Austin: la bulle progressiste du Texas

6 décembre 2016  |  dans International

Exposition collective d'artistes gay au Q Austin, Austin, Texas. © Moland Fenkov/Haytham Pictures

Exposition collective d’artistes gay au Q Austin, Austin, Texas. © Moland Fenkov/Haytham Pictures

Alors que le mariage homosexuel a été officiellement reconnu le 26 juin 2015 pour l’ensemble des Etats-Unis, Austin, qui fait office de bulle progressiste, accueille les LGBT de tout le très conservateur Texas.

« Ici, c’est la Mecque des gays ! lâche Adam, courtier en assurances, en plaisantant à moitié. 40% de la ville est LGBT ! » « Ici », c’est Austin, la capitale du Texas, une ville de 2 millions d’habitants, lovée au cœur de la Greenbelt, une ceinture de végétation apaisante. Si l’on peut douter des chiffres, la tendance est claire. « Les LGBT s’installent ici pour bénéficier de cette ouverture d’esprit« , estime encore Adam.
Cheveux bruns et costume tiré à quatre épingles sur le dos, le jeune homme, planté sur la terrasse du très chic hôtel W, assiste au gala qu’organise annuellement la Chambre de Commerce Gay et Lesbienne de la ville (AGLCC).
Malgré les sourires affichés des participants, cette édition s’inscrit dans un contexte particulier. Les esprits sont encore bouleversés par la tuerie homophobe d’Orlando du 13 juin dernier. Lors de la soirée, une minute de silence est instaurée. « Un AK-47 n’aura jamais la force de nos efforts communs« , lâche Celia Israel, une députée texane ouvertement lesbienne, présente ce soir-là. Après les discours, vient le temps de s’amuser. A deux pas d’ici, les bars gays ouvrent leurs portes pour la nuit, coincés entre des gratte-ciels de verre impressionnants et des « ruelles » typiquement américaines aux anciens bâtiments du XIXe siècle, type western. Et dans la nuit étouffante de l’été, le drapeau arc-en-ciel flotte sur le fronton de la mairie.

Car si Austin s’affiche comme une ville définitivement gay friendly, cela résulte, aux yeux de Tom VandeStadt, pasteur, de décennies de passé engagé. « Dans les années 60, la ville s’investit dans un fort mouvement anti guerre du Vietnam« , raconte-t-il. Janis Joplin y fit ses débuts. « La décennie d’après, les hippies débarquèrent, dans le sillage du chanteur de country Willie qui s’installa à Austin en 1972. Et avec lui, une scène artistique ouverte. Austin est vraiment différente du reste du Texas, et cela s’est perpétué« , estime Tom.
S’il tient ce discours, c’est qu’au sein de son église, la Congregationnal Church of Austin, il « soutient les membres de la communauté LGBT. Nous sommes ouverts et affirmés dans cette démarche« , éclaire-t-il, dans son bureau situé en centre-ville. Son église est même répertoriée comme faisant partie du réseau GayChurch.org, qui collecte les informations (adresse, contacts, célébration de mariage homosexuel) des églises ouvertes à la cause LGBT.
Fondamentalement ouvert à l’altérité, il raconte encore que « nous avons été les premiers à apposer la bannière de soutien à nos compatriotes musulmans« , après l’attentat d’Orlando.
« Chez nous, certains ne croient pas en un Dieu traditionnel mais sont très ouverts aux différentes spiritualités« . Au contraire, afin d’offrir un discours différent de ce que d’autres églises, conservatrices, n’hésitent pas à déclamer, le pasteur « sait comment utiliser et interpréter les textes,  dans des termes post-modernes« , explique Tom Vandestadt. « Je leur répète que la vie est sacrée. Que le but n’est pas d’aller au Paradis, mais de créer une présence spirituelle et de libérer ceux qui sont oppressés, sans juger. » Au risque de choquer les « puristes », le pasteur n’hésite pas à revisiter les textes de la Bible. « Ce texte a été écrit il y a 3000 ou 4000 ans, et il reflète ce que les gens pensaient à l’époque. Nous ne sommes pas obligés de croire en la même chose et avons la responsabilité d’y injecter nos propres significations. »
A l’extérieur de cette bulle d’ouverture, des jeunes gens attendent la distribution des repas. Tom VandeStadt, autrefois à la tête d’une association d’aide aux sans-abris, a placé comme priorité la mission « sociale » de son église. « Une partie des sans abris d’Austin sont de jeunes gays mis à la porte de chez eux. Ou pupilles de la Nation, ils sont lâchés à leurs 18 ans, sans aucun suivi« , s’inquiète-t-il.

