Ennahda favori des urnes à Tunis

24 octobre 2011  |  dans International

Photo © Aude Osnowycz

A la veille du scrutin, les rues sont le théâtre des derniers meetings, tractages et discussions enflammées. L’enjeu de ce dimanche 23 octobre ? L’élection d’une assemblée constituante. Un pas vers la démocratie qui se fait
dans le doute, et un nombre de partis décourageant pour un corps électoral tout neuf. Parmi eux, Ennadha se démarque.

Surprise d’abord. Les Tunisois qui passent devant le portrait géant de l’ancien dictateur Ben Ali, accroché il y a trois jours à la Goulette, un quartier de la capitale, affichent des mines décontenancées. Puis c’est la colère et le remue-
ménage. Quelqu’un tire enfin sur le poster… Il s’effondre, dans les cris de joie. Dessous, un slogan apparaît: « Si vous n’allez pas voter, la dictature reviendra. » Le message de l’association Soutien à l’éveil démocratique est accueilli avec des sourires soulagés…

11 000 candidats

Si ces Tunisiens-là se rendront bien aux urnes, pour beaucoup c’est encore le flou. « Dur de choisir entre tous les partis », reconnaît Sonia, 23 ans, étudiante en informatique réseau. En effet, avec 110 formations en lice, 1500 listes présentées, 11 000 candidats, ces élections s’annoncent comme un préambule à une vie démocratique libre…mais loin d’être évidente pour une population longtemps soumise au parti unique. « C’est perturbant de passer de rien sous Ben Ali à des centaines de possibilités. Il nous faudra du temps, on n’a pas encore le mode d’emploi », lâche Mohammed, 27 ans, networker, tandis qu’un militant dépose des tracts d’un parti bourguibiste sur la table du café.

Un parti au visage rassurant

Les deux amis s’opposent d’ailleurs sur le programme de la formation portée grand vainqueur, Ennahda (la renaissance, ndrl), crédité de près d’environ 30% des voix. Alors que Mohammed ne voit aucun problème à ce que sa future femme ne travaille qu’à mi-temps pour s’occuper des enfants, Sonia est formelle : « Je n’étudie pas jour et nuit depuis des années pour rester chez moi par la suite ! » Mais le parti islamiste a su jouer sur la bonne carte : la religion. « Pour nous, c’est une liberté retrouvée. Sous Ben Ali, ma mère me déconseillait d’aller à la mosquée le matin », avoue Mohammed. Avec le parti de Ghannouchi, devenu le symbole de la lutte politique sous l’ancien dictateur, la perspective d’une société où l’islam aura toute sa place séduit. Ennahda a fait peau neuve. Islamiste, oui, mais modéré. En apparence au moins. Lors de son dernier meeting, au moins 10 000 personnes se sont réunies dans une ambiance de fête à Ben Arous. Dans le fascicule distribué dans la rue, on apprend même que les « femmes n’ont pas d’obligation vestimentaire particulière ». Il faut rassurer les indécis.

Nesrine, jeune femme très indépendante, craint pourtant que « petit à petit, les membres d’Ennahda imposent leurs vues. Mais ils jouissent d’une popularité incroyable grâce à leur persécution sous Ben Ali ». En dehors de ces votants convaincus, il y a aussi ceux, nombreux, qui ne se déplaceront pas dimanche. « Quand j’étais étudiant, j’ai été en contact avec des syndicats. Les luttes pour le pouvoir m’ont dégoûté de la politique », raconte Fetih, 27 ans, employé dans un centre d’appel.

« On se sent dépossédés »

Lobna, 25 ans, couverte de la tête au pied, se réclame du mouvement radical Hizb-ut Tahrir, encore aujourd’hui interdit en Tunisie. « Je n’irai pas voter. Cette démocratie, on nous l’impose, alors que le modèle occidental capitaliste montre qu’il ne tient plus ». De l’autre côté de l’échiquier politique, Sonia, 45 ans, très engagée dans la lutte pour l’égalité homme-femme et dans la révolution de janvier, refuse elle aussi de se rendre aux urnes. « Voter ce serait donner du crédit à ces élections, alors qu’il faut des changements de fond du système capitaliste. On se sent dépossédés de notre révolution. », explique cette fonctionnaire. Comme tant d’autres, elle attend toujours des lendemains qui chantent.