Depuis que la ville a tremblé

13 juillet 2009  |  dans International

photo : Leïla Minano

photo : Leïla Minano/Youpress

Trois mois après le séisme, les sinistrés de l’Aquila vivent toujours sous des tentes. Alors que bénévoles et religieux portent assistance aux réfugiés, Silvio Berlusconi, lui, a décidé d’organiser le G8 au cœur des décombres. Reportage.

Aux abords de la route, des centaines de petites tentes bleues. Les rangées disciplinées et les abris montés au carré, donnent au tableau des airs de camp militaire. Mais il suffit d’approcher pour apercevoir les cordes débordées par le linge, les pots de fleurs colorés, les dizaines de chaises de jardin. Rien à voir avec une installation de l’armée. D’ailleurs, les banderoles de la Croix-rouge flottent au dessus du parterre bleu, des dizaines de containers métallisés et… des milliers de réfugiés. Nous sommes à l’Aquila, capitale des Abruzzes ravagée il y a 3 mois par un tremblement de terre. C’est aussi, pour quelques jours, le point de mire du monde entier. Car Silvio Berlusconi, le président italien, a décidé de convier les chefs d’Etat du G8… à quelques kilomètres des camps de sinistrés. Trente-neuf camps où s’entassent des milliers d’Aquiloni depuis le 6 avril, le jour où la ville a tremblé. Ce jour-là, à 3 heures trente du matin, un séisme d’une magnitude de 6,3 sur l’échelle de Richter tue 300 personnes et réduit le centre de la « cité aux 99 églises, 99 parcs et 99 fontaines » à l’état de chantier. Cinquante mille personnes sont jetées hors de leurs foyers et contraintes de vivre dans ces abris de tissu montés en urgence par plusieurs dizaines d’organisations humanitaires. Quatre-vingt dix jours plus tard ils sont toujours là. D’ailleurs, «Yes we camp!» est devenu le slogan des sinistrés. Un mot d’ordre cynique mais aussi « un cri du cœur face à l’humiliation de vivre sous des tentes», peut-on lire sur les affichettes placardées dans la ville.

Une ville sous haute sécurité

photo : Leïla Minano/Youpress

photo : Leïla Minano / Youpress

Aujourd’hui, la belle cité médiévale n’est plus que l’ombre d’elle-même. Vidée de ses habitants, elle a été transformée en camp retranché par le gouvernement Berlusconi qui craignait les débordements, même avant le G8. « Les gens ont perdu leur maison et quelques fois un membre de leur famille. Beaucoup n’ont plus d’emploi car les entreprises ont été détruites. Tout cela est suffisant pour déclencher des émeutes », explique Alessandro, l’un des fondateurs de 3’32 (l’heure a laquelle le séisme a eu lieu), une coordination citoyenne fondée au lendemain du tremblement de terre. Hors des camps, la vie de la cité est désormais rythmée par les patrouilles des Carabinieri et de l’armée italienne. Ici, pas question de se promener sans papiers d’identité, les forces de l’ordre contrôlent toutes les allées et venus. « J’ai calculé, à chaque fois que je vais acheter un paquet de cigarettes, je me fais contrôler deux fois en moyenne », ironise Massimo, un jeune réfugié. Et Alessandro d’ajouter : « J’ai même peur de sortir du camp…». Impossible aussi d’accéder au centre-ville ravagé par les secousses : des guérîtes de soldats en contrôle sévèrement l’entrée. Comme pour les camps de réfugiés. Aux alentours des emplacements grillagés, gardes civiles et volontaires de la Croix-Rouge se relaient pour assurer la sécurité. C’est le cas à Collemaggio, un camp construit sur le parvis de la cathédrale qui porte le même nom. « Cet emplacement a un caractère sacré pour les réfugiés, explique Nadia, une volontaire de la Croix-Rouge. Ici il y entre 250 et 300 tentes, c’est un camp de taille moyenne car il y a aussi des camps gigantesque avec plusieurs milliers de personnes ».

Au village des sinistrés

Mais à y regarder de plus près, l’endroit ressemble davantage à une ville temporaire qu’a un campement de réfugiés. Une petite commune, construite autour de sa Poste (une camionnette qui permet aux réfugiés de faire les démarches administratives) et de son point internet en préfabriqué. La ludothèque, le cinéma et la chapelle sont montés dans des tentes grises gigantesques et gonflables. Tout en montrant les installations, Nadia, enseignante dans le civil, explique : « Nous passons commande auprès du gouvernement, qui accepte ou refuse nos demandes. Au début, ils nous disaient toujours oui, maintenant c’est plus compliqué alors on demande aux organisations humanitaires ». Dans les allées rebaptisées par les sinistrés (« la rue des chats, des papillons », etc), ont également été installés un magasin gratuit, un centre d’aide psychologique et même l’échoppe d’un barbier. L’ensemble forme un camp d’allure confortable, bien loin de ce que l’on aurait pu imaginer.

