Quand les factrices lèvent le poing
25 août 2014 | Leila Minano dans France, Société
« C’est elle Sandrine !». Dans la pénombre, un postier ensommeillé pointe du doigt une menue silhouette surmontée d’une casquette gavroche. Il est six heures, le jour se lève doucement sur la station de métro Reuilly-Diderot (Paris, 12e). La jeune femme, les mains dans les poches, discute avec des collègues. Il y a quelques mois, cette tranquille mère de famille n’avait jamais prononcé le mot « Assemblée générale ». Il y a quelques mois, à la même heure, elle parcourait encore à vélo les rues de Rueil-Malmaison (92), les sacoches pleines de courriers. Puis la sanction est tombée : après 33 mois de CDD, son contrat n’a pas été renouvelé, au motif qu’elle n’avait pas le permis de conduire. La petite factrice, qui a depuis troqué son vélo jaune contre une banderole de la même couleur siglée SUD-PTT, se souvient : « C’était le dernier jour de mon troisième CDD, le 5 janvier. Un syndicaliste est venu me dire que mon contrat ne serait plus renouvelé, j’ai fondu en larmes, j’étais écoeurée. Mon chef n’avait même pas pris la peine de me l’annoncer lui même ». Sandrine, mère célibataire de deux enfants, qui peine déjà avec ses 1350 euros mensuels, se demande « comment elle va s’en sortir. En un instant, de travailleuse, j’étais devenue chômeuse ». Karine, gréviste et factrice à Rueil-Malmaison depuis 14 ans, se souvient : « J’en ai vu défiler des CDD, mais c’était le licenciement de trop. Sandrine faisait un travail irréprochable, elle était très appréciée. On est tous montés voir le chef dans son bureau. Mais il n’a pas voulu discuter, il a dit que c’était fini et c’est tout ».
A Rueil-Malmaison, tout le monde reprend le travail, mais le départ de la collègue « reste comme un os en travers de la gorge ». Alors quand deux semaines plus tard, Stéphanie, 37 ans en contrat d’insertion depuis neuf mois, est également mise à la porte, sous le même prétexte, la moutarde leur monte au nez. Rappelons que les deux jeunes femmes sont factrices à vélo. « Jusque là, cela n’avait pas empêché La Poste de renouveler leur contrat, s’indigne Ibrahim, un syndicaliste de SUD-PTT. Simplement, la direction avait une réorganisation à faire passer, elle devait réduire la masse salariale, alors ils se sont servis de ce prétexte ». La grève est votée. Également touchés par les réorganisations, les bureaux de poste de Courbevoie, Gennevilliers, Bois Colombes/La Garenne Colombes rejoignent le mouvement. Depuis 97 jours, un peu moins d’une centaine de salariés sont en grève, déterminés à faire face à la précarisation rampante qui s’installe dans la première entreprise publique de France. « C’est une grève minoritaire, rétorque La Poste, interrogée par Causette. La qualité de service calculée chaque semaine par l’IFOP, est assurée à 94,4 % ».
Cinq postiers convoqués à la Sureté territoriale
Aujourd’hui, devant la station de métro, une quarantaine de grévistes va tenter de faire entrer dans la danse les postiers parisiens, également touchés par les « réorganisations » (suppressions de tournées donc d’emplois, de temps de pauses, etc..). Nous sommes à quelques encablures du centre de distribution du 12e arrondissement, dans quelques minutes, les postier(e)s feront une entrée surprise chez leurs collègues. A 6h30, le groupe pénètre dans le centre de tri, qui fonctionne déjà à plein régime. L’arrivée des grévistes interrompt la fête. Gaël Quirante et Xavier Chiarelli, deux délégués syndicaux prennent la parole. Certains employés écoutent, d’autres poursuivent le travail.
« L’encadrant », un petit brun en chemise blanche, n’a pas l’air de goûter la scène, il serre les dents et prend frénétiquement des photos. Des preuves contre les grévistes ? Inutile, Xavier, secrétaire départemental adjoint de SUD 92, ainsi que 11 autres grévistes, ont déjà reçu leur convocation à un entretien préalable au licenciement la semaine dernière. Cinq postiers, dont Gaël, sont également convoqués à la fin du mois de mai, pour un motif inconnu, à la Sûreté territoriale. Ils devront donc se présenter devant les services de police de Paris chargés de « réprimer les actes de délinquance ». « Nous refusons de commenter les procédures disciplinaire », répond La Poste. Les grévistes et syndicalistes auraient-ils dû se montrer plus avenant, quand la direction de La Poste des Hauts-de-Seine tentaient de « négocier » ?