Greg Abbink, premier officier de police transgenre à Austin, Texas. © Moland Fengkov /Haytham Pictures

Greg Abbink, premier officier de police transgenre à Austin, Texas. © Moland Fengkov /Haytham Pictures


 
Austin, bulle progressiste au coeur d’un Texas conservateur

Toutes ces belles intentions ne doivent pas faire oublier que le Texas reste l’un des Etats les plus conservateurs des États-Unis, niché au cœur de la Bible Belt (les Etats du Sud, anciennement esclavagistes) Après la tuerie d’Orlando, le pasteur texan Donnie Romero, qui officie à Fort Worth, a déclaré qu’il priait pour « que Dieu finisse le job commencé par Omar Mateen » (le tueur, ndla). Après l’horreur du geste, celle des mots.
D’après les chiffres du FBI, en 2015, 19% des crimes de haine, en hausse, étaient d’ailleurs liés à l’orientation sexuelle des victimes.

A Austin, en revanche, l’esprit est différent. Donald Trump, par exemple, n’était pas le candidat inné des « Austinites ». Au fil des balcons, des drapeaux Bernie Sanders ondulent dans le ciel texan.
Tom explique lutter, à son échelle, contre le phénomène Trump. A ses yeux, « ses partisans sont plein de peurs, effrayés, anxieux. Ce sont des Blancs qui n’acceptent pas l’idée que, dans 25 ans, ils ne seront plus majoritaires aux États-Unis ! Les gays ont les mêmes droits, sont nos égaux, le status quo bouge. Ils ont peur de perdre leurs privilèges de Blancs. On ne peut pas changer leurs mentalités mais au moins on peut leur faire passer des messages (de tolérance, ndla). »
De son côté, Austin Powell, membre de 24 ans de la Chambre de Commerce LGBTI d’Austin, avec sa bouille ronde, son allure délicieusement vintage, a toujours le mot pour rire. Il désigne Austin comme « une myrtille dans la soupe à la tomate » (cf les couleurs politiques de la capitale, démocrate, donc bleu, versus le reste de l’Etat, républicain, donc rouge). Guillermo, un quarantenaire gay venu s’installer à Austin pour une histoire d’amour, déclare : « tout le monde veut s’amuser. Il y a beaucoup d’étudiants, les gens boivent et font la fête. Les bars gays et les shows de drag queens sont nombreux !« , déclare celui qui voue un culte aux drag queens et réalise leurs portraits photo bénévolement, car « elles ne gagnent pas assez avec leurs shows. »

Drew Riley, artiste peintre, confirme cette ouverture. Celui qui fut un jeune homme est devenue une jolie jeune femme au visage doux et discrètement maquillé. Les personnes transgenres sont devenues le cœur de son travail. En réalisant leurs portraits hyperréalistes, elle cherche à saisir l’unicité des parcours, la complexité des ressentis. « A 22 ans, j’étais censé être heureux, j’étais marié, je travaillais dans l’industrie du jeu vidéo, mais quelque chose me manquait« , raconte-t-elle. Elle se maquillait certes, mais n’a pas compris tout de suite qu’elle n’était simplement pas née dans le « bon » corps. Elle se plonge dans de nombreuses lectures, comprend enfin qui elle est, saisit l’importance d’utiliser des concepts précis et les mots adéquats. Elle quitte son travail, et débute sa transformation, prend des hormones. « Mes copains m’ont soutenue. Je me souviens avoir retrouvé une ancienne amie, que je n’avais pas vue depuis des années. Elle est venue me saluer comme si de rien n’était ! Ça donne le courage d’affronter toutes ces batailles« , raconte-t-elle, buvant un café dans l’Est Side d’Austin, le nouveau quartier branché. Pour elle, Austin est définitivement la clé de cette transformation réalisée plutôt dans l’apaisement. « Ailleurs, au Texas, cela n’aurait pas été possible. Et si je ne peux pas dire qu’il n’y a pas de discrimination, je n’ai jamais connu d’attaque physique« , se réjouit celle qui expose régulièrement ses toiles dans des vernissages locaux, et dernièrement à l’étranger. « Quand je montre les portraits à mes modèles, ils sont généralement heureux. C’est presque thérapeutique. » Dans sa vie personnelle, tout n’est pas encore simple. « Passer des lieux « straights » aux lieux « queer », implique de comprendre que les codes de séduction sont différents« , lâche-t-elle, néanmoins pleine d’espoir.

De son côté, Gregory Abbink, 41 ans, a pu compter sur le soutien inconditionnel de sa femme lors de sa transformation. Il est le premier policier transgenre (né femme, il est aujourd’hui un homme) d’Austin, et est devenu l’un des visages de la communauté. Le déclencheur ? Quand il apprend que son neveu s’affirme comme transgenre, il franchit également le pas. Aujourd’hui, il vit avec son épouse à la campagne, à une heure d’Austin. « Là-bas, les gens conduisent des tracteurs, nous restons discrets. Ici, je me sens à l’aise, je ne me sens pas comme un « outsider »« , lâche-t-il. Au sein de la police, il a aussi bénéficié d’une solidarité incroyable. Il reçoit de nombreux mots de ses collègues saluant son courage, sa persévérance, les marques d’amitié s’accumulent. « Je suis chanceux, béni, même« , affirme Gregory Abbink. En tant que membre de la communauté LGBT, il sent qu’il a une « responsabilité particulière car il faut refonder la confiance entre la police et la communauté, qui n’a pas toujours été bien traitée par les autorités« . Faire le lien entre soi et les autres, une des missions que Greg a saisie au vol, en plus des formations dont il est en charge.