photo : Leïla Minano/Youpress

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Et pourtant, malgré les installations flambants neuves et les 220 volontaires venus les aider, les Aquilani ne demandent qu’une chose : pouvoir rentrer chez eux. « Le manque d’espace est très difficile à supporter, explique la bénévole. Ils doivent partager les tentes, les sanitaires et les repas avec des gens qu’ils ne connaissaient pas », poursuit-elle. Dans un autre camp, Piazza d’Armi, la proximité des réfugiés produits même des tensions inter-ethniques entre les communautés roms, péruvienne et italienne qui ont du mal a cohabiter. A Collemaggio, Paolo et Conrado, la cinquantaine, bavardent assis sous un arbre près de leurs tentes. Nous allons à leur rencontre. « Ma maison a été partiellement détruite, raconte le premier. J’ai perdu mon emploi à cause du tremblement de terre, alors je reste là toute la journée ». La maison de Conrad, l’autre réfugié, a été complètement rasée par les secousses. Les deux sinistrés se sont donc installés il y a trois mois avec leurs familles dans les abris de toiles. Conrad finit par se lever, il veut nous montrer « dans quoi il vit ».

« Un seul responsable : Sylvio Berlusconi »

C’est avec lui que nous pénétrons dans une tente de dix mètres carrés avec 6 lits en rangs serrés. Malgré la climatisation, la chaleur est étouffante et l’on se demande comment une demi-douzaine de personnes peuvent vivre dans un espace aussi réduit. « Avec ma femme nous n’avons plus aucune intimité, se désole ce père de famille. Nous sommes obligés de manger à heure fixe et de faire la queue 45 minutes à la cantine car il nous est interdit de cuisiner», raconte-t-il, dépité. Pour Alessandro de la coordination 3’32, « les Aquiloni sont considérés comme des assistés. Au lieu de leur permettre de reconstruire eux-même leur maison. On les laisse se morfondre dans des camps où il n’ont rien à faire de la journée ». D’ailleurs, ce natif de l’Aquila a décidé il y a plusieurs semaines de quitter le camp pour en fonder un autre ailleurs. Un campement « alternatif, où les réfugiés prennent en main leur vie ». Résultat : le jeune homme aidé par d’autres activistes et citoyens de la ville a monté sa propre tente avec d’autres jeunes réfugiés, dans un parc.

photo : Leïla Minano/Youpress

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Les associatifs ont même construit un centre média pour communiquer sur leur situation, le « MediaLab », et un « forum », un lieu de débat sous une tente gigantesque. Chaque jour militants et citoyens s’y réunissent pour des assemblées générales, des groupes de parole avec des psychologues, des projections et des concerts. L’endroit est devenu si important à l’Aquila que c’est là que les quelques militants altermondialistes et les centaines de journalistes se sont rendus pour le contre-sommet du G8. Pourtant, l’essentiel des sinistrés sont restés dans les camps. Loin des luxueux hôtels de Rome où se réunissent au même moment, les puissants du G8. Mais le nom de l’un d’entre-eux est sur toute les lèvres : Sylvio Berlusconi. « Il s’achète des dents en or, au lieu de nous aider et en plus c’est un menteur !», s’énerve Conrad à Collemaggio. Les secousses ont commencé en décembre dernier, les dirigeants savaient ce qui allait se passer et ils n’ont rien fait pour l’éviter, ni pour nous évacuer ».

Aujourd’hui des tentes, demain des cabanes en bois

La colère contre le président italien gronde un peu partout dans l’Aquila. Surtout à l’approche de l’automne qui est réputé pour être très froid dans les Abbruzzes. « Le campement devrait fermer en septembre et les réfugiés être relogés dans des cabanes en bois », explique Nadia, la volontaire. Mais elle sait parfaitement qu’ici personne ne veut entendre parler des « cabanes de Berlusconi ». « Ca ne fait que trois mois, le traumatisme est encore très présent », rétorque la bénévole de la Croix-Rouge. Mais je ne sais pas ce qui a se passer pour les personnes âgées qui sont très traumatisées. Elles restent assises devant leurs tentes toute la journée, les yeux perdus dans le vague». Pour certaines de ces personnes, la chapelle, installées dans une tente gonflable est une manière d’échanger et d’extérioriser ce traumatisme. Deux fois par jour, les religieuses missionnaires et le père Spinelli écoutent les réfugiés de Collemaggio. « Nous parlons avec eux de la vie de tous les jours et de la foi, explique le père. Avec ces évènements, la foi de certains s’est même renforcée », affirme-t-il.

Le reste du temps, comme les autres volontaires, les sœurs et les frères franciscains présents sur les autres camps aident à la cuisine et au ménage. Avant de rejoindre l’office quotidien de 19 heures, sous la chapelle gonflable. Ce soir, comme souvent, les bancs sont pleins. Les sœurs, mais aussi des personnes âgées écoutent recueillis, l’office du père Spinelli. De temps en temps des journalistes, caméras au poing, soulève le haut vent de la tente-chapelle pour prendre quelques images. Une attitude qui fait sourire Massimo, le jeune réfugié : « Après le G8, ils seront tous partis. Au moins ils seront venus pour quelques jours… Après nous serons de nouveau seuls… ».