Ukraine : Faux eldorado pour étudiants africains

3 mars 2010  |  dans International

Photo : David Breger/Youpress

Lucy - Photo : David Breger/Youpress

Attirés par les faibles coûts de la scolarité et incités par de grandes campagnes de promotion, de plus en plus de jeunes africains poursuivent leurs études dans les universités ukrainiennes. Sur place, leur vie est loin de ressembler aux brochures : racisme, harcèlement policier, tracasseries administratives et arnaques sont leur lot quotidien.

A l’arrivée à Borispol, l’aéroport international de Kiev, en plein hiver, le premier choc fut thermique. Légèrement vêtu quand les températures avoisinent les -20°, ne parlant pas un mot d’ukrainien, Mondésir, 21 ans, a débarqué du Congo-Brazzavile en décembre dernier. Sa première impression : « l’enfer ». Le futur étudiant en marketing et management avoue ne pas avoir pu se laver pendant trois jours : « pas du tout habitué au froid, je ne pouvais pas entrer dans la douche ». Conduit directement à sa cité-universitaire, il n’a vu ni la cathédrale Sainte-Sophie, ni Maidan, le haut lieu de la révolution orange, ni la vie nocturne de Kiev… Ses ainés, d’autres étudiants africains de la résidence l’ont vite mis au courant : il est plus prudent d’éviter le centre-ville : « les noirs n’y sont pas en sécurité » …

Mondésir - Photo : David Breger/Youpress

Mondésir - Photo : David Breger/Youpress

L’Ukraine accueille cette année près de 45.000 étudiants étrangers, venus pour majorité de Chine, d’Inde et d’Afrique. « Ils sont attirés par le faible cout des études et les enseignements qui n’existent pas dans leur pays d’origine », explique Mriedoula Ghoche, de l’Institut de Développement Est Européen, une ONG qui étudie la question de l’immigration et des droits de l’homme en Ukraine. Ils rêvent d’une éducation européenne sans savoir bien souvent ce que cette réalité recouvre. « Du temps de l’URSS (dont l’Ukraine est devenue indépendante en 1991), de nombreux partenariats universitaires se sont créés avec les pays africains, surtout dans les années 1960, au moment de la décolonisation. Le pays répondait au besoin de formation de nouveaux cadres tout en faisant la promotion idéologique du communisme ».

Le business de l’éducation

Depuis, la fin de l’Union Soviétique et l’avènement du libéralisme, l’idéologie n’est plus primordiale, mais l’argent oui. « Les étudiants étrangers sont devenus  une véritable manne financière pour les universités ukrainiennes », affirme Mriedoula Ghoche. Avec des frais de scolarité allant de 1000 à 5000 euros, le business de l’éducation rapporterait entre 80 et 150 millions d’euros par an. Les universités ont lancé des campagnes de publicité (notamment télévisées) dans de nombreux pays africains et leurs représentants rendent visite aux futurs étudiants. Le nombre d’invitations accordées est en constante augmentation.

Mondésir avait pensé à la France, mais y être accepté par les universités est complexe  et la vie est chère : alors il a pris la route ukrainienne. Durant 9 mois,  il va suivre la « classe préparatoire », pour apprendre l’ukrainien ou le russe, obligatoire avant le début de l’enseignement. « Je suis ici pour 4 ans, après je verrai bien. Peut-être pourrais-je continuer en Europe de l’Ouest ou retourner au Congo : ce sera un atout pour moi de parler une nouvelle langue. On est plus respecté dans mon pays avec une formation à l’étranger et les études en Ukraine ont bonne réputation ».

