Comment la crise met les Londoniens à la rue

3 mai 2012  |  dans International

Un SDF dans une rue de Londres. © Jean-Rémi Baudot

Un SDF dans une rue de Londres. © Jean-Rémi Baudot

Alors que la crise économique touche l’ensemble de l’Europe, l’Angleterre, et particulièrement Londres, connaît parallèlement une crise du logement sans précédent, qui devrait mettre dehors environ 40 000 foyers dans les prochains mois. La première sur la liste, est une Française, devenue malgré elle le symbole du combat pour le droit au logement.

« C’est toujours aussi long, l’attente ? » Sandra Munoz-Alvarez, 38 ans, s’impatiente en ce 14 décembre. A la County Court de Wandsworth, à Est Putney, dans la banlieue populaire de Londres, cela fait maintenant plus d’une heure que l’audience aurait dû commencer pour la Française. Et ce rendez-vous avec la justice, elle l’attend depuis des mois. Depuis qu’en avril 2011, son propriétaire anglais lui fait savoir qu’il souhaite récupérer le bien immobilier qu’elle lui louait depuis deux ans, dans le quartier de Falcon Street à Londres. C’est le choc : Sandra, mère célibataire, a deux mois devant elle pour rebondir. Sans emploi, elle réalise, après de nombreuses recherches, qu’elle ne trouvera aucun bien conforme à son budget limité. C’est l’impasse. Comme tant d’autres Londoniens, elle doit faire face aux conséquences de la crise du logement. Depuis l’année dernière, le nombre de citadins qui dorment dans la rue a augmenté de 8% à Londres, pour atteindre les 4000 personnes. « Nous avons l’une des économies les plus riches du monde, explique Matt Wright, en charge des campagnes de sensibilisation de l’association Shelter (l’Abri) qui a pour but d’aider les personnes en difficultés comme Sandra. Et pourtant, nous devons faire face à cette crise du logement. En Angleterre, quelqu’un perd sa maison toute les deux minutes », lâche-t-il. Un chiffre impressionnant qui s’explique de diverses manières. « Avec la crise économique, les budgets se sont restreints, les gens sont acculés par des loyers en constante augmentation. Basculer dans la rue ne tient pas à grand chose : une période de mauvais santé, la perte de son travail et l’on peut tomber dans le cercle infernal », conclut-il.
 
Une personne perd sa maison toutes les 2 minutes en Angleterre
 
Sandra, elle, n’a pas compris tout de suite les dangers qu’elle encourait. « Je voulais retrouver quelque chose dans le même coin, car mon fils de 6 ans est scolarisé dans le quartier, et je ne voulais pas rompre les liens sociaux qu’il a tissés, ni quitter mes amis », raconte la jeune femme, très attachée à la vie locale de son quartier, qui a laissé sa famille en France. Mais les augmentations de loyer ont largement changé la donne de nombre de Londoniens. « Où j’habite en moyenne, le loyer a augmenté ces deux dernières années de 100 pounds par semaine. C’est considérable ! Surtout que depuis avril, le gouvernement a baissé ses aides », explique cette ancienne employée d’hôtellerie qui a repris des études d’audiovisuel, mais n’a pas encore retrouvé de travail. « Moi je payais 250 pounds par semaine mais aujourd’hui il m’est impossible de retrouver un logement à ce prix ». Bénéficiaire des aides sociales, à hauteur de 60 pounds hebdomadaires, pour elle et son fils, Eduardo, elle ne peut se permettre de mettre plus dans le loyer que 290 pounds d’aides au logement fixés par le gouvernement pour un appartement de trois pièces. « J’ai cherché de tous les côtés, sur Internet, par le bouche-à-oreille, de particuliers à particuliers, rien n’y a fait. Les propriétaires souhaitaient quelqu’un qui travaille. Pourtant, c’est ridicule : en Angleterre, le système fait que l’Etat me donne l’argent pour un appartement, et que je donne l’argent au propriétaire. Il n’y a donc pas de risque de non-paiement. » En juin, elle fait ses cartons. Depuis le temps a passé, elle a bénéficié d’un sursis administratif, et elle vit toujours dans l’appartement de Falcon Street, entourée de cartons anxiogènes. Prête à partir dans la seconde s’il le faut, puisque l’expulsion est désormais imminente.
 
Son procès du 14 décembre sonnait donc pour elle comme un soulagement. Paradoxalement. C’est « le début de la fin », lâche Sandra. Selon une étude récente, la préoccupation numéro 1 des Anglais, est, de loin, la peur de l’expulsion. La jeune femme ne fait pas exception. Ce rendez-vous avec la justice était l’aboutissement d’un long processus administratif, épuisant, sans cohérence. « Dès que j’ai su que j’allais être expulsée, j’ai contacté ma mairie… Leur réponse a été : on ne peut rien faire pour vous, Madame, tant que vous n’êtes pas officiellement sans abri. » Aucune démarche administrative n’est envisageable sans les papiers officiels du tribunal…qui seront délivrés après l’audience. Et donc aucune « prévention » possible non plus. Il faut être à la rue pour pouvoir bénéficier enfin d’une aide concrète, c’est-à-dire d’un relogement éventuel. Mais où et dans quelles conditions, Sandra n’aura pas son mot à dire. L’association Shelter a orienté et soutenu la Française pendant ces mois difficiles, qui a été choisie, avec cinq autres familles, pour participer à la campagne de Noël de Shelter. « Nous avons un nombre en croissance de gens qui nous contactent, raconte Matt Wright. Cette année, 1,1 million d’Anglais nous auront appelés. » Plus qu’un épiphénomène, un fléau social. « Plus de 16% des gens qui ont des cartes de crédit sont en surendettement », lance-t-il. Le plan d’austérité du gouvernement, est aussi durement ressenti chez les citoyens anglais.
 
Des propriétaires tout puissants
 
Le jour de son procès, juste avant l’audience, Sandra cherche à discuter avec le propriétaire, qui s’est déplacé avec son avocat. Mais elle n’en saura pas plus. « Un coup, il me dit qu’il veut récupérer son appartement pour son fils, puis pour sa fille, puis pour sa femme. Enfin pour lui. Moi je pense qu’il voulait pouvoir réévaluer le loyer, et avait donc intérêt à ne pas renouveler le bail », glisse-t-elle, juste avant son face à-face avec le juge. Elle connaît déjà l’issue du procès, pas d’appel possible : le propriétaire a respecté le préavis, tout a été fait légalement. Sa cause est donc perdue, à tel point que son avocat n’a même pas fait le déplacement. Malgré une juge compatissante, le verdict tombe : Sandra sera officiellement sans abri dès que les huissiers se seront déplacés jusqu’à chez elle. Le propriétaire quitte le tribunal sans même un regard. En Angleterre, la bulle immobilière s’effondre, à cause de prix records devenus inaccessibles : l’appartement le plus cher du monde, un 6 pièces, a été vendu à Londres en 2010 pour la somme de 120 millions d’euros. « Dans certains pays européens, il y a une régulation du marché privé très encadrée. Ce n’est pas le cas en Angleterre », précise Matt Wright. Devant l’impossibilité d’acheter, les Londoniens doivent de plus en plus avoir recours à la location. Et les loueurs particuliers se retrouvent en position de force, surtout face aux personnes les plus vulnérables. Comme Sandra. Cette dernière déplore l’attentisme des autorités face au nombre de logements inhabités, une incohérence selon elle. « Juste à côté de chez moi, il y a plein d’appartements inoccupés. Pourquoi je ne pourrais pas en bénéficier ?  » s’interroge-t-elle. Du côté de Shelter, les inquiétudes sont aussi vives. « Il y a un manque cruel de logements sociaux en Angleterre, qui n’en a pas construit assez, affirme Matt Wright. Mais nous sommes conscients qu’avec la crise, il est difficile à l’Etat de faire plus ». En effet, si le premier ministre David Cameron affirme régulièrement que la construction est insuffisante, il maintient dans le même temps les coupes dans les budgets de logement des autorités locales. Le logement est d’ailleurs l’un des postes d’économies les plus importants en Angleterre.
 
Les dérives de ces pratiques vont de la gentrification de Londres, avec l’apparition de quartiers carrément devenus inabordables aux couches populaires et, c’est nouveau, même à la classe moyenne, jusqu’à l’accroissement du phénomène des marchands de sommeil. La tenue des Jeux Olympiques de Londres à l’été 2012 devrait encore accentuer le phénomène de boom des loyers. Sandra, pour le moment, attend la lettre et le déplacement des huissiers. Après, elle ne sait rien de ce qui l’attend. Alors qu’elle est bénévole dans de nombreuses associations de quartiers, qu’elle a réussi à sauver une librairie de quartier condamnée, elle se sent aujourd’hui délaissée par les autorités. « Je ne suis pas une assistée, proteste-t-elle, blessée par la réaction de certains élus. Je compte bien retravailler un jour, c’est pour cela que je pense à lancer ma propre boîte de production. Qui veut vivre avec 60 pounds pour deux par semaine ? » Elle estime ne pas être reconnue à sa juste valeur, au moment où elle aurait le plus besoin d’aide. Un comble pour celle qui a été désignée « Londonienne du jour » le 5 août dernier.