Haïti : Un scrutin sous haute surveillance

3 décembre 2010  |  dans International

Crédit photo : Corentin Fohlen/Fedephoto

Crédit photo : Corentin Fohlen/Fedephoto

Demain, 4,2 millions d’Haïtiens sont appelés à se rendre aux urnes pour élire le nouveau président et renouveler une partie du parlement. A la demande des autorités électorales, sept bureaux de vote ont été installés dans les plus grands camps de déplacés de la capitale.

Chez les Dolcy, depuis un mois, les repas de famille sont animés. Et pour cause : la mère, la fille et le fils défendent chacun un candidat différent pour l’élection présidentielle. Dans leur shelter flambant neuf, une petite cabane en bois venue remplacer leur tente de fortune, les débats à l’approche du scrutin, sont quotidiens. « On essaye tous de se convaincre que l’autre se trompe, c’est normal, chez nous c’est la démocratie ! », s’amuse Ronald, le fils. Les Dolcy font partie des 1,3 millions de déplacés qui vivent toujours dans un camp, 11 mois après le séisme. Demain, comme 4,2 millions d’Haïtiens, cette famille est appelée à élire le successeur du président René Préval ainsi que 99 parlementaires et 11 sénateurs. Un gouvernement qui aura la lourde de tâche de rebâtir un pays ravagé par le séisme du 12 janvier, le passage du cyclone Thomas mais aussi par l’épidémie de Choléra qui frappe Haïti depuis le mois d’octobre. Autour de la cabane des Dolcy, dans « le camp Carradeux », les tentes à perte de vue le disputent aux shelters rose, vert et turquoise construits par les ONG. Ici, après le tremblement de terre, près de 70 000 personnes se sont installées progressivement. Aujourd’hui, Carradeux est le deuxième plus grand camp de la capitale. Il a donc été choisi avec six autres, pour accueillir les bureaux de vote situés dans les camps de déplacés. « Tous les camps ont été placés en zone rouge », explique David Berthomier, capitaine français en charge de la sécurité des élections dans les camps. Le policier français d’UNPOL, la force policière de la Minustah, fait référence au classement mis en place par la police haïtienne en collaboration avec l’ONU. Un classement vert-jaune-rouge, effectué selon la dangerosité des sites où sont situés les bureaux de vote du pays. Selon les informations que s’est procuré le JDD, 891 sont classés en vert, 238 en jaune et 354 en rouge. Carradeux, qui semble tranquille en cette fin de matinée ensoleillée, fait donc partie des sites les plus sensibles du pays. Demain, à 6 heures du matin pour l’ouverture des deux bureaux du camp, 10 militaires des forces spéciales, 2 UNPOL et les policiers haïtiens du secteur seront placés autour du bureau pour assurer la sécurité du vote et le transport des bulletins. Ailleurs, ce sont 3200 policiers internationaux et 8000 militaires de la Minustah qui ont été envoyés aux quatre coins de l’île. A l’intérieur des bureaux, des milliers d’observateurs nationaux et internationaux, en plus des agents électoraux formés par les Nations Unies, s’assureront de la bonne tenue des votes dans les 11 180 bureaux. Malgré le dispositif mis en place, David Berthomier reste conscient des failles du système dans les camps : « seulement, deux bureaux de vote pour 70 000 personnes et un dépouillement sur place en pleine nuit dans un camp mal éclairé, cela va être difficile à gérer». Et d’ajouter : « Nous sommes prêts à toutes les éventualités, il n’y a presque plus personne dans les secrétariats, nous sommes sur le pied de guerre. Mais attention, nous n’entrerons pas dans les bureaux de vote, sauf demande d’intervention, nous ne devons pas être accusés d’influencer le processus électoral».

La fraude électorale est au centre des inquiétudes

Ce n’est pas ce qui inquiète le plus les habitants de Carradeux. La famille Dolcy, comme le président du comité de quartier, affirment avoir reçu à plusieurs reprises des menaces les dernières semaines de la part des partisans d’un candidat en lice. «Ils viennent chez nous avec leurs armes, en nous disant qu’ils sauront si on a bien voté», affirme inquiète, Huyguette, la mère de famille. Vous ne serez pas seule dans l’isoloir ? « Si mais cela fait réfléchir», rétorque-t-elle. Davantage que les risques de violences, les soupçons de fraudes ou de manipulations, qui pourraient entacher le scrutin, sont au premier rang des inquiétudes. Interrogée par le JDD, Mirlande Maningat, candidate donnée favorite par les derniers sondages, affirme que « 500 bureaux de vote fictifs ont été créés et que 500 000 faux bulletins de vote circulent déjà». Philippe R.J. Augustin, directeur du registre électoral, confie: «cela va être très compliqué, qui peut garantir que les 3300 agents des bureaux de vote et leurs superviseurs ne sont pas achetables. Il faut s’assurer aussi qu’ils ne voteront pas plusieurs fois car l’encre (les doigts des votants seront marqués à l’encre « indélébile », ndlr) peut être retirée avec du dissolvant». Et d’ajouter : « la seule garantie contre la fraude est la participation massive de la population aux élections ». De cette manière, les fraudes, si elles ne sont pas généralisées, ne pourront pas influencer le résultat final. Au camp Carradeux, Huyguette reste philosophe sur la question des fraudes : «Qu’est-ce qu’on pourra faire ? Personne ne nous écoute, sauf quand il y a un séisme, des manifestations et qu’on nous entend à la radio»

les favoris parmi les 18 candidats dans la course à la présidence

Mirlande H. Maningat. Epouse de l’ex-président Leslie Maningat, la candidat du Rassemblement des nationaux démocrates progressistes, est en tête des sondages-plus ou moins sérieux- avec 30% des suffrages. Cette diplômée de la Sorbonne et de Science Po, se dit « centriste de gauche » et défend « un capitalisme à visage humain ». Elle a siégé quelques mois au parlement, avant le renversement de son mari par un coup d’Etat militaire en 1988.

Jude Célestin. Candidat d’INITE, le parti du gouvernement en place. Il est le beau-frère de René Préval, le président actuel. Ce dernier défend le bilan, pourtant décrié par beaucoup d’Haïtiens, de son prédécesseur. Ingénieur de formation, il n’a pas d’expérience politique et était inconnu du grand public, avant que René Préval le désigne comme son successeur.

Michel Martelli. Allias « sweet Micky », le candidat de Reyponz payzan, est une star de la musique compas. Il dispose d’un fort soutien dans la capitale, dont il est originaire. C’est la première fois qu’il se présente à une élection. Il accuse le gouvernement d’avoir entraîné le pays dans la crise et réclame une nouvelle génération au pouvoir.

Charles-Henri Backer. Industriel puissant, le candidat de RESPE, est arrivé en troisième position lors de l’élection présidentielle en 2006. Son parti défend « l’ordre, la discipline et le travail ». Il se présente aussi comme le « candidat du changement ».

Jean-Henry Céant. Notaire de profession, le candidat de Renmen Ayiti (Aimer Haïti) se veut le candidat du rassemblement. Dépourvu d’expérience politique, il a essayé durant la campagne de réunir les anciens partisans de président Duvalier et les ex-Aristide autour du slogan « Tout mounn ladan’l» (tout le monde dedans)