Bangkok: « Ils nous tirent comme des lapins »

17 mai 2010  |  dans International

Photo : Corentin Fohlen/Fedephoto

Photo : Corentin Fohlen/Fedephoto

Scènes de guerre civile à Bangkok. La troisième journée d’affrontements entre « chemises rouges » et militaires a fait encore huit morts.

Silom, l’artère commerciale de Bangkok, samedi en début d’après-midi. Pitoun, la quarantaine, se protège tant bien que mal derrière une glacière en plastique. Les balles de l’armée, réelles ou non, sifflent au-dessus de sa tête. Les siens répondent, en tirant des feux d’artifice en direction des militaires. La capitale thaïlandaise est en proie à une quasi-guerre civile. Et Pitoun, l’une des « chemises rouges » qui défient le pouvoir depuis la mi-mars en occupant un quartier commerçant de la ville, sait que celle-ci est d’avance perdue.

Depuis jeudi, les militaires thaïlandais ont en effet décidé d’intervenir pour déloger les insurgés. Depuis lors, des affrontements font rage entre ces opposants, qui réclament la démission du gouvernement et l’organisation de nouvelles élections, et les militaires. Samedi encore, huit personnes sont mortes dans les combats. Depuis trois jours, 24 personnes ont été tuées et 187 blessées. « Il faut faire très attention, la nuit dernière, il y a eu 16 morts dans nos rangs », explique ainsi Pitoun. L’armée, elle, accuse les opposants d’avoir commencé à ouvrir le feu. La chemise rouge s’indigne: « Ils nous accusent d’être des terroristes, alors que c’est eux qui nous tirent comme des lapins! » Et le père de famille de s’élancer sur la chaussée, au milieu des brasiers de pneumatiques, pour remettre en place un morceau de barricade. Autour de lui, des dizaines de militants font rouler des roues enflammées en direction des forces de l’ordre.

Photo : Corentin Fohlen/Fedephoto

Photo : Corentin Fohlen/Fedephoto

« Les exactions de l’armée »

Un peu plus loin, Christian, lui, ne participe pas « directement » aux affrontements. Cet ingénieur filme ce qu’il dit être « les exactions de l’armée » avant de les poster sur Internet. « Tous les jours, après le travail, je me rends sur les lieux des affrontements, pour montrer que nous sommes des citoyens qui se battent pour la démocratie et non des terroristes », explique-t-il. Le vidéaste ingénieur finit par nous conduire au QG des chemises rouges, un campement en plein coeur du centre commercial de la capitale thaïlandaise. Au « centre de presse », une estrade où défilent au micro les différents leaders du mouvement. A côté, Sean Boonpracong, porte-parole des manifestants, tente d’expliquer aujourd’hui leurs motivations: « Au début, nous réclamions la démission du gouvernement usurpateur, s’énerve ce Thaïlandais de 50 ans. Aujourd’hui, nous demandons que les militaires qui ont assassiné des citoyens thaïlandais passent devant les tribunaux. »

Le leader n’est toutefois pas très optimiste sur l’issue de l’occupation: « C’est sûr, d’ici quelques jours ils vont nous évacuer par la force. » Le Premier ministre thaïlandais, Abhisit Vejjajijva, a effectivement exclu samedi de renoncer aux opérations militaires engagées. Que feront alors les chemises rouges en cas d’affrontement final? « Que peut-on faire avec des lance-pierres contre des mitraillettes ? se lamente le porte-parole. Ils nous tueront, c’est tout. Mais au moins on se sera battu jusqu’au bout. »