Quand le passé enfoui refait surface

29 juin 2013  |  dans Enquêtes

© INRAP / H. Paitier

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Les fouilles du couvent des Jacobins retracent deux millénaires d’histoire de la ville de Rennes. Du temple antique aux cœurs de plomb de l’époque moderne, plongée dans ce passé enfoui.

 

Derrière les palissades de la rue d’Échange se cache le plus exceptionnel chantier archéologique jamais mené à Rennes. 8000 mètres carrés passés au peigne fin durant seize mois, 2000 ans d’histoire balayés… Cette fouille en plein cœur de la ville, inédite dans l’Ouest par son ampleur, est aussi remarquable par ses découvertes.
 
Merveilles antiques
 

© INRAP

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S’aventurer sur ce site revient à plonger aux tous premiers jours de Condate, comme s’appelait la ville à l’époque. Les archéologues de l’Inrap ont découvert des traces de charruages, témoins des travaux de nivellement menés par les soldats romains au premier siècle avant notre ère. La petite cité est en effet une création de l’empire. « Comme la plupart des villes françaises, Rennes a été fondée par l’empereur Auguste qui souhaitait fédérer les territoires de la Gaule en leur créant une capitale. Il y avait peut-être des petites fermes gauloises dans les environs, mais aucune trace significative d’habitat dense n’a été retrouvée jusqu’ici » raconte Gaëtan Le Cloirec, responsable du chantier. La véritable surprise de cette fouille, ce sont les ruines d’un temple mises à jour le long de la rue de Saint-Malo. Cet édifice s’élevait alors au croisement du cardo et du decumanus. Ces axes nord-sud et est-ouest étaient essentiels dans les villes romaines. Leur intersection marquait en effet le cœur de la cité. À Condate, ce lieu symbolique se situait donc au pied de notre actuelle église des Jacobins.
 
« On pensait trouver un petit monument à cet endroit » explique l’archéologue, « mais on a découvert qu’un temple plus imposant a été érigé au 3e siècle. On ne s’attendait pas à une telle mise en valeur de ce carrefour. Il s’agissait sûrement d’un édifice public, sans doute un monument commémoratif ou un lieu de culte ». Cette découverte fait écho aux ruines de l’arc de triomphe exhumées rue de Saint Malo en 1994. « Il faut imaginer le visiteur qui arrivait à Condate au 3e siècle. En entrant dans cette artère, il devait être très impressionné par le côté ostentatoire de ces monuments » rêve l’archéologue. Une vaste demeure s’élevait aussi près de ce lieu stratégique. « On a retrouvé un plafond peint aux motifs d’oiseaux. Il est en morceaux, mais on peut aisément le restituer » assure Gaëtan Le Cloirec.
 
Trésor funéraire
 

© INRAP

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Quartier florissant, des fours et un glaive témoignent notamment du travail des forgerons. Mais le délitement de l’empire romain marque son déclin. À la fin du 3e siècle, Condate bâtit ses premiers remparts. Relégué hors des murs, le site périclite lentement. Il entame sa seconde vie en 1369, à la création du couvent. Du 15e au 18e siècle, les Jacobins deviennent un haut lieu spirituel et… un formidable cimetière. Les archéologues ont exhumé plus d’un millier de sépultures. « Nous avons trouvé un formidable échantillon de Bretons » s’enthousiasme l’anthropologue Rozenn Colleter. La découverte est en effet exceptionnelle : le sol régional conservant mal les squelettes, il est très rare de pouvoir étudier ses habitants.
 
« Des religieux, des notables et des gens du peuple ont été inhumés ici. En étudiant leurs os et leurs dents, on va pouvoir déterminer dans quel environnement sanitaire vivaient ces différentes populations » explique-t-elle. Que mangeaient ces Rennais ? De quelles maladies souffraient-ils ? Des questions qui vont désormais trouver des réponses. « Le dernier jour des fouilles, nous avons mis à jour une fosse commune à l’extérieur de l’église. C’est une surprise car les dominicains ne l’évoquent jamais dans leurs archives. Ces gens ont-ils été inhumés suite à une épidémie ou une guerre ? » s’interroge Rozenn Colleter. Les archéologues ont désormais 18 mois pour répondre à tous les mystères soulevés par cette fouille. Épilogue pour les Rennais en 2017: les trésors des Jacobins seront visibles au Musée de Bretagne et dans le futur centre des congrès.

 

Des rites mortuaires surprenants

 
A perte de vue, les squelettes s’alignent dans l’église du couvent des Jacobins. Au pied de l’une d’elles, les archéologues ont eu la surprise de découvrir trois cœurs en plomb. « Ils sont liés aux sépultures multiples pratiquées à l’époque moderne (16e au 18e siècle, ndlr) par les élites pour des raisons politiques. Afin d’asseoir son pouvoir, on pouvait par exemple enterrer son corps au château et son cœur à l’église » traduit Rozenn Colleter. Plus surprenant encore, les scientifiques ont exhumé deux corps portant des traces d’embaumement. Une pratique courante au 17e siècle pour les nobles, mais mal connue. « Elle est beaucoup moins étudiée que l’embaumement égyptien car l’archéologie est peu utilisée pour la période moderne » explique l’anthropologue. Cinq sarcophages en plomb ont aussi été mis à jour. Décorés d’une belle croix ancrés, ils étaient réservés, là encore, à la noblesse. Pourquoi du plomb ? « Il était considéré comme une bon matériau de conservation et surtout il enfermait les odeurs » glisse Rozenn Colleter dans un sourire. « Sur une précédente fouille, nous avions trouvé la dépouille d’un noble mort au combat en Hongrie. Son corps avait été ramené jusqu’en France. Il était resté un an sur des tréteaux dans son château car l’homme, né protestant, s’était converti au catholicisme. Sa famille ne savait pas où l’enterrer » raconte-t-elle. Le plomb prend effectivement tous son sens…
 

youpress rennes Cet article fait partie d’une série de reportages réalisés dans le cadre du dossier « Les trésors cachés de Rennes », dossier de 20 pages consacré au patrimoine historique méconnu de la capitale bretonne et publié en juin 2013 dans L’Express. A lire également : Bestiaire merveilleux et plantes secrètes.