Haïti : Vives tensions après l’annonce des résultats

10 décembre 2010  |  dans International

Crédit photo : Corentin Fohlen/Fedephoto

Crédit photo : Corentin Fohlen/Fedephoto

6h, Port-au-Prince. Dans les rues, pas une voiture ne circulent, les étales des marchands sont rangées, les boutiques sont fermées. A Pétion-ville, sur les hauteurs de la capitale, les barricades de pneus, de branches et d’ordures, refroidissent après la nuit. Et pour cause : la veille, vers 21 heures, le Conseil électoral provisoire (CEP) a donné les résultats préliminaires de l’élection présidentielle, déclenchant une vague de manifestations et de violences à plusieurs endroits du pays.

Après des dizaines de rumeurs contradictoires publiées dans la presse internationale, ce seront finalement la candidate de RNDP, Mirlande Maningat (31,37%) et Jude Célestin (22,48%), le prétendant du pouvoir en place, qui s’affronteront au deuxième tour du scrutin, le 16 janvier. Michel Martelly, allias « sweet Micky » (21,84%), est le grand perdant de l’élection. Avec seulement 6845 voix de moins que le candidat d’INITE, la star de Tet Kalé, le groupe de musique compas, très soutenu dans la capitale et dans le Sud du pays, est recalé. «Un résultat incohérent », selon un communiqué de l’ambassade américaine publié quelques heures après l’annonce. Le gouvernement des Etats-Unis est préoccupé par la publication des résultats […] qui ne correspondent pas avec ceux du Conseil national d’observation électorale». Les observateurs internationaux, se basant sur les résultats de 1600 bureaux de vote sur 11180, avaient donné il y a deux jours, Michel Martelly et Myrlande Maningat, vainqueurs du premier tour. Depuis le 28 novembre, jour du vote, malgré la validation du scrutin par le CEP et de la communauté internationale, les irrégularités constatées par la presse et les observateurs entachent le scrutin de soupçons de manipulation. Au point de faire réagir Edmond Mullet, chef de la Minustah, qui menaçait la semaine dernière, d’un retrait de l’Onu en cas de non-respect «de l’expression populaire».

Pillages et scènes de violences dans la capitale

«On a voté Micky, pas Célestin ! », « Y’a chaud, y’a chaud, si Mickey pas président ! », « On n’a voté, nous met’ le feu au CEP !», depuis l’annonce des résultats, ces slogans raisonnent dans les rangs des manifestants qui défilent par petits groupes d’une centaine de personnes, a différents endroits dans la capitale. Armés de bâtons et quelques fois de machettes, les partisans de Michel Martelly descendent les rues au pas de course, arrachant les affiches à l’effigie de Jude Célestin et brisant les pare-brises des voitures garées sur le trajet. Sur les bords de la chaussée, des centaines d’habitants des camps de déplacés observent le passage des différents cortèges. «Je suis solidaire, Jude Célestin est un voleur qui nous a apporté le choléra, explique Manata, une sinistrée du camp Place Boyer qui chante en cœur avec les manifestants. Si je ne vais pas défiler c’est parce que je n’ai pas les moyens de m’acheter une paire de tennis pour aller courir avec les autres ». Une heure après la déclaration du CEP, en pleine nuit, une dizaine de barricades étaient installées puis enflammées à Pétion-ville, fief de Michel Martelly. En moto, impossible de passer. Les quelques manifestants sur les barricades n’hésitent pas a jeter des pierres sur ceux qui tentent de traverser… «J’ai failli me faire trucider, ils m’ont bousculé violemment, raconte un officier de l’UNPOL, la force policière de l’ONU, qui prenait son service vers 22h. Si je m’étais retrouvé à terre, je ne sais pas ce qu’il me serait arrivé». Et de poursuivre : «Cette nuit, aux Cayes, des manifestants ont brûlé la maison d’un collègue, il est sorti de chez lui in extremis». Selon la presse locale, cette ville du Sud « est paralysée ». Ce matin, le siège d’INITE, situé dans le centre de Port-au-Prince a été ravagé par un groupe de partisans pro-Martelly et anti-Préval, le président en place. Devant un service de sécurité dépassé et dans un mouvement de panique généralisé, les manifestants pillent ordinateurs, imprimantes et ventilateurs. Les vigiles finiront par ouvrir le feu et par blesser un manifestant au pied. «Cette nuit nous avons reçu deux blessés par balle, signale François Dumont de Médecins sans Frontières. Nous avons renforcé nos équipes chirurgicales dans plusieurs centres de la capitale au cas où des blessés arriveraient. Mais nos équipes ont l’ordre de limiter tous les déplacements par mesure de sécurité». Malgré les scènes de vandalisme, les milliers de manifestants, dans les rues à part en quelques endroits stratégiques, pas l’ombre d’un policier, encore moins des soldats de la Minustah, la force de stabilisation de l’ONU. Face à l’ampleur de la crise, les forces de l’ordre auraient-elles décidé de faire profil bas? Impossible d’avoir une réaction officielle, le porte-parole de la Minustah promettant un communiqué dans la journée. Selon une source bien placée à l’ONU, les casques bleus auraient reçu l’ordre de rester discrets. «Déjà que la population nous en veut, on ne va pas jouer la provocation par notre présence. Je ne sais pas quand nous allons bouger, mais pour l’instant, on fait comme tout le monde : on attend la suite».