Enquête sur la bétonneuse des Balkany

4 janvier 2015  |  dans Enquêtes

© UMP (Creative commons)

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Villas à Marrakech et Saint-Martin, compte caché à Singapour…, Patrick Balkany, rattrapé par son fabuleux train de vie, a été mis en examen la semaine dernière pour « blanchiment de fraude fiscale », « fraude fiscale » et « corruption ». Au cœur des investigations des juges : les curieux montages de la Semarelp.

Ne bétonne pas qui veut dans le royaume des Balkany, ce confetti qu’est la ville de Levallois-Perret, la plus dense de France (26 000 habitants/km2), et même d’Europe. Ici, les cadors du BTP – Bouygues, Vinci ou Eiffage – ne prennent souvent même plus la peine de candidater… « Les promoteurs, chez nous, sont plutôt des seconds couteaux, remarque Arnaud de Courson, élu divers droite d’opposition. Ils sont quelques-uns à se partager le marché, c’est bizarre. Beaucoup disent qu’il y a des conditions insensées pour poser le moindre parpaing à Levallois. » Plus l’enquête des juges Van Ruymbeke et Simon avance, plus il apparaît que le maire UMP et sa première adjointe de femme, tous deux mis en examen pour leurs acrobaties fiscales, ne sont pas étrangers à ce verrouillage : la société d’économie mixte d’aménagement de Levallois (Semarelp), qui gère le patrimoine privé de la ville, est désormais dans le collimateur du pôle financier. Présidée par Patrick Balkany (pour un salaire mensuel de 8 679 €) jusqu’à ce que sa femme, Isabelle, prenne le relais en juin dernier, la Semarelp aurait servi, soupçonnent les enquêteurs, à verser de confortables pots-de-vin. Le 3 octobre, Jean-Pierre Aubry, l’homme de confiance des Balkany, a été mis en examen pour « complicité de corruption » et « blanchiment de corruption », en tant que directeur général de la Semarelp. Son adjoint, Michel Perez, qui l’a remplacé au pied levé après sa démission, est lui aussi sur la sellette.

Les élus de l’opposition espèrent que la justice fera enfin la lumière alors qu’eux butent depuis des années sur l’opacité de la Semarelp et de sa filiale de promotion immobilière, la Scrim. Au conseil municipal, ils ne sont toujours pas parvenus à obtenir le rapport d’activité 2013 ! Marianne a essuyé le même refus, comme pour ses demandes d’interviews. En attendant, chacun s’en remet à ses observations, à l’empirisme. « Lorsqu’un terrain est mis en vente, très souvent, la ville le préempte puis le revend à son bras armé, la Semarelp, qui porte des projets d’aménagement », explique Arnaud de Courson. « La mairie se crée une réserve foncière et, après, elle la fait fructifier en la revendant », corrobore Anne-Eugénie Faure, élue socialiste d’opposition. Comment ? A quel prix ? Et qui en profite ?

Rafler le gateau

En mars 2010, la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France avait tiré la sonnette d’alarme. Les magistrats s’inquiétaient notamment du non-respect manifeste des règles de droit au sein de la Semarelp. L’activité de la Scrim permettait à la commune de Levallois, écrivaient-ils, « d’intervenir dans des domaines qui ne relèvent pas de son champ de compétence », c’est-à-dire de jouer les marchands de biens dans des affaires qui n’ont rien à voir avec l’intérêt communal. Autre problème soulevé à l’époque : la Scrim traitait avec des promoteurs « sans publicité, ni mise en concurrence, ni mécanisme de contrôle interne ou externe ».

Ces critiques ont-elles été entendues ? Rien n’est moins sûr : comme l’a constaté Marianne en étudiant les constructions récentes dans la ville, la Semarelp n’a pas levé le pied. Sur les 15 chantiers que nous avons identifiés, plus de la moitié des terrains lui appartenaient à l’origine. Des chantiers qui trouvent parfois de curieuses issues. Un immeuble situé au 16, rue Paul-Vaillant-Couturier a, par exemple, été livré à BNP Paribas alors que le conseil municipal avait voté en mars 2009 une délibération pour y construire des logements sociaux !

Aujourd’hui encore, les promoteurs ne sont jamais mis en concurrence pour obtenir ces lots. Pas étonnant que l’on retrouve toujours les mêmes. Certains, sûrs de l’emporter, constituent des sociétés civiles immobilières (SCI) avant d’avoir obtenu le moindre permis de construire, et parfois même avant que les élus municipaux n’aient voté la délibération de déclassement du domaine public de la parcelle !
Pas étonnant, non plus, que les copains des dirigeants de la Semarelp raflent une bonne part du gâteau. Hervé Giaoui, le président d’Habitat France, et l’homme d’affaires israélien, Yaacov Gorsd, qui se sont côtoyés au sein de la société civile ATK, sont de ceux-la. On les retrouve ces dernières années dans pas moins de cinq importantes cessions immobilières. Hervé Giaoui a de vrais atomes crochus avec Michel Perez. D’après le Canard Enchainé, les deux hommes se sont associés pour bâtir, dans l’île paradisiaque de Saint-Martin, une villa copie conforme de Pamplemousse, celle des Balkany qui a si longtemps échappé au fisc avant que le juge Van Ruymbeke ne la saisisse. Ni Hervé Giaoui, ni Yaacov Gorsd n’ont donné suite à nos demandes d’entretien. Dommage : Marianne aurait aimé recueillir leurs lumières sur les curieux montages financiers auxquels ils ont participé.

