Le pasteur est une femme comme les autres

18 juin 2018  |  dans Femmes

Les nouveaux prêtres, avec l'évêque Eva Brunne, dans la cathédrale de Stockholm ©Juliette Robert/Youpress/Haytham

Les nouveaux prêtres, avec l’évêque Eva Brunne, dans la cathédrale de Stockholm ©Juliette Robert/Youpress/Haytham

En Suède, les pasteurs devraient bientôt être majoritairement des pasteures. L’Église luthérienne de Suède se féminise et peu de fidèles y voient à redire. Nous avons rencontré ces fières pasteures qui ont trouvé leur place après des siècles de suprématie masculine.

Pour la voir prêcher, il faut lever un peu la tête. Alors, nimbée de la lumière qui traverse les vitraux de la cathédrale Storkyrkan, derrière la balustrade de la chaire baroque, Sabina Koij apparaît, dans son aube beige recouverte d’une étole verte. Le dimanche matin, c’est ici que l’on trouve cette femme pasteur du diocèse de Stockholm. Parmi les fidèles, personne ne semble accorder la moindre importance au fait que le pasteur est une pasteure. En Suède, le phénomène est devenu très courant, la part des femmes atteignant environ 40 % des effectifs pastoraux. À l’université de théologie de Stockholm, 80 % des étudiants sont même des étudiantes.
« Les jeunes devraient se souvenir que certaines se sont battues pour obtenir ce droit », rappelle Sofia Backsten, 26 ans, représentante de la nouvelle génération. La jeune femme aux longs cheveux blonds, boots Doc Martens aux pieds, ordonnée en juin, nous accueille dans une chapelle moderne, en plein cœur de l’éco-quartier Hammarby Sjöstad. « Après des siècles de suprématie masculine, c’est notre tour ! », s’amuse-t-elle.
L’année prochaine, l’Église luthérienne de Suède fêtera les 60 ans du synode qui a approuvé l’ordination des femmes. Mais avant cette date, les débats furent intenses. « Quand j’étudiais la théologie, la plupart des garçons étaient choqués de me voir dans leurs rangs », se rappelle Caroline Krook, 72 ans, ancienne évêque du diocèse de Stockholm et ordonnée en 1969, grande femme à l’allure sérieuse.

Sabina Koij, pendant la messe du dimanche à la Cathédrale de Stockholm ©Juliette Robert/Youpress/Haytham

Sabina Koij, pendant la messe du dimanche à la Cathédrale de Stockholm ©Juliette Robert/Youpress/Haytham


 

Un long combat théologique

C’est aussi ce défi qui a motivé Eva Brunne, évêque de Stockholm depuis 2009, à embrasser la profession. « On pensait qu’on allait changer l’Église de l’intérieur. Il n’y avait que nous pour le faire. À cette époque, elle était très rigide et conservatrice », raconte-t-elle.
Pourtant, comme le souligne Caroline Krook, « dans l’Église, depuis la Réforme, la femme du pasteur avait un rôle très important. Elle tenait le foyer, recevait les fidèles, donnait des conseils aux gens. Elle travaillait déjà au côté de son mari », raconte-t-elle, dans son appartement rempli d’objets liturgiques.
À soixante-dix kilomètres plus au nord, à Uppsala, haut lieu du protestantisme suédois, Anna-Karin Hammar, ordonnée dans le sud du pays, à Lund, se souvient elle aussi de ses années comme étudiante en théologie. Venue d’une famille où les générations de pasteurs s’étaient succédé, elle a dû néanmoins faire face, dans sa ville natale, conservatrice, à l’opposition des partisans d’une lecture littérale de la Bible. Pour eux, l’extrait de l’Ecclésiastique « Une femme silencieuse est un don du Seigneur » (Si 26, 14) était, sans doute, à prendre au pied de la lettre. « Nous devions gagner sur le terrain théologique d’abord, montrer combien les textes n’interdisaient pas aux femmes de devenir pasteur », détaille-t-elle. Car dans la Bible, « ce n’est pas la masculinité de Jésus qui est représentée, mais son humanité », a-t-elle toujours affirmé.

Les enjeux étaient importants. « Pendant longtemps, si vous vouliez une place dans l’Église, il fallait se contenter de diacre (une terminologie également utilisée chez les luthériens). Les femmes théologiennes, ce n’était pas accepté », rappelle Christina Berglund, ancienne pasteure à la retraite. Mais Eva Brunne se veut rassurante. « Depuis les années 80, que l’on soit un homme ou une femme n’est plus un problème. Petit à petit, les paroissiens ont appris à nous voir au-delà de notre sexe. »

Jennie Wall prêtre et Emelie Björling et Lena Thoms, qui vont être ordonnées. ©Juliette Robert/Youpress/Haytham

Jennie Wall prêtre et Emelie Björling et Lena Thoms, qui vont être ordonnées. ©Juliette Robert/Youpress/Haytham


 


Mieux s’adapter à la société

Face à la sécularisation de la société, l’Église luthérienne, séparée de l’État depuis 2000, doit trouver une nouvelle façon de s’adresser à ses ouailles. Car même si 63 % de la population est encore membre de l’Église de Suède, le chiffre est en constante diminution. Anna-Karin Hammar, un temps en charge des questions liées aux femmes au Conseil œcuménique des Églises (une ONG confessionnelle à caractère social), évoque le travail sémantique effectué pour présenter un vocabulaire inclusif qui permet de parler de Dieu en laissant la possibilité d’une identité féminine.
Après douze années passées auprès de fidèles dans différentes paroisses, Elin Hyldéen Gärtner, 38 ans, est devenue conseillère d’Eva Brunne, première évêque homosexuelle en Suède. « Nous devons nous demander pourquoi les adolescents font de moins en moins leur confirmation. Ou comment trouver le bon vocabulaire pour qualifier Dieu. Nous savons qu’Il n’est pas dans les nuages ! Comment Le relier au mieux à notre vie quotidienne ? Notre service doit d’adapter à l’époque contemporaine », résume la jeune femme. Face à tant de bouleversements, certains pasteurs ont quitté l’Église de Suède, jugée bien trop libérale. Une minorité est venue gonfler les rangs de l’église catholique.
Loin de soutenir une vision essentialiste (où l’homme et la femme diffèrent par essence) de la profession, les femmes ont-elles néanmoins entraîné quelque chose de nouveau dans leur sillon ? Pour Anna-Karin Hammar, « ce que les femmes apportent à la fonction pastorale n’est pas leur féminité, mais leur humanité, que parfois les hommes auraient tendance à mettre de côté ». Au cours de sa longue expérience, Christina Berglund, qui a été pasteure une vingtaine d’années, a pu, elle, voir les réactions positives des paroissiens. « Certaines familles étaient soulagées que nous soyons des femmes, car nous connaissions ce qu’étaient les enfants, la famille. »
La mission du pasteur a évolué au cours des décennies. La figure tutélaire s’est peu à peu effacée à la faveur d’une image plus empathique. Alors, si les femmes ont acquis leurs lettres de noblesse, serait-ce parce les hommes ont laissé la place ? « La fonction n’est plus associée au symbole du pouvoir, de l’autorité dans la société », reconnaît Eva Brunne. Pourtant, à la tête de l’Église, 11 des 14 évêques actuels sont encore des hommes…
« Autrefois, on devait être disponible 24 heures sur 24. Nous vivions dans la paroisse et les gens venaient nous voir à tout moment. Maintenant, ce que nous faisons ressemble plus à un vrai métier », décrit Christina Berglund. Avec des horaires, un peu plus de temps pour soi, éventuellement l’anonymat que permet les grandes villes. Pour Sofia Backsten, néanmoins, cette mission « ne sera jamais un métier comme un autre. C’est ma raison de vivre », estime-t-elle.

Elin Hyldeen Gartner (a g.) retrouve souvent des amies et collegues pretres au Gretas, un cafe branche du centre de Stockholm pour dejeuner. ©Juliette Robert/Youpress/Haytham

Elin Hyldeen Gartner (a g.) retrouve souvent des amies et collegues pretres au Gretas, un cafe branche du centre de Stockholm pour dejeuner. ©Juliette Robert/Youpress/Haytham


 

Des vêtements adaptés aux femmes

Une fois ses longues journées achevées, Elin Hyldéen Gärtner aime passer du temps avec ses amies au Gretas, café-restaurant branché au cœur de Stockholm. Avalant une soupe entre deux rendez-vous, le sourire aux lèvres, à mille lieues d’une quelconque austérité, elle évoque avec bonheur les réseaux de femmes pasteures qui ont émergé voilà dix ans, parlant même de « fraternité » sur le modèle de ce qu’ont instauré les hommes. « Nous voyons qui parmi nous peut épauler, en fonction de ses compétences, de son expérience dans l’Église. Et les nouvelles technologies nous y aident beaucoup », détaille-t-elle, ravie de ce dynamisme au féminin.
La jeune femme, qui arbore une bague en or avec une croix dessinée par un créateur, apprécie aussi la mode. Elle porte d’ailleurs une tunique de Maria Sjödin, créatrice réputée dans le monde entier pour ses vêtements dédiés aux femmes pasteures. Dans son atelier de Midsommarkransen, elle présente ses dernières confections. « J’ai même cousu une robe si jamais une femme était nommée pape! », s’amuse la styliste, en imaginant une fumée rose émanant de la chapelle Sixtine. « Mon rôle n’est pas de rendre les habits sexy, il s’agit juste de corps de femmes, n’en déplaise aux détracteurs. Je renforce leur émancipation en jouant avec leur féminité. Aujourd’hui, dans l’Église, les femmes sont la norme », affirme-t-elle. Car trouver une robe qui ne soit pas issue d’un vêtement d’homme n’est pas anecdotique. C’est le symbole que les femmes ont vraiment trouvé leur place dans l’Église de Suède.

Evelina Gilberg, étudiante à l'institut de Théologie d'Uppsala, essaie des vêtements chez la créatrice Maria Sjödin. ©Juliette Robert/Youpress/Haytham

Evelina Gilberg, étudiante à l’institut de Théologie d’Uppsala, essaie des vêtements chez la créatrice Maria Sjödin. ©Juliette Robert/Youpress/Haytham


 

Une église ouverte à la diversité

Grande défenseuse de la cause des femmes pasteurs, Anna-Karin Hammar estime que « le combat des femmes a aidé celui des gays », aujourd’hui bien acceptés comme pasteurs dans l’Église luthérienne de Suède. Homosexuelle elle-même, elle est mariée à une femme théologienne, mère de deux enfants. Parmi ses derniers coups de cœur, la lecture de Love Lost in Translation : homosexuality and the Bible, de Renato Lings, qui revisite les mythes bibliques, comme celui de David et Jonathan, de Ruth et Noémi. « L’Église doit garder en tête la nécessité de s’adapter à des textes historiques quand ils sont transférés dans la société contemporaine », observe-t-elle. Depuis 2009, la Suède, pionnière, autorise aussi les mariages de couples homosexuels à l’église, une mesure soutenue officiellement par l’Église de Suède.

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