Pasteur lesbienne a Austin, Texas. © Moland Fengkov / Haytham Pictures

Pasteur lesbienne a Austin, Texas. © Moland Fengkov / Haytham Pictures


 
Une communauté pro-active et solidaire

Adam, le courtier en assurances, a un job un peu particulier: ses client sont gays. Lui est gay. Son patron l’a commissionné pour se spécialiser dans cette clientèle. « L’idée est de faire en sorte que les bénéfices réalisés dans notre communauté reviennent prioritairement à notre communauté« , explique-t-il.
« A la fin des années 80, un groupe de businessmen LGBT expriment le souhait de faire du business ensemble. Ils voulaient soutenir la communauté, ils n’étaient pas officiellement « out » dans leur boulot, raconte Ceci Gratias (présidente de la AGLCC), évoquant la genèse « non-officielle » de la chambre de commerce.
L’AGLCC comptait 15 membres en 2012. Ils sont 300 en 2016, signe d’un beau succès. « En 2013, on a dû revitaliser la Chambre. Aujourd’hui, elle va très bien, nos membres sont de plus en plus nombreux, on recrute, on organise des événements, on sent les effets positifs sur la communauté. » D’autant plus qu’Austin, qui compte 39000 PME, est la ville la plus dynamique en termes de petits business aux États-Unis. Les membres LGBT se lancent dans des secteurs aussi variés que l’immobilier, la banque, les technologies, l’hôtellerie, pas « seulement les métiers créatifs, comme le voudraient les stéréotypes« , précise Ceci Gratias. « Ils viennent vers nous simplement parce qu’ils se sentent en sécurité« , explique Austin Powell, ne craignent pas les préjugés.
Car des combats sont encore à mener. « On se bat pour des lieux de travail qui intègrent complètement les LGBT, sans aucune forme de discrimination, on collabore au niveau fédéral et national« , raconte encore Ceci Gratias.

Dans le secteur social, la communauté LGBT s’accroche également à toujours plus d’égalité. Mary Wilson, 59 ans, est l’essence même d’un combat personnel qui est devenu un engagement solidaire. Mariée pendant 23 ans au père de ses deux filles, elle fait son coming out et change totalement de vie, en passant du métier de mathématicienne à… pasteur. Elle reprend des études de théologie à Austin. « Quand il a été clair que j’allais être nommée pasteur, beaucoup des membres de l’église m’ont soutenue, d’autres non. D’un coup, des gens que je connaissais depuis des années, parlaient dans mon dos. Ce fut très dur pour mes enfants de me voir traiter de la sorte, elles ont cessé de venir à l’église. Elles entendaient qu’être gay était un péché« , raconte Mary, ses yeux bleus tristes à l’évocation de ces mauvais souvenirs.
Aujourd’hui, l’église ne s’est pas totalement « remise » de sa nomination, « certains ne sont jamais revenus« , lâche-t-elle, mais elle est heureuse de constater que 80% sont dans l’optique d’aimer leur voisin. « Ceux qui sont restés sont ouverts à l’idée d’avoir une pasteur lesbienne, car ils sont très portés sur le social« .

Quand elle a appris avec effroi la tuerie d’Orlando, elle a été prise dans le tournis du nombre de victimes. 20, 30, 40, 50… « On a allumé des bougies à chaque service, j’ai beaucoup pleuré, j’ai écrit dans un journal local« , raconte-t-elle, les larmes aux yeux. « J’ai parlé de ma tristesse et de mon chagrin, et comment la communauté LGBT était devenue un vrai sanctuaire pour nous. Moi aussi, quand j’ai fait mon coming out, je suis allée dans des bars lesbiens pour ne pas me sentir devenir « folle ». Ce qui a été un refuge pour moi est devenu un cercueil pour les jeunes d’Orlando« , lâche la pasteur, qui se console avec la légalisation du mariage de personnes de même sexe depuis juin 2015. « Avec ma compagne, on avait organisé une cérémonie avant que la loi ne passe. Quand on a appris que la loi était adoptée au niveau national, on s’est appelé immédiatement pour se dire qu’on avait gagné. Ce fut un moment fabuleux. Notre mariage en Californie est enfin reconnu au Texas ! » Dans son église, environ 15 à 20% des membres sont LGBT, et viennent « pour ne pas être condamnés pour ce qu’ils sont.«