’était juste un homme extraordinaire. Entretien.

Comment avez-vous rencontré l’abbé Pierre ?

J’étais menuisier ébéniste en 68, je recherchais mon idéal et je l’ai trouvé dans les communautés. C’était une démarche atypique, contrairement aux autres compagnons, je n’avais pas de problème particulier. Et puis je suis devenu responsable de communauté à Metz et à Bougival. Enfin, je suis entré à Emmaüs international. De 2001 à 2007, je croisais souvent l’abbé Pierre. Puis un jour, je me suis dis, il s’est occupé des autres toute sa vie, maintenant qu’il est âgé, il faut que quelqu’un s’occupe de lui. Je lui ai donc proposé mes services. Au début il a été un peu surpris, puis comme d’habitude il a fait confiance. Pendant ces deux dernières années je faisais son secrétariat, je l’aidais dans ses demandes. J’ai beaucoup appris de lui…

La grande majorité des militants d’Emmaüs présente l’Abbé Pierre comme un saint. Qu’en pensez-vous ?

Je le vois plutôt comme un grand père affectueux. Il avait ses petits défauts comme chacun d’entre nous, ses ennuis, ses humeurs. Il était extraordinairement humain, il souffrait de voir les gens vraiment en difficulté et je le voyais souvent en pleurs dans sa chambre. Et puis, il était d’une curiosité dévorante, il posait des questions sur les fleurs, les étoiles, il a même lu le Coran en intégralité, il aimait beaucoup voyager et rencontrer de nouvelle personnes même s’il ne voulait pas le reconnaître. Enfin, il avait ses envies: les friandises, les glaces, le Schweppes.

A force de voir tant de misère n’a-t-il jamais cessé de croire en Dieu ?

C’est parce qu’il y avait de la misère qu’il croyait en Dieu. Pour lui, la misère était une insulte, une gifle à Dieu et son combat était de laver cet affront.

Comment a-t-il occupé les derniers moments de sa vie ?

Il priait, il réfléchissait beaucoup mais il était très serein. Sa seule inquiétude était de partir sans avoir terminé ce qu’il avait fait, de ne pas avoir fait assez. Alors qu’il ne s’arrêtait jamais même quand il était très fatigué. La seule chose qui pouvait le faire ralentir c’était la maladie. J’étais dans sa chambre quand il est mort, avec Martin Hirsch (ndlr : ex-président d’Emmaüs France) et sa nièce, même là il était très calme. Il m’avait demandé de ranger ses papiers et de mettre en ordre ses affaires après sa mort. C’est ce que je suis en train de faire…

Vous y avait trouvé les secrets de l’Abbé ?

Il y a des dizaines de cahiers, car l’abbé Pierre consignait tous ses rendez-vous, ses réunions, il écrivait tout le temps. Il y a aussi une lettre du général De Gaulle et une lettre à Dieu qu’il a écrite quand il était jeune, au monastère. Je crois que c’est le document le plus important. Dans cette lettre, il raconte un rêve qu’il a fait. A ce moment, son seul désir était de mourir jeune, mais il écrit que même ce désir là, il est prêt à l’abandonner à Dieu, tellement il l’aime. Et puis il fait ce rêve, où il voit un homme avec une foule derrière lui, Dieu lui parle et lui dit : «tu seras celui là» en lui désignant l’homme devant. Quelque temps après, le jeune Abbé quittait le monastère…