Dans un document que nous nous sommes procuré, le directeur de La Poste des Hauts-de-Seine (Direction opérationnelle courrier) propose en effet aux syndicalistes de SUD de laisser passer « les réorganisations à l’échéance prévue », en échange de l’embauche de quatre facteurs du mouvement, dont Sandrine et Stéphanie qui sont citées nommément. Si la direction des ressources humaines nie l’existence de cette négociation en forme de chantage, le document atteste la version des syndicalistes, ainsi que « l’absence de permis de conduire » n’est finalement pas un obstacle indépassable. Les mauvaises langues affirme qu’un « Happy end » dans les Hauts-de-Seine pourrait encourager à la révolte les précaires… qui sont nombreux.
« La poste condamnée pour avoir employé un facteur 22 ans en CDD »
Le turn-over des contrats précaires à La Poste n’est pas l’apanage du 9-2. Selon les syndicats, entre 2009 et 2012, leur nombre aurait augmenté de 37 %, et le nombre de fonctionnaires baissé de 40%. La Poste jure quant à elle, travailler à la pérennité des emplois, affirmant que 153 personnes ont été embauchées en CDI l’année dernière dans le 92. Au total, selon le dernier bilan social de l’entreprise, 5,1 % des personnels étaient en CDD en 2013 au niveau national. Dans ce même document, on apprend aussi que le grand patron de l’entreprise, Philippe Wahl, grâce à un tour de passe-passe, a réussi pour 2013 à ne pas subir la limitation de salaire réservée au patron des grandes entreprises publiques (450 000 euros/an), il palpe donc la modique de somme de 736 490 euros par an. Mais quand il s’agit des salariés en CDD, La Poste n’hésite pas à rogner… Quitte à prendre quelques liberté avec le code du travail. Il suffit d’entrer « La Poste condamnée » dans un moteur de recherche, pour comprendre que ces dernières années le budget du service juridique a dû exploser. « La poste condamnée pour avoir employé un facteur 22 ans en CDD », titre Le Monde, « 250 CDD en 20 ans, l’entreprise devra verser 47 000 euros de à une postière », renchérit l’Express, Libération : « Une postière ariégeoise employée depuis 32 ans dont 22 ans en CDD, obtient 54 000 euros d’indemnités ». Tellement gros, qu’on pourrait croire que les journalistes se sont trompés d’un zéro. Il semble que non : A lui seul, le syndicat SUD-PTT affirme qu’il a accompagné devant le tribunal des Prud’hommes « 5000 collègues, récupéré 200 siècles d’ancienneté et près de 22 millions d’euros ». Christian Bara, délégué syndical, a même fait sa spécialité de la régularisation des CDD. Il a accroché à son tableau de chasse, pas moins de 160 condamnations de l’entreprise qui avait utilisé des CDD pour « des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise ». Les contrats à durée déterminée ne sont pas les seuls concernés, la valse des contrat d’insertion, de professionnalisation (+50 % en 2013), et aujourd’hui d’Avenir (1000 en 2014), financés pour partie par les pouvoirs publics, font également le lit de la précarité. Stéphanie faisait partie de cette « sous-catégorie ». Fatiguée de se battre et d’attendre une embauche improbable, l’ancienne factrice a préféré « laisser sa place à Sandrine, car elle a 36 ans et deux enfants »… Elle est retournée voir le Conseil général qui lui a trouvé un poste de batelière… en CDD. Sandrine qui touche un chômage de 980 euros par mois, a fait le choix de continuer le combat. Prêts à tout, ses collègues du 92 ont proposé à La Poste de financer avec « la caisse de grève » son permis de conduire en échange de la reconduction de son contrat. Rien n’y fait, à l’heure de l’écriture de cet article, La Poste n’a toujours pas cédé sur l’embauche de la petite factrice de Rueil-Malmaison.