La loi de 1993 sur la prévention de la corruption interdit, en effet, à un professionnel de l’immobilier de céder à titre onéreux des droits liés à une promesse de vente portant sur un immeuble. Objectif ? Eviter que des intermédiaires puissent servir d’écrans entre le vendeur (une collectivité, par exemple) et l’acheteur final (un promoteur). Avec tous les risques, inhérents à ce genre de pratiques, de commissions occultes versées à l’intermédiaire, et de rétrocommissions empochées discrètement par le vendeur.

Or, que s’est-il passé à Levallois ? En 2008, au 93-95 rue Danton et 30-32 rue Kléber, la ville se porte acquéreur d’un ancien laboratoire chimique pour y construire 9000 m2 de logements. En mai 2009, la Semarelp, qui a récupéré le terrain, signe une promesse de vente à la société civile ATK, contrôlée par Giaoui et Gorsd. Mais juste avant que la vente se concrétise, en juillet 2010, ATK change de main. Par un savant tour de passe-passe, 60% des 150 parts de la société – correspondant à la mise de départ de 150 € – sont rachetées par le promoteur immobilier Accueil. Bénéfice de l’opération pour les deux compères d’ATK : 1,8 million d’euros ! Pas mal pour une société qui ne détenait comme seul actif qu’une simple promesse de vente.

Autre opération, même scénario. Au 78-80 rue Paul Vaillant-Couturier, la Scrim cède une parcelle à Gorsd, via l’une de sociétés, Foch Partners. Qui va ramasser 508 000 euros en cédant ensuite ses parts au groupe Accueil ? Encore une promesse de vente monnayée ? Et comment se fait-il que la ville de Levallois ne trouve rien à redire à ces enrichissements express ? La réponse, Michel Perez, la connaît sûrement : il loue un petit hôtel particulier dans l’ensemble de standing Danton-Kléber – d’après le Canard Enchaîné, il lui en coûte seulement 1900 euros mois pour ces 200 mètres carrés de grand luxe -, tandis qu’il a renseigné son adresse électorale… au 78-80 rue Paul Vaillant-Couturier !

Manque le dernier maillon de la chaine : ces délicates faveurs consenties à Giaoui et Gorsd sont-elles retournées à l’envoyeur en chef (Balkany) ? Quand on sait que le député-maire UMP a longtemps bénéficié d’un compte numéroté à Singapour pour empocher, en toute discrétion, des dessous-de-table, on se dit que tout est possible dans la Principauté de Levallois… Cette planque asiatique, Patrick Balkany n’a pas pu l’ouvrir tout seul, pensent les enquêteurs. A ce niveau de sophistication, il faut les conseils d’un cabinet d’avocats. Ça tombe bien : il y en a un tout près, qui travaille pour la Scrim. Grâce à une amitié jamais démentie entre les Balkany et Nicolas Sarkozy, le cabinet Claude & Sarkozy, dans lequel est associé l’ancien président de la République, défend la ville de Levallois et la Semarelp dans leurs contentieux. Une bonne rente de situation : sur la seule année 2008, il a empoché 78 000 euros d’honoraires. « Les factures d’honoraires d’avocats sont libellées de manière très succincte, relevait en 2010 la Chambre régionale des comptes, et ne mentionnent ni le détail des prestations, ni leur quantité, ni le tarif horaire. » Le 21 mai dernier, les bureaux de Claude & Sarkozy ont été perquisitionnés dans le cadre de l’enquête qui vise Isabelle Balkany pour « blanchiment de fraude fiscale ». Ceci dit, ces spécialistes en droit de l’immobilier ont au moins pour eux d’être du métier. Ce n’est pas le cas de tous les prestataires de la Scrim. Proassur, son assureur, est l’expert français… de la chasse et des armes. « Nous vous garantissons contre l’ensemble des risques qui peuvent intervenir durant une battue, un safari, une expédition », peut-on lire sur le site internet du groupe. On est loin de la pierre. Et si proche du dada de Patrick Balkany, grand chasseur devant l’éternel. Mais les juges qui lui collent aujourd’hui au train ne sont pas de moins bonnes gâchettes.

Leila Minano et Julia Pascual