Les Y’en a Marre secouent le Sénégal

21 mars 2012  |  dans International

Deux jours avant le premier tour de l’élection, le collectif manifeste encore contre le président sortant. ©Aude Osnowycz

Deux jours avant le premier tour de l’élection, le collectif manifeste encore contre le président sortant. ©Aude Osnowycz

Pour empêcher le président Wade d’obtenir un troisième mandat, les jeunes se mobilisent et tentent d’éveiller les consciences.

 

“Au combat !”, lance en riant Sofia, 31 ans, au milieu du QG des Y’en a Marre (YAM), un simple appartement transformé en salle informatique, dans une banlieue modeste de Dakar. Aujourd’hui, comme tous les jours depuis des semaines, cette cofondatrice du mouvement de contestation citoyenne s’apprête à descendre dans les rues du centre de la capitale. Corruption, chômage, injustice sociale, ces jeunes ont décidé de dire stop au système Abdoulaye Wade, l’actuel président qui se présente pour un troisième mandat à 85 ans, malgré la restriction de la Constitution à deux mandats consécutifs. Habillée d’une veste militaire, d’un jean et de baskets, Sofia est parée pour les manifestations, qui ont récemment dégénéré au point que plusieurs jeunes ont été tués lors d’affrontements avec la police. Seule coquetterie : son foulard moucheté de strass. Cette informaticienne au chômage est en charge de l’animation des réseaux sociaux pour les YAM et passe en ce moment des journées dignes d’un PDG. “Je me lève à 7 heures, souvent réveillée par le téléphone, qui n’arrête pas de sonner. Il faut donner des conseils aux intéressés, organiser les réunions, mettre à jour la page Facebook, et ce, jusqu’à 3 ou 4 heures du matin. Les filles commencent aussi à s’intéresser à notre démarche”, se réjouit-elle. Jusqu’ici, le mouvement reste très masculin. “Je sens que je joue un rôle quant au statut de la femme sénégalaise. Tous les jours, elles sont près d’une dizaine, jeunes ou non, à m’appeler pour avoir des conseils, savoir comment procéder pour se rendre utiles”, explique Sofia, dynamique malgré ses “trois heures quotidiennes de sommeil”.
 

Sofia passe toutes ses journées au téléphone et sur Facebook pour organiser des réunions et motiver les troupes. ©Aude Osnowycz

Sofia passe toutes ses journées au téléphone et sur Facebook pour organiser des réunions et motiver les troupes. ©Aude Osnowycz

Comme pour les Indignés, l’important aux yeux des YAM est de “réveiller les consciences”, affirme Aliou Sané, 29 ans, l’un des fondateurs. Certains ont beau les qualifier de doux rêveurs, le mouvement tient depuis plus d’un an. Pour une démocratie efficace sur le terrain, “toutes les compétences au niveau local sont à utiliser”, avance le jeune homme.

 

“Tout sauf Wade”
 
Les YAM organisent donc des manifestations, mais vont aussi dans les banlieues pour pousser les jeunes, majoritaires dans la population sénégalaise, à s’inscrire sur les listes électorales. “Ma carte électorale égale mon arme”, lâche Sofia. Ce n’est pas son amie Fatima, 23 ans, étudiante en communication, et en charge de la logistique, qui dira le contraire. Dimanche 26 février, elle a voté “tout sauf Wade”, dans l’optique d’“exercer son devoir de citoyenne”, explique-t-elle. Et n’a pas hésité à faire la queue plusieurs heures durant dans le bureau de vote de son quartier.
 

Fatima a fait la queue pendant des heures afin d’“exercer son devoir de citoyenne”. ©Aude Osnowycz

Même si les conditions – la candidature du président sortant est considérée comme un coup de force antidémocratique – ne lui donnent pas vraiment envie de ce scrutin. “Avec les YAM, j’ai trouvé le cadre qui me manquait pour concrétiser mes aspirations politiques. Jusque-là, je ne me sentais pas représentée par les partis, raconte-t-elle. J’ai aussi gagné en confiance en moi. J’aimerais juste avoir plus souvent la parole.” En effet, au plus chaud des manifestations, mi-février, les filles étaient parfois éclipsées par les garçons. Fatima sait pourtant qu’elle risquait “le pire, d’être arrêtée, tuée”. Lors des réunions, les femmes doivent également s’affirmer plus fort pour être entendues, même si, en théorie, un principe de parité est appliqué. “Il s’agit d’un problème de culture. Au Sénégal, on met encore la femme au niveau du foyer. Les hommes baignent dans cette conception depuis l’enfance”, reconnaît-elle. Mais la priorité absolue reste de combattre le système politique actuel. Et les premiers résultats de dimanche soir, que les YAM ont suivis avec attention, les rassurent un peu. “Le président ne sera pas élu dès le premier tour”, se réjouit Aliou. D’autres prétendants au poste de chef de l’État ont fait de bons scores… mais pas les deux femmes en lice. Leur candidature représentait pourtant une grande première au Sénégal.
Y’en a Marre aussi des machistes ?