Thaïlande: La fuite des chemises rouges

29 mai 2010  |  dans International

Photo : Corentin Fohlen/Fedephoto

Photo : Corentin Fohlen/Fedephoto

Après avoir capitulé, les opposants au gouvernement quittent Bangkok pour rejoindre le nord du pays. Tous craignent une vague de répression.

« Il faut faire très attention, ces gens-là sont pires que la CIA. » Moo, 63 ans, jette des coups d’œil méfiants à droite et à gauche. Pourtant, autour d’elle, dans le hall de la gare de Bangkok, il n’y a que des familles et leurs bagages, à peine quelques policiers. Peu importe, la professeur d’université est très inquiète: « Maintenant qu’ils ont évacué les rouges du camp, beaucoup de gens vont être arrêtés pour l’exemple. »

La vénérable Thaïlandaise ne croit pas aux paroles de réconciliation nationale prononcées hier par le Premier ministre, Abhisit Vejjajiva. A jamais, elle est l’une de ces chemises rouges qui ont occupé pendant deux mois le centre de Bangkok pour demander la démission du gouvernement, un siège durant lequel 85 personnes ont été tuées et plus de 1.900 blessées. A jamais, elle est l’une de ceux qui ont connu le parfum de la défaite, lorsque mercredi l’armée a donné l’assaut à leur campement. A jamais, elle est de ceux qui ont perdu.

Aujourd’hui, Moo craint une vague de répression. Et se méfie donc de tout et de tout le monde. Pour évoquer son combat, elle baisse ainsi le ton, met la main devant sa bouche, parle à l’oreille de temps en temps. Bien sûr, la respectable enseignante ne montait sur les barricades, « car elle est trop vieille pour courir », mais elle a soutenu activement le mouvement depuis sa naissance. Et, selon elle, cela suffit pour lui créer des problèmes. D’ailleurs « aujourd’hui, l’action publique est déconseillée, souffle-t-elle. Les rouges doivent continuer le combat mais en souterrain ». Il y a deux jours Moo s’est inscrite sur une liste de diffusion SMS mise en place par les membres des chemises rouges toujours actifs. « Moyennant 29 baths par mois, je reçois plusieurs fois par jour toutes les informations concernant le mouvement. » Aujourd’hui, Moo a appris que « 200 rouges ont été fichés par le gouvernement et n’ont plus le droit de réaliser des opérations bancaires ».

Impossible de savoir si la liste de diffusion de Moo dit vrai, en tout cas, l’enseignante y croit dur comme fer: « Pourquoi nos leaders nous mentiraient-ils ? s’emporte-t-elle. Ils veulent comme nous que le combat pour la démocratie continue. » Certes, mais en attendant, la professeur thaïlandaise a, comme les autres, décidé de se faire oublier: à l’image de nombreux d’entre eux, elle part rejoindre sa famille dans le nord du pays.

« On va nous conduire dans un camp de redressement »

A l’exemple de plusieurs milliers de chemises rouges, Moo aurait pu choisir de prendre les bus mis à disposition par le gouvernement. C’est de cette manière que 2.000 personnes sur les 5.000 que comptait le camp ces derniers jours, ont rejoint leur ville d’origine. Mais pour Moo, comme pour d’autres, « hors de question de faire confiance au gouvernement. Qui vous dit que ces bus les ramèneront chez eux ? », interroge-t-elle. La veille, dans le temple, où avaient lieu les évacuations par bus, les rumeurs sur la destination des véhicules étaient nombreuses. « Je crois que l’on va nous conduire dans un camp de redressement », confie Neeta, paysanne venue il y a un mois du nord du pays. « Mais je n’ai pas assez d’argent pour rentrer par mes propres moyens, alors je n’ai pas le choix. » Plus loin, Sama, assise sur une petite valise de fortune, dit aussi: « Comment avoir confiance dans ces policiers, alors qu’hier encore ils nous tiraient dessus ? »

Beaucoup ont ainsi refusé de prendre un bus. Boonya, 45 ans, employé des Postes, part aussi pour le nord. « Le plus discrètement possible. » Un petit sac sur le dos car il ne veut pas attirer l’attention sur lui. Sa banderole rouge, son drapeau thaïlandais, tout cela il l’a laissé derrière lui. Dans les ruines du camp des chemises rouges, au cœur du centre d’affaires de Bangkok. Pour l’employé thaïlandais, « le combat pour la démocratie est fini ». Et de conclure: « Dans la vie, il faut savoir choisir, entre ses idéaux et sa vie de famille. »