Racisme quotidien

Nana - Photo : David Breger/Youpress

Nana - Photo : David Breger/Youpress

Voici 6 ans, Nana, a effectué le même trajet.  Ce Ghanéen de 28 ans, en dernière année de médecine à Kiev, a aussi découvert l’Ukraine par la route de l’aéroport « pleine de trous dans la chaussée à l’époque ». Il a désormais pris l’habitude du climat, mais reste révolté par le racisme quotidien. « Quand je marche dans la rue, je dois faire semblant de ne pas comprendre l’ukrainien. Les insultes sont courantes. On me traite de singe. Il y a un fort climat de suspicion aussi, les voisins vous observent. Ce n’est pas la majorité des ukrainiens bien sûr, mais cette minorité rend notre situation difficile ». Il se souvient de la vague de violence qui a fait 5 morts en 2008, lorsque des groupes de skinheads s’en sont pris aux étrangers. A quelques centaines de mètres de l’appartement de Nana, un jeune Gambien a été tué en revenant du supermarché. « Comme ça sans raison ! Son meurtrier n’a pas été arrêté et on m’a dit qu’il était encore dans le quartier », raconte Nana. Avec Selaise, son colocataire, ils prennent leurs précautions : leurs rares incursions au dehors sont pour faire des courses ou aller en cours. Impossible de se sentir libre. Abraham, un étudiant en architecture ghanéen, ami de Selaise a été attaqué en 2006 par un groupe de skinheads qui l’ont tabassé : « le visage tuméfié, je suis resté entre la vie et la mort… depuis cette période, je ne sors presque plus et dès qu’il y a un bruit, mon cœur se met à battre à toute vitesse ». Pour Nana : « Le racisme existe dans tous les pays, mais le problème c’est surtout que les autorités ne réagissent pas. Une fois, nous nous sommes fait agresser et lorsque nous avons dénoncé la situation au policier il nous a répondu : Pourquoi ne retournez-vous pas dans votre pays ? »

Harcelés par la police

Mriedoula Ghoche - Photo : David Breger/Youpress

Mriedoula Ghoche - Photo : David Breger/Youpress

Les étudiants étrangers éprouvent ainsi les plus grandes difficultés à faire respecter leurs droits. Mriedoula Ghoche explique : « Non seulement les minorités visibles sont victimes du racisme, mais souvent elles ne sont pas protégées par la police. Les forces de l’ordre les harcèlent et multiplient les contrôles d’identité. Nous recevons de nombreux témoignages d’étudiants qui ont vu leurs papiers d’identité confisqués ». Pour les récupérer il faut payer un bakchich. Lorsqu’ils sortent du territoire ukrainien, les étudiants ont des problèmes pour y revenir, subissent de longs interrogatoires à la frontière et sont parfois gardés en détention. Il faut ajouter à cela qu’ils n’ont pas la possibilité de travailler. « La loi ukrainienne n’est pas claire sur ce point, mais elle est toujours appliquée en leur défaveur. Ces lois sont très xénophobes de toute façon, un employeur voulant faire travailler un étranger devra payer le double de taxes », continue Mriedoula Ghoche. Certains étudiants travaillent malgré tout, au noir, pour des salaires très faibles, mais ils risquent l’expulsion à tout moment.

Pour résister, la communauté africaine, qui compte 5.000 personnes en Ukraine, dont une majorité d’étudiants, se regroupe. Le pasteur Albert Kitcher, membre de l’African Center, une ONG qui vient en aide aux immigrés,  rencontre régulièrement les étudiants et prodigue ses conseils pour leur future vie professionnelle.  Originaire du Ghana, il a fait ses études en Ukraine du temps de l’Union Soviétique. « Nous essayons de construire un réseau avec ces étudiants, car ici ils n’ont presque pas de vie extrascolaire. Nous insistons sur la sécurité et leur conseillons de prendre des taxis, de ne pas se promener seuls le soir. Peut-être d’avoir un diapositif d’alarme sur eux. Et s’ils se font agresser de porter plainte immédiatement. Pour avoir choisi ce pays, ils représentent aussi l’Ukraine et ce serait normal qu’ils soient considérés, mais ils sont vus comme des étrangers, venus prendre le travail des Ukrainiens. Contrairement à ces idées reçues, ils n’essaient pas d’entrer en Europe… ils veulent revenir dans leur pays, une fois leur diplôme obtenu pour contribuer à son développement ».

L’arnaque des agences

Malgré ce sombre tableau, à Kiev, Kharkov, Odessa ou Dnipropetrovsk  les  universités ukrainiennes continuent de faire le plein. Le recrutement et le voyage des étudiants sont souvent organisés par l’intermédiaire d’agences plus ou moins honnêtes, officiant depuis  les pays d’origine. « Leur fonctionnement n’est absolument pas transparent et personne ne sait si elles sont accréditées par le ministère de l’éducation ukrainien », explique Mriedoula Ghoche. « Ces agences, souvent lancées par des anciens étudiants, promettent tout et n’importe quoi et ne fournissent pas les services annoncés. Elles demandent des frais supplémentaires au moindre prétexte : l’inflation, l’hébergement… » Pour des familles africaines modestes ces surcouts sont un véritable choc. Mais si elles ne paient pas leurs enfants risquent l’expulsion.  « Il y a un manque de contrôle regrettable du ministère de l’éducation ukrainien : on ne peut pas considérer l’éducation comme un moyen de faire de l’argent ! ».

Lucy - Photo : David Breger/Youpress

Lucy - Photo : David Breger/Youpress

Lucy, 25 ans, originaire d’Akwanga au nord du Nigeria, a fait les frais cette arnaque répandue. Ayant obtenu avec 14 autres étudiants une bourse de son pays, c’est une intermédiaire qui s’est chargé des formalités administratives. « Cette dame nous avait dit que nous n’aurions pas besoin d’acheter de livres, que l’enseignement serait totalement informatisé. Nous avons payé 350 euros un programme d’information sur l’Ukraine qui n’a jamais eu lieu. Elle nous a promis des billets sur une grande compagnie et nous a fait voyager en charter. Arrivés en Ukraine nous n’avions pas d’argent pour manger… Comme je suis habile en coiffure, j’ai coupé les cheveux d’autres étudiants contre quelques euros pour pouvoir survivre. Elle a aussi réclamé de l’argent à nos parents au Nigeria, pour payer le reste de nos frais d’inscription : sans lesquels nous aurions été expulsés. Puis elle a disparu… ». Une escroquerie qui marquait le début d’un séjour peu hospitalier pour l’étudiante ingénieure à l’institut national d’aviation. Lucy vit dans une résidence universitaire, dans un bâtiment ou ne logent quasiment que des étudiants étrangers. Son univers : une pièce de quelques mètres carrés, qu’elle partage avec une amie nigériane. Juste de quoi caser lits et bureaux. Et pas d’intimité : un simple rideau les sépare du couloir, point de passage vers une autre chambrée. Elle aussi a vécu les insultes… et le harcèlement sexuel : « On m’a touché les fesses. Un chauffeur de taxi a même essayé de m’embrasser et lorsque j’ai refusé m’a dit : retourne donc en Afrique ! ». Depuis Lucy s’est réfugiée dans ses cours et ses livres. La jeune femme, qui rêve de créer un orphelinat dans son pays mesure les sacrifices que lui coutent ses études : « c’est une expérience difficile mais qui m’apprend beaucoup». Pour Nana, le diplôme de médecin est bientôt en poche. C’est décidé, il rentrera au Ghana, qui manque terriblement de docteurs. Il a déjà sa date de retour au pays : le 15 juillet. A cette idée, son regard s’allume… il semble déjà ailleurs.

« Ce pays cherche son identité »

Photo : David Breger/Youpress

Photo : David Breger/Youpress

Entretien avec Daiva Vilkelyte, coordinateur de l’Organisation Internationale pour les Migrations en Ukraine

Que faire pour lutter contre les violences dont sont victimes les minorités visibles en Ukraine ?

Depuis avril 2007, nous avons mis en place une plateforme appelée « Diversity Initiative », qui regroupe des ONG, des membres de la société civile et du gouvernement ukrainien. Elle permet de porter à la connaissance des autorités, les agressions et crimes à caractère raciste qui nous sont rapportés. Des efforts ont été faits depuis deux ans par le ministère de l’intérieur ukrainien qui a créé des départements pour lutter contre ces crimes. Des groupes nationalistes ayant perpétré des attaques brutales contre les minorités ont été identifiés et sont surveillés. L’année dernière, trois meurtres ont été commis, mais aucune preuve n’a été apportée qu’ils étaient à caractère raciste. Il y a une diminution de ces agressions, mais cela reste difficile de le mesurer, car beaucoup ne sont pas rapportées par les victimes.

Comment changer les mentalités au sein de la population ?

C’est aussi une des activités de ce programme. Nous mettons en place diverses campagnes médiatiques pour promouvoir les échanges interculturels, des activités à destination des enfants, qui ont peu de connaissance de l’étranger… Durant la période de l’union soviétique, la société était très fermée et contrôlée. Les slogans internationalistes promettaient que, blancs, noirs ou jaunes, tous pouvaient vivre heureux sous le communisme. Mais personne n’y prêtait vraiment attention : l’idéologie tenait la société et personne ne pouvait s’exprimer librement. Quand le libéralisme est venu, la société s’est ouverte dans toutes ses formes, même les plus extrêmes. Et aujourd’hui l’Ukraine reste encore à la recherche de son identité. Voilà pourquoi changer les mentalités prendra du temps.