Ôde à Miquette, « la reine de la quéquette »

25 août 2014  |  dans Femmes

Le 11 mai 2013, un groupe d’anciens marins appose une plaque en hommage à une ancienne prostituée. Toulon devient donc la première ville du monde à rendre les honneurs à une travailleuse du sexe. Mais qui est Miquette ? Notre reporter est partie sur les traces de celle que les Toulonnais avait surnommé « la reine de la quéquette ».

 

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« A Miquette, des anciens marins reconnaissants ». Discrète, la plaque en marbre blanc toise l’Arsenal, le port militaire de Toulon. Posée sur la façade du bar Les cinq parties du monde, le petit rectangle attise la curiosité. Ni date, ni lieu, ni faits d’armes, le mystère plane… le comble pour un hommage public. Les auteurs aurait pu écrire : « Miquette, prostituée de 1950 à 1980 », mais sur la voie publique, ça fait désordre. La Toile est moins pudique : le 11 mai 2013, les réseaux sociaux s’enflamment pour la première plaque dédiée à une travailleuse du sexe. Toulon avant-gardiste ? La municipalité n’y est pour rien, la paternité de l’idée revient à un comité d’anciens marins, Le bar des choufs, qui tient un forum internet réservé aux nostalgiques de la marine nationale. « En 2009, pendant un week-end entre-nous, j’ai lancé le projet, raconte le président, Jean-Christophe Acault. Tout le monde était d’accord ! ». « La reine de la quéquette », comme l’ont baptisé les marins, fait l’unanimité. Les matelots auraient pu choisir l’un d’entre-eux, mais c’est la prostituée qui sera l’égérie de leur jeunesse à « Chicago ». L’âge d’or du quartier sulfureux du Toulon d’après-guerre, c’était le bon vieux temps.

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La légende de Chicag’

A cette époque, entre 1945 et 1970-80, le cœur de la ville bat au rythme des marées de choufs qui débarquent par milliers à l’Arsenal, le plus gros port militaire du pays. Après plusieurs mois en mer, les permissionnaires déferlent dans les ruelles mal famées de la basse ville, tenues par la pègre corse. Chicag’, baptisé par les marins de l’US Navy qui y retrouvent l’ambiance de la ville d’Al Capone, ne dort jamais. Elle regorge de bars à matelots, de restaurants et « de femmes d’expérience ». Plus de 300 prostituées travaillent dans la ville de garnison. La concurrence est rude et le prix des passes démarre à 5 francs. Miquette n’officie pas dans le BMC local, elle fait partie « des indépendantes » et n’ouvre que l’après-midi. Sa réputation la précède et tous le matelots savent où la trouver: « la reine de la quéquette » tapine Passage des Riaux (voir photo) et dispose d’un appartement rue du Chevalier Paul, au cœur de Chicago. Aujourd’hui, le recoin sombre a été ravalé, mais le mythe demeure. « C’est une légende, s’enthousiasme le président du bar des choufs. Avec elle, il n’y avait pas que l’acte sexuel, elle nous faisait aussi le petit déjeuner, elle nous recousait les boutons, c’était une deuxième maman ». En écho, sur internet des témoignages fleurissent: « Ce n’est pas une plaque qu’elle mérite mais une statue (…) Elle savait nous faire voir son attachement et son amitié, et en retour elle avait toute la Marine de Toulon pour elle ». Jacques*, 30 ans de marine derrière lui et client de Miquette, en parle des étoiles dans les yeux : « C’était la plus connue. Moi, je me suis fait dérouiller (dépuceler, ndlr) dans un bordel, mais chez les arpettes -apprentis mécanicien de la flotte âgés de 15 à 18 ans- elle était connue pour ça. C’était un peu la maman de tous ces ados qui avaient laissé leur famille derrière eux. Mais les anciens évitent d’en parler car nous étions tous mineurs ». Dans la bouche des marins, la même image d’Epinal, mais tous ignorent son histoire, jusqu’à son nom. Baya B., alias Miquette, n’a laissé que peu de témoins partager sa vie.

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Marco, l’ex-mari

Avec ses tatouages sur les bras, ses lunettes aux verres jaunes et sa chaine en or autour du cou, Marco*, l’ex-mari de la dame, semble tout droit sorti d’un remake du Parain. A presque 70 ans, il se rappelle son premier amour comme si c’était hier. « Je l’ai rencontré quand j’avais 19 ans, commence-t-il. J’étais marin et elle avait le double de mon âge, elle travaillait depuis déjà 20 ans. Elle était belle et puis, elle avait un caractère de feu, elle ne se laissait pas faire Baya !». Marco est probablement l’un de ses rares confident : « Baya B. est née à Alger en 1923. A 19 ans -en 1942- elle avait débarqué à Paris car elle devait épouser un ouvrier de chez Renault, mais il ne s’est jamais présenté au rendez-vous, alors elle a commencé ‘le métier’. C’est en suivant un homme qu’elle est arrivée à Toulon au début des années 50. Parfois des membres de sa famille venaient lui rendre visite, elle avait des neveux qui étaient banquiers. Ils étaient tous en costumes, ils n’étaient pas pauvres ». Et l’ancien matelot de sortir timidement de son portefeuille, une photo plastifiée de son mariage dans les années 60 avec la reine de Chicago. « J’avais eu quelques problèmes avec la justice et elle m’a sorti d’affaire, alors on s’est mariés !».

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De Miquette à Blanchette

A cette époque, Marco, blessé grièvement en mer, renonce à sa carrière dans la Marine, entre deux petits boulots à Chicago, il assiste Miquette dans sa tâche. « Elle avait un appartement à l’étage, elle faisait monter un par un les clients. Il y avait la queue devant chez elle. Moi j’attendais, assis en bas, le flingue dans le journal, car les marins pouvaient être violents. Surtout quand ils n’y arrivaient pas parce qu’ils étaient trop saoul, ils n’hésitaient pas à cogner la fille ». Et Marco de nous raconter la dure vie des filles de Toulon « qui se faisaient enlever les ovaires, battre par les clients ». Miquette n’est pas à l’abri, « un jour il y a un type qui a voulu la maquer, on est tous descendus…» Difficile de savoir ce qu’il est advenu de cet homme, mais Baya est restée « indépendante ». Selon Marco, Baya enchaîne les passes mais ne se plaint pas : « elle me disait ‘le plus dur ce n’est pas les hommes, mais c’est de monter et descendre les escaliers toute la journée’ ».

La reine des quéquettes gagne jusque 3000 francs par jour. Mais comme le raconte la fille d’une ancienne collègue, « elle est trop généreuse et claque tout au resto, au café, dans de nouvelles robes. Fallait pas essayer de la raisonner, parce qu’elle vous envoyait chier ». Les coups de sang de Miquette sont connus dans toute la basse ville… Son couple n’y résiste pas, vaincu, selon Marco, « par les crises de jalousie de Miquette qui n’hésite pas à faire des scandales en pleine rue ».
Baya tiendra commerce jusque dans les années 80. A presque 60 ans, 30 ans de tapin dans les jambes, elle raccroche. Dans la basse ville, les pompons rouges se font de plus en plus rares, les bars à matelots ferment les uns après les autres, Chicago périclite. Pour sa légende, il était temps de tirer le rideau, elle emménage dans une cité HLM. Commence alors sa deuxième vie, où elle se fait appeler Blanchette.

De l’ombre à la lumière

Les temps sont durs, comme toutes les prostituées, Baya n’a jamais cotisé pour la retraite, elle survit avec le minimum vieillesse et les visites se font rares. Sa voisine de pallier, Nadine*, factrice, raconte la déchéance de la reine de Chicago. « Il n’y avait qu’une seule personne qui venait la voir, le reste du temps elle était seule, elle avait dû mal à prendre soin d’elle, alors je passais prendre de ses nouvelles, mais à la fin elle ne se rappelait plus de rien. Quand elle descendait chercher le courrier, elle se mettait à hurler quand la lumière était allumée car elle disait qu’elle payait l’électricité ». En réalité, Blanchette est diagnostiquée Alzheimer. Presque seule et désormais incapable, elle est placée sous tutelle de l’Etat. C’est à ce moment là que survient l’inauguration de la plaque.

Personne ne l’a prévenue, c’est un ami qui découvre l’initiative dans les pages de Var Matin qui relate l’inauguration. Les marins du Bar des Choufs, empêtrés dans les demandes d’autorisation pour l’installation de la plaque n’ont pas imaginé que leur égérie était toujours en vie. Il faut dire que la mairie fait trainer l’affaire depuis un an, considérant qu’il faut « limiter l’attribution des hommages publics aux personnes qui se sont illustrées par les services qu’elles ont rendu à l’Etat et à la cité ». Miquette n’entre pas dans les clous ? Quoi qu’il en soit, personne ne lui demande son avis. Mais tout le monde semble se réjouir des retrouvailles entre les anciens clients et Miquette, toujours vivante. Fin mai 2013, le bar des choufs organise donc une rencontre dans son HLM et offre à leur « deuxième maman », un bouquet de roses. Ce jour-là, Baya, 90 ans, dont l’esprit bat la campagne depuis longtemps, a le regard dans le vide et ne prononce qu’une seule phrase : « Miquette c’est moi ! » en se tapant sur la poitrine. Quelques semaines plus tard, Baya quittera la cité HLM pour une maison de retraite à Aubagne, près de Marseille.

Elle y est toujours. Aujourd’hui, la reine du vieux Toulon, égale à elle même, mène la vie dure au personnel médical. Mais Baya, ne se rappelle plus son nom. Reste la plaque. Et l’idée. A Brest, un comité de marins nostalgiques pourrait rendre le même hommage. Dans cet autre port militaire, la légende locale s’appelle